La dernière vente a eu lieu ce mercredi 19 décembre. André Garin, précurseur du bio, il y a 40 ans, et personnage aixois incontournable, a dit au-revoir au nombreux habitués de la ferme des Eaux Vives.
On aurait pu mettre ce titre à cet article : "Au-revoir André", tant l'homme était apprécié et sa ferme visitée. Autour d'un dernier verre - de vin chaud - André Garin a retrouvé ses proches et voisins. La ferme des Eaux Vives, c'est une institution dans le quartier de Choudy, et bien au-delà.
"C'est dommage", déplore Eloïse son petit garçon dans les bras. "On venait chaque mercredi, il y avait une bonne ambiance, André et Marie-Laure (son épouse) étaient adorables et les enfants aimaient voir les poules. C'est dommage que personne ne reprenne la ferme."
Même constat pour Jeanine, la voix étranglée par des sanglots refoulés : "j'en ai les larmes aux yeux, on va avoir du mal à retrouver une personne comme André Garin. C'est bien pour eux qu'ils prennent une retraite bien méritée, mais pour les clients ça va être difficile".
Jeanine vient à la ferme depuis toujours, elle a même connu François, le père d'André Garin. Un militant syndical qui a oeuvré pour le développement de l'agriculture d'après-guerre, et qui a transmis son approche humaniste à son fils. Ce matin là, c'est à lui qu'André pense tout particulièrement, et aux cinq générations d'agriculteurs qui l'ont précédé.
"Autour de la ferme, il y a avait à peu près un hectare à l'époque. On cultivait des vignes, on élevait des vaches, on produisait du lait", raconte André Garin. Et puis le temps a passé, les habitations ont "grignoté" les terres. De moins en moins de parcelles à cultiver, la loi du béton. "C'est comme ça", se résigne-t-il, "ce n'est pas la faute des maires, de droite ou de gauche, c'est inexorable, il faut construire".
Presque un soulagement :
Ces derniers jours, André Garin a mal dormi. Et puis ce matin, le premier mot qui lui est venu à l'esprit, c'est "liberté". "Je vais être enfin libre, j'avais tout le temps du souci pour mon travail, tout le temps. Ce métier d'agriculteur, il a été abîmé, comme tout le reste. La nature a besoin de sérénité, de calme. Aujourd'hui on nous demande tout l'inverse, la rapidité, le top qualité, de beaux légumes. On ne peut pas adapter l'agriculture au régime général, c'est impossible".
Dans sa cuisine, il feuillette quelques vieilles photos avec Marie-Laure, son épouse. "C'est marrant, on a retrouvé ce carton de photos, au moment où on ferme". Sur l'une d'elle, on reconnaît le maraîcher, look très seventies. En 1968, le tout jeune André Garin quitte ses études de lettres pour aider son père à la ferme. Une révélation. Et un engagement, pour la culture biologique. "Pas dans une démarche écologique", explique-t-il, "de nombreux amis de mon père étaient malade, c'était vraiment pour la santé au départ".
Jusqu'en 2000, la ferme Garin tient ses promesses. C'était fou, mais il y est arrivé. "Sans doute parce que je n'ai jamais fait d'études agricoles, j'avais l'inconscience des passionnés. Et la passion m'a porté très longtemps."
Aujourd'hui, André Garin a des inquiétudes pour l'avenir. Il a trois enfants, aucun ne prendra la relève. La métier est trop difficile, et il ne les a jamais poussé à devenir agriculteur. S'il s'inquiète, c'est parce que ce métier de la terre ne peut pas s'adapter au monde d'aujourd'hui. La société doit faire l'inverse. "L'agriculture, c'est le Moyen-Age" dit-il, " il faut comprendre ça. Et il faut donner aux jeunes les moyens de réussir".
Que dire à ceux qui se lancent dans l'aventure ? "Travailler ensemble, réfléchir ensemble. L'agriculture, ce n'est pas seulement changer de vie, il faut en vivre". L'agriculture (bio ou pas) dans les pays en voie de développement illustre bien ce conseil, l'avenir passe peut-être par le regroupement en coopérative. Il est en tout cas très difficile pour une petite structure de subsister, seule. Il y a encore quarante ans, 77 exploitants se partageaient la terre aixoise. Avec le départ d' André Garin, il n'en reste plus qu'un.