Le saviez-vous ? Les jonquilles d'Auvergne sont très prisées des grands parfumeurs

Jour du muguet et de défilé, le 1er mai est aussi la période où l’on cueille les jonquilles et les narcisses dans le massif du Mézenc, entre Haute-Loire et Ardèche, un trésor naturel très prisé des grands parfumeurs.


Stanislas Peyronnet est accompagnateur en montagne à la belle saison et moniteur de ski aux Estables en Haute-Loire en hiver. Entre les deux, il pratique la cueillette des jonquilles et des narcisses au printemps. Une activité traditionnelle dans les prés du Mézenc, côté Haute-Loire comme côté ardéchois, à la période du 1er mai.

« Je profite de la nature »


Stanislas se souvient : il a commencé à ramasser les jonquilles lorsqu’il avait une douzaine d’années, quelques heures seulement, pour se faire un peu d’argent de poche. A la main tout d’abord, puis au râteau. Aujourd’hui, une vingtaine d’années plus tard, il parcourt toujours les prés en fleur chaque printemps mais désormais équipé d’un drôle d’engin artisanal : un grand peigne en métal monté sur un chariot à roues.
« Ça me change de mon activité avec les clients, dit-il, là je suis seul et je profite de la nature, parfois j’ai la chance d’apercevoir un busard cendré, une espèce de rapace assez rare. Je pars pour la journée avec mon pique-nique, j’apprécie d’être au grand air ».
La belle photo bucolique, le cueilleur solitaire qui arpente les prés jaunis et embaumés par les effluves de jonquilles et de printemps. Mais la réalité est un peu plus nuancée. « Je travaille près de 10 heures par jour, raconte Stanislas, ce qui représente une trentaine de kilomètres parcourus avec mon chariot qu'il faut vider tous les 30 mètres et je ramasse jusqu’à 350 kilos de jonquilles les bonnes journées et de 150 à 180 kilos de narcisses ; c’est sportif, on dort bien  ! ».
Lui, il pousse à la main ce chariot monté sur des roues de vélo quand d’autres utilisent un quad. A chacun sa philosophie. « Le plus dur, ce sont les prés en pente, lorsqu’il faut remonter les sacs de fleurs de 30 ou 40 kilos sur le dos »

Gagne petit


Jean-Paul Rique n’est pas un enfant du pays, mais il est tombé sous le charme de ce massif du Mézenc, un peu âpre et dur à la tâche. Il est à l’origine de la « Mémoire Retrouvée », un collectif pour faire revivre le passé Establain, ses us, ses figures.
Dans un article consacré à la cueillette des plantes, il écrivait en 2016 :
« Dans ce village de "gagne petit" où souvent les deux ou trois vaches que l'on possédait ne suffisaient pas pour faire bouillir la marmite d'une famille souvent nombreuse, plusieurs petits métiers permettaient de ramener quelques sous dans la cagnotte. Parmi eux, le ramassage des plantes occupait hommes et femmes ».
Cette tradition se pratiquait, confirme t-il, « dans les départements ruraux pour arrondir les fins de mois. Aux Estables, il pouvait y avoir des familles de 12 voire 15 enfants, les gens n’étaient pas malheureux mais très pauvres ».
Alors, au fil du temps, les habitants se sont mis à ramasser et faire commerce de nombreux produits de la terre : des plantes comme l’arnica, le millepertuis, la reine des prés ou la gentiane, des lichens, des myrtilles et même des cônes de sapins et de pins pour leurs graines.
« La jonquille et le narcisse, utilisés en parfumerie sont des cueillettes plus récentes », dit-il, sans pouvoir donner une date précise. Peut-être remontent t-elles au milieu du 19ème siècle, pense t-il. Toujours est-il que « le laboratoire Herbo Velay, créé par la famille Pagès au Puy-en-Velay,  était souvent le donneur d’ordre du secteur jusque vers 1950 ».

Le rôle du leveur


Ce printemps, la nature était particulièrement en avance et les jonquilles ont fleuri à partir de début avril. Malheureusement, avec la situation sanitaire, il n’y a eu aucune demande de la part des parfumeurs de Grasse à qui sont destinées les cueillettes . « Sans doute l’industrie des parfums a t-elle été réquisitionnée pour fabriquer des gels hydro alcooliques », suppose Stanislas Peyronnet qui espère se rattraper dans quelques jours sur les narcisses, après la fin du confinement.
En fait, il travaille pour un intermédiaire qui collecte les fleurs et les livre aux commanditaires : le « leveur », selon le même principe que pour la dentelle.
« Le leveur, c’est un mandataire, il n’y a pas de contrat, ça se faisait par connaissance comme pour le rebouteux ou le guérisseur », indique Jean-Paul Rique.
Il a retrouvé aux Estables la trace de « la Tounioune », Rosette Eyraud, qui était de 1939 au début des années 50 la leveuse de plantes la plus connue du village !
Stanislas, lui, travaille pour un « leveur » ardéchois, par ailleurs éleveur de bovins. « Il fixe un prix, 70 centimes d’euros le kilo pour les jonquilles et autour de 2 euros pour le kilo de narcisse, il travaille avec 5 ou 6 ramasseurs locaux comme moi, il a aussi ses propres cueilleurs. Pour les plus beaux champs, il va négocier directement avec les propriétaires à qui il donne une part de la rémunération », explique Stanislas.

Un bonus et une cueillette parallèle


« La saison est très courte, autour d’une semaine pour les jonquilles et quatre ou cinq jours pour les narcisses », poursuit-il, alors « ce n’est pas un revenu assuré, plutôt un bonus ». « Le narcisse est plus prisé mais parfois il n’y a pas de demande pour la jonquille et puis tout dépend des conditions météo, il peut neiger fin avril ou début mai ». Il constate aussi que l’agriculture moderne et en particulier l’utilisation de la chaux pour fertiliser les prés est très préjudiciable pour les narcisses.
Quant à l’utilisation précise de ces fleurs sauvages des montagnes de Haute-Loire et d’Ardèche, c’est Jean-Paul Rique qui en donne l’explication :
« À Grasse, chez les producteurs d'huiles essentielles, les fleurs sont rapidement concentrées par extraction avec un solvant volatil en concrète qui se présente comme une pâte. Cette concrète est ensuite transformée en absolue par dissolution dans l’alcool, filtration à 0°C et concentration sous vide. Livrée ensuite aux grands parfumeurs, cette huile essentielle sera utilisée dans de savants mélanges pour confectionner des parfums de luxe. Il faut de 1 500 à 2 000 kilos de fleurs pour obtenir un kilo d'absolue ».
Aujourd’hui, non seulement cette activité de « gagne petit » pour certains n’a pas disparu, mais elle donne parfois lieu à quelques tensions. « Il y a des marchés parallèles et certains champs de jonquilles et de narcisses sont ramassés la nuit, sans aucune autorisation, il y a des réseaux, un peu comme pour les champignons », constate Stanislas, qui lui, n’oublie jamais d’offrir une bonne bouteille ou un bon fromage aux propriétaires des prés où il va faire sa cueillette.
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