Témoignage. Guerre en Ukraine : " Elles pensaient partir une nuit, elles sont restées un an"

Publié le Écrit par Marie Bail
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Six jours après le début du conflit en Ukraine, Nataliia Denisenko et sa fille Yevgeniia ont fui leur ville natale de Kiev pour le Rhône. Une intégration délicate, compliquée par l'instabilité de leur logement.

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Nataliia Denisenko sert un thé bien chaud, accompagné d’une tranche de citron. Une boisson idéale pour une météo presque hivernale. Dehors, la pluie arrose le jardin et brouille les monts de Vaugneray qui se dressent devant sa fenêtre. « J’aime me balader dans ces collines, les arbres, leurs couleurs », sourit Nataliia le regard au loin. Ses doux yeux bleus se plissent quand elle raconte sa passion pour le grand air : « J’adore le ski et la marche scandinave, j’en faisais tout le temps avant la guerre ».

A Kiev, où elle vivait depuis toujours, elle profitait de sa retraite pour apprendre l’allemand, l’anglais et s’adonner aux activités sportives dans les hauteurs de la capitale. Sur son téléphone, elle fait défiler les preuves de sa vie d’avant. Descentes à ski, poses sur un tronc d’arbre couché, au bord d’un lac… son sourire franc illumine chaque cliché. Maintenant, la grande Ukrainienne de 62 ans marche dans la forêt de Vaugneray, un village de 5 500 habitants. Des journées entières, seule ou avec le chien de la famille, Ricchie. « Il a fui avec nous, il a même son passeport français ! », pouffe Nataliia.

L’ancienne comptable est arrivée au village rhodanien il y a près de cinq mois avec sa fille Yevgennia Azovska, 42 ans, et son petit-fils Marko. Leur maison, à la lisière des monts du Lyonnais, a été mise à disposition par la mairie de Vaugneray. Au total, sept Ukrainiens sont logés sur les trois étages, partageant le salon et la cuisine. Le mobilier et des ustensiles ont été fournis par la collectivité, ce qui manquait a été complété par la solidarité des habitants et les associations locales.

Au dernier étage, Natalia dispose de sa propre chambre, une lampe posée sur un tabouret éclaire la petite pièce quand la lumière du jour ne passe plus par la fenêtre mansardée. A côté, la chambre de sa fille. Jusqu’à la mi-novembre, Yevgeniia la partageait avec son fils Marko. Mais le jeune homme de 16 ans a préféré rentrer dans son pays auprès de son père. « C’était trop dur pour lui, les conditions ici ne sont pas aussi confortables que ce que nous avions à Kiev », explique Yevgeniia.

Le jeune homme a eu du mal à s’intégrer. Car en plus d’apprendre le français, il continuait ses cours de lycée en ligne chaque week-end.

"J’ai des amis dont les enfants prenaient des antidépresseurs pour tenir psychologiquement ici, je ne veux pas ça pour mon fils

Yevgeniia Azovska

Tant que c’est possible pour lui de vivre à Kiev, il y restera. « Je préfère le savoir heureux avec ses amis et son père même s’il est loin de moi », conclut la jeune femme. Malgré la guerre, les coupures d'électricité et d'eau pendant plusieurs jours, Yevgeniia ne veut pas que son fils revienne avec elle.

Comme beaucoup d’autres Ukrainiens, leur arrivée en France a été rude. Une semaine après le début du conflit, Yevgeniia et son mari prennent une voiture donnée par un ami et embarquent leur fils et Nataliia en direction de l’ouest du pays. Ils passent quelques jours dans une maison aux murs peu adaptés à la saison hivernale – avec toilettes dehors - puis ils trouvent une ferme encore plus à l’ouest. Une amie de Yevgeniia, installée à Villefranche-sur-Saône leur propose de venir chez elle : « elle m’appelait cinq fois par jour, elle me suppliait de partir, alors on a accepté ». L’amie achète un minibus et roule pour les récupérer à la frontière avec la Roumanie. « Ensuite, on a conduit un jour et demi sans s’arrêter », traversant la Roumanie, la Hongrie…jusqu’à la France.

Une vie sans intimité 

A Villefranche, leur arrivée se fait sous le soleil du 8 mars. Mais ces citadines s’étonnent de découvrir un monde rural bien éloigné de leur vie ukrainienne. « Pas de route, juste des chemins en terre, je me disais que c’était ça la France », s’amuse Yevgeniia. Le quotidien est rythmé par les tâches ménagères puis par le ramassage d’oignons dans une ferme voisine du Beaujolais. Cinq heures le dos courbé, pour Yevgeniia c’est un travail bien différent de son entreprise immobilière à Kiev. « J’avais des économies mais l’argent commençait à manquer et il nous fallait être indépendantes », balaie l'agent immobilier.

Mais rapidement, la cohabitation avec son amie devient difficile. Bien que reconnaissantes de l’hospitalité, la famille doit partager le toit avec huit autres personnes dans une maison faite pour 5. Sans intimité réelle pendant deux mois. Les relations finissent par se tendre, au point où la famille trouve refuge dans une autre maison, celle d’un couple Tassilunois. 

Les yeux bleus de Nataliia se brouillent, les larmes coulent. « Quand je lui ai dit de se réfugier chez moi le soir du 24 février, elle pensait partir une nuit de chez elle. Ça fait un an », explique Yevgeniia, comme pour excuser l’émotion de sa mère.

A Tassin, mère et fille abandonnent leur travail à la ferme pour commencer à faire des ménages. Marko, lui, étudie. Les mois passent, cette fois plus agréablement. Mais il faut à nouveau partir : l’hébergement citoyen est solidaire mais pas éternel. Tous les trois se rendent à la Croix-Rouge de Vaise. « C’était très dur, aucune intimité, des nuits sur des lits de camps », se remémore Nataliia. Elle ne parvient pas à dormir, dérangée par le bruit et les va-et-vient des voisins: « j’étais dans un brouillard permanent, le cerveau embrumé au point d’en perdre régulièrement mes affaires ».

La sexagénaire marche pour s’aérer l’esprit. Tous les jours elle arpente le 9e arrondissement jusqu’à l’île Barbe. Sa fille s’en sort mieux, se lie d’amitié avec des résidents. « Mais les premières heures je fixais le plafond, la bouche ouverte, en état de choc, puis on s’habitue, explique Yevgeniia , l’être humain s’adapte à tout ».

"Les Français sont tellement polis !"

Au bout de trois semaines, elles finissent par être relogées à Vaugneray, un dernier jour pluvieux d’octobre. Même si elles n’ont jamais beaucoup d’affaires avec elles, les déménagements restent émotionnellement lourds. « Je suis partie de Kiev avec deux pulls, un t-shirt, des sous-vêtements, quelques bijoux dans une pochette et mes papiers d’identité », détaille Yevgeniia. « Moi seulement mon acte de naissance, je n’ai pas grand-chose d’autre », complète Nataliia, rieuse.

A Vaugneray, elles découvrent la vie de village. Elles s’amusent de voir les Français aussi polis et gentils. « Les gens vous disent bonjour, vous sourient, vous saluent, je trouvais ça tellement étrange ! », plaisante l’agent immobilier.

Si elles communiquent peu avec les habitants faute de maîtriser la langue, elles ressentent un accueil sincère. L’association « Vaugneray Accueil Solidarités » leur propose d’ailleurs des cours de français avec un professeur à domicile ou à la MJC du village. Les familles sont aussi accompagnées dans leurs démarches administratives ou leurs prises de rendez-vous médicaux.

C’est notamment Marie-Paule Faure, 67 ans, bénévole dans l’association qui les aide. Cette professeure d’anglais à la retraite s’est reconvertie dans les cours de français. « Je considère que mon travail est fait quand ils n’ont plus besoin de moi, après on tisse des liens humains », se réjouit-elle. L’association compte 20 membres actifs sur 60 adhérents. Forts de leurs expériences avec des réfugiés arméniens et congolais, ils ont répondu présent dès le premier jour. « Nous sommes toujours à la recherche de nouveaux volontaires », glisse Marie-Paule.  

En plus des cours de français, Nataliia a pris un emploi d’agent de nettoyage dans Vaugneray. Avec environ 3h de missions par semaine, Nataliia gagne 170 euros par mois. Des revenus restreints qui, sans les aides financières de l’Etat, ne lui permettrait pas de subvenir à ses besoins. Car même si les Ukrainiens ne sollicitent pas le statut de réfugié, ils bénéficient de l’allocation pour demandeur d’asile, d’un montant maximal de 14 euros par jour. Nataliia et sa famille sont reconnaissantes de l'accueil organisé par la France. Reste l'amertume de voir la guerre s'éterniser. Pour les deux Ukrainiennes, la Russie ne s'arrêtera pas à l'invasion de leur pays mais veut poursuivre son expansion au-delà. 

« L'Europe n'envoie pas assez d'armes en Ukraine, les meilleurs d’entre nous sont en train de mourir pour vous »

Yevgeniia Azovska, réfugiée Ukrainienne

En dépit du conflit et tout en continuant les ménages à Tassin, Yevgeniia Azovska n’a pas abandonné son activité à Kiev: « tant que les appartements que je loue tiennent debout et qu’un missile ne vient pas tout gâcher, c’est bon ». Mère et fille riraient presque de cette situation si elles ne pensaient pas à leur propre logement en France. "On a nous prévenu dès le début que la maison était disponible seulement jusqu'à la mi-avril", affirme Nataliia.

Contactée, la mairie de Vaugneray assure qu'aucun déménagement ne se fera d'ici la fin de l'année scolaire. "On ne demande à personne de quitter les lieux, il n'y a aucun risque pour ces familles de finir à la rue", précise Daniel Jullien, le maire de la commune. Il l'aurait confirmé auprès de l'opérateur Soliha, en charge de la gestion des logements pour les réfugiés dans le Rhône. 

Même si le départ est repoussé de deux mois, difficile d’imaginer un futur quand on ne sait pas où s'installer de manière durable. L’idéal pour Yevgeniia serait de vivre à Lyon, plus facile pour se déplacer que d’attendre les bus, une véritable contraire pour la jeune citadine. Nataliia s’accommode plus facilement de la vie à Vaugneray. Mais elle rêve d’une grande maison, à elle. Elle sourit : « Si je pouvais avoir une grande fenêtre avec vue sur les collines …».

 

 

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