Dans les alpes françaises, italiennes ou suisses, le constat est identique : il est chaque année plus difficile de recruter des bergers. Les années Covid ont encore amplifié la désaffection pour les métiers du pastoralisme. Pour pallier cette crise des vocations, les alpagistes des trois pays de l'arc alpin viennent de créer une bourse de l'emploi des bergers.
"Vous imaginez l'embroussaillement rapide que pourrait provoquer une disparition des troupeaux sur le millier d'alpages occupés l'été ?". De son bureau haut-savoyard de la Société d'économie alpestre (SEA74), Antoine Rouillon ne prend pas à la légère les difficultés qui pèsent sur le recrutement estival des bergers.
"Ce n'est pas seulement un phénomène conjoncturel auquel nous sommes confrontés, reprend-il. Le Covid n'a certes rien arrangé, mais on est passés depuis quelques années déjà, d'un système de recrutement qui se faisait plutôt dans la sphère familiale des bergers ou des propriétaires de troupeaux, à une sorte de crise des vocations."
Des repoussoirs : l'isolement et des logements spartiates
Dans le monde du pastoralisme, nul n'ignore la nature de certains blocages qui agissent comme des repoussoirs sur les candidats bergers. L'isolement en altitude, les conditions d'hébergement, parfois modestes ou partagés, ont déjà fait fuir nombre de bergers potentiels et d'employés de laiteries d'altitudes ou d'ateliers fermiers de fabrication de fromage.
"On a vraiment du mal à recruter et on se pose sérieusement la question de trouver des solutions à ces freins en poussant par exemple les propriétaires à améliorer les conditions de logement ou à élever le montant des rémunérations. D'autant qu'avec l'augmentation des prédations par les loups, la nécessité de bien garder les troupeaux devient une question de survie", explique Antoine Rouillon.
"La grande crainte de cet été en alpage risque d'être celle du berger qui se casse la cheville", ajoute Clément Teppaz, son homologue de la SEA en Savoie. Un accident qui serait suivi, sur nombre d'alpages savoyards, d'un casse-tête pour trouver le remplaçant de l'infortuné berger.
Italie : SOS bergers du Maghreb
Dans le panel des solutions recherchées par la profession, il y a bien sûr la formation. Une quinzaine de nouveaux bergers sont, cette année encore, sortis des trois centres de formation de la Motte-Servolex (Savoie), de La Côte-Saint-André (Isère) et de Die (Drôme).
Il y a la formation "Berger-Vacher d'alpage" par exemple, 810 heures au total, dont 8 semaines en alpage. Parmi les conditions requises : "alimenter et assurer le suivi sanitaire du troupeau", mais aussi "gérer sa vie en alpage".
Et le taux de réussite pour trouver un emploi à l'issue de la formation en dit long sur les besoins en main d'œuvre du secteur, puisqu'il est de 100%.
"Nous n'en sommes pas encore réduits comme nos voisins de la vallée d'Aoste, à aller chercher de la main d'œuvre au Maghreb, se rassure Antoine Rouillon. Mais force est de constater que nous devons accentuer nos efforts pour recruter toujours davantage hors du monde agricole".
Et même hors des frontières pour ses homologues italiens de la vallée d'Aoste. Interrogé par le quotidien La Stampa sur les mêmes difficultés à recruter, le président du syndicat agricole italien Coldiretti n'hésite plus à sonner l'alarme pour cet été. "Si le ministère de l'Intérieur italien n'accorde pas rapidement les autorisations d'entrée sur le territoire au quota de 42 000 travailleurs du Maghreb prévu pour le secteur agricole, cela risque de mettre en extrême difficulté de nombreux éleveurs", a déclaré Alessio Nicoletta, le président de la branche valdôtaine de la Coldiretti.
Une urgence d'autant plus forte qu'au niveau italien, ce sont des demandes d'autorisations pour faire venir 100 000 travailleurs hors Union Européenne (UE) qui ont été faites pour l'ensemble du secteur agricole. "La présence de travailleurs étrangers est devenue structurelle pour nous : près de 30% des journées de travail dans le secteur agricole sont effectuées par des étrangers", selon Alessio Nicoletta. Ils seraient même devenus "indispensables" à la vie des alpages dans la vallée d'Aoste, où une soixantaine de ressortissants des pays du Maghreb sont toujours attendus pour cet été.
Une bourse de l'emploi pour les bergers, du Léman à la Méditerranée
Si les Italiens démarchent en Afrique, les Suisses, eux, recruteraient plutôt leurs alpagistes en Roumanie. Mais le plus simple, hors situation d'urgence, c'est encore de chercher à susciter de nouvelles vocations autour de soi.
D'où la création ce mois-ci d'une "bourse emploi des bergers", une sorte de "Pôle Emploi" pastoral transfrontalier. Sa particularité : elle regroupe les offres d'emplois pour tous les bergers potentiels, intéressés pour travailler dans les alpages des régions françaises (Aura et Paca), italienne (Vallée d'Aoste), mais aussi des cantons suisses du Valais, de Vaud et de Fribourg.