C'est l’opération Ruban Blanc, symbole de la lutte contre les violences intrafamiliales, qui se déroule à Villefranche-sur-Saône. Le Tribunal Judiciaire proposait de participer à un Escape Game intitulé "Derrière les portes closes". Objectif : sensibiliser le grand public à la problématique des violences conjugales.
Mieux comprendre les mécanismes des violences intrafamiliales et de l’enquête pénale, grâce à un escape game. C'est une nouveauté dans le cadre de la semaine Ruban Blanc. "Derrière les portes closes" vise surtout à sensibiliser le grand public aux violences conjugales.
Immersion dans un appartement ordinaire
C'est l'appartement de Mathilde et Pierre qui a été reconstitué. Un logement cosy et lumineux, mais en désordre. Les participants à l'escape game se livrent à une perquisition. Un peu partout, les photos d'un bonheur conjugal sur papier glacé... mais la réalité est bien différente. À la recherche de preuves de violences, ces enquêteurs d'un jour vont peu à peu voir apparaître une réalité moins glamour. Celle qui s'est jouée à l'abri des regards. Un engrenage qui a conduit au drame. Mathilde est à l'hôpital, après l'agression de Pierre, son compagnon. Ce dernier est en garde à vue.
Tout commence par des messages téléphoniques insistants, lourds de menaces à peine voilées, puis les insultes, suivies d'excuses… Un compagnon qui souffle le chaud et le froid sur sa partenaire. Des objets renversés, une valise vide… Progressivement, des indices glaçants révèlent une relation qui a dérapé. Jusqu'aux violences physiques et aux traces de sang sur un couteau. Des indices que les participants vont collecter d'énigme en énigme. "Ça me perturbe beaucoup. C'est violent, c'est machiavélique. L'emprise, c'est terrible", lâche Marie-Claude, une participante visiblement troublée.
"J'ai ressenti beaucoup d'angoisse. On voit que quelque chose a changé entre le début de la relation et la fin. On se rend compte qu'elle a été blessée. On voit bien la grille des violences. Ça part de quelques paroles, et la violence va crescendo. Les mots sont choquants (...) On ne se rend pas compte de ce qu'une femme peut vivre. Ce qui se passe derrière les portes, c'est important de pouvoir en parler", explique une autre participante.
Violences conjugales, encore "taboues"
Cet escape game un peu particulier, qui traite des violences intrafamiliales et conjugales, est organisé par le Tribunal Judiciaire de Villefranche-sur-Saône, en collaboration avec l’association TANDEM. Bande-son, scénario... tout a été écrit par Orlane Duvernay, chargée de mission en matière de lutte contre les violences intrafamiliales. Tout est fait pour plonger les participants dans des drames souvent cachés derrière des portes closes.
Grâce à cet atelier pédagogique, les participants découvrent aussi des outils de compréhension comme le "violentomètre". Une véritable échelle pour analyser une relation amoureuse, toxique ou non. Après le recueil de preuves, les enquêteurs du jour doivent rendre compte au Procureur de la République.
Si Cyril a aussi voulu participer à cet escape game, c'est notamment pour "découvrir l'univers de l'enquête". Mais pas seulement. "C'est un sujet (celui des violences intrafamiliales) qui m'interroge. Aujourd'hui, on voit qu'il y en a énormément. Les langues se délient aussi, on en entend de plus en plus parler. C'est un sujet qui touche toute la société", explique-t-il. Le jeune homme reconnaît l'utilité de ce stage, "pour pouvoir conseiller et orienter les victimes".
En 2024, le constat est sans appel. Les féminicides sont toujours une réalité, les violences intrafamiliales restent difficiles à dénoncer et à combattre. "C'est tout le problème, les violences conjugales restent aujourd'hui encore taboues. La parole se libère doucement et en parler reste compliqué pour les femmes. En 2023, les plaintes pour violences conjugales ont augmenté de 10%. C'est peut-être l'effet d'une libération de la parole, mais c'est toujours très présent", explique Orlane Duvernay.
Marquer les esprits et sensibiliser
Au-delà des conférences, des expositions ou des audiences, avec cet atelier, "l'idée était de trouver un nouveau moyen de sensibiliser et de pouvoir immerger les participants au cœur de ces violences. En les plongeant au cœur de l'histoire d'un couple, on espérait pouvoir les sensibiliser, pour qu'ils puissent acquérir les bons réflexes et en parler autour d'eux. L'idée était de marquer et d'innover", indique Orlane Duvernay.
Si les participants marchent dans les pas des enquêteurs, ils cheminent aussi avec la victime. À travers cette immersion, ils découvrent aussi les démarches qui permettent de dénoncer ces violences et de se protéger, les différentes associations et dispositifs d'aide aux victimes ou encore la chaîne pénale.
"Les violences conjugales, on en parle depuis un petit moment déjà. C'est compliqué pour nous de renouveler notre communication et de ne pas lasser les gens", confirme Laëtitia Francart, Procureure de la République. Cette immersion sur les violences conjugales permet d'appréhender cette problématique sur un volet plus léger, mais vise à marquer les esprits.
"Les participants vont s'impliquer davantage dans le jeu. Ça va être plus interactif. Avec cet escape game, ils vont appréhender toutes les formes de violences... on veut les amener à une prise de conscience et à échanger avec les professionnels présents aujourd'hui (...) "On attend aussi de la société civile qu'elle puisse jouer un rôle de vigie, un premier relais pour dénoncer ces violences. On sait que toutes ne sont pas portées à la connaissance de la justice", conclut la magistrate. Sensibiliser permet aussi d'améliorer les alertes.
Quelques chiffres
Entre 2023 et 2022, le nombre d'affaires traitées par le tribunal de Villefranche a augmenté, passant de 571 à 612 nouveaux dossiers (+7%). Sur les cinq tribunaux qui composent la cour d'appel de Lyon, c'est une augmentation de 13% du nombre d'affaires en 2023 (8817 contre 7783 l'année précédente). Les réponses pénales données se sont soldées par un passage devant le tribunal correctionnel pour 64% des affaires à Villefranche-sur-Saône et plus de la moitié (58%) était des procédures rapides avec défèrement de l'auteur des faits de violences. Le reste des dossiers ayant fait l'objet d'alternatives aux poursuites. Le ressort de Villefranche-sur-Saône a enregistré deux féminicides ces deux dernières années.