Vingt stations de ski françaises sur plus de 250 ont obtenu le Flocon Vert, décerné par l'association Mountain Riders, basée à Chambéry. On fait le point sur ce label qui récompense les efforts des territoires engagés dans la définition d'un nouveau paradigme en montagne.
Le modèle a fait ses preuves depuis plus de cinquante ans : dix millions de touristes par an, 120 000 emplois et un chiffre d'affaire évalué à dix milliards d'euros dans les territoires de montagne. Le ski fait recette en France. Mais le modèle est vieillissant. Et il vieillit mal dans un contexte de réchauffement climatique, au moment où chacun est invité à regarder en face son empreinte carbone. La neige, ce n'est pas fini mais elle se raréfie. Toutes les données le montrent. Il faut donc changer de paradigme et enclencher la mutation des stations.
Ce constat, Mountain Riders l'a fait depuis plus de quinze ans. D'abord focalisée sur le ramassage et la gestion des déchets en montagne, l'association chambérienne a créé un éco-guide des stations publié à partir de 2006. Et puis, en 2011, elle a décidé "d'aller plus loin" en créant Flocon Vert, un label axé sur le développement et le tourisme durables. "Plutôt que de montrer uniquement ce qui va ou ce qui ne va pas, on voulait accompagner les territoires pour faire mieux en leur apportant notre expertise", explique Yann Lamaison.
"Le modèle ski est vraiment ancré avec de forts enjeux économiques. C'est un modèle sur lequel les stations se sont construites, donc ce n'est pas facile de le faire évoluer rapidement, maintenant il y a plein de leviers à activer pour penser les stations de demain", ajoute le porte-parole de Mountain Riders.
Pour l'association, un autre monde du ski est possible. "Il faut construire un autre imaginaire et imaginer les stations comme un lieu de vie et pas seulement comme un lieu de consommation centré autour de la pratique du ski". Des stations "le moins carbonées possible avec un travail sur la mobilité, sur la rénovation énergétique des bâtiments, et quel usage on veut faire de ces bâtiments".
Vingt stations labellisées, dix-huit en attente
La mue semble en cours, même si toutes n'avancent pas au même rythme. Vingt stations sont désormais estampillées Flocon Vert en France sur un total de 250, dont 16 dans les Alpes du Nord.
Elles ont répondu aux vingt critères établis par Mountain Riders en termes de développement durable, de mobilité, d'économie locale mais aussi de patrimoine, de culture et de gouvernance. Le processus est le fruit d'un long accompagnement dispensé par l'association.
Il peut parfois prendre plus d'un an : après un premier diagnostic établi par Mountain Riders, un audit est réalisé par un cabinet indépendant puis le dossier de la station passe devant un comité de labellisation qui regroupe Mountain Riders, l'Ademe, Atout France, l'Universite Savoie Mont-Blanc et Acteurs du Tourisme Durable.
Actuellement, dix-huit stations de plus sont en cours de labellisation. Chamonix, de son côté, a été l'une des premières à obtenir le Flocon Vert en 2013.
"Le Flocon Vert, c'est une sorte d'attestation que la destination fait une série d'efforts. Cela permet de voir comment on progresse et cela nous oblige à travailler en tant que collectivité avec l'office de tourisme et aussi avec nos domaines skiables, ensemble, de front", explique Hervé Villard, en charge de la transition écologique à la mairie de Chamonix.
Une station sur dix a réalisé son bilan carbone
D'après Domaines Skiables de France, 11% des stations ont réalisé leur bilan carbone en 2022, une bonne moitié l'ont planifié et 44% n'ont pas encore enclenché la démarche.
Le syndicat des exploitants de remontées mécaniques a développé une charte éco-responsable pour réduire ses consommations d'énergie dans le damage des pistes et l'usage de ses installations. Des gains nécessaires mais finalement à la marge sur la réduction des gaz à effet de serre. Car c'est la mobilité des touristes qui pèse le plus lourd dans l'empreinte carbone des territoires de montagne en hiver.
Et si les collectivités locales n'ont pas souvent la main sur les infrastructures ferroviaires, elles tentent à leur niveau d'engager une démarche raisonnée.
Viser une clientèle européenne pour privilégier les déplacements en train
A Chamonix, on a donc fait le choix de "limiter notre promotion aux pays accessibles en train", indique Hervé Villard. "Aujourd’hui on ne fait plus de promotion sur les marchés lointains : on a fait le choix de ne pas aller chercher des clients japonais ou indiens car il faut prendre conscience que les voyages en avion pèsent énormément sur l'empreinte carbone".
"On avait le choix : on pouvait aller faire un salon au Brésil. Mais on s'est dit qu'il valait mieux réinvestir le marché allemand et faire des salons à Munich plutôt que d’aller travailler le marché brésilien ou américain ou sud-africain", renchérit Olivier Duch, premier adjoint au maire de Tignes. La station savoyarde a obtenu son Flocon Vert à l'automne 2022.
La démarche a toutefois ses limites car les élus ne peuvent pas décider de la promotion commerciale réalisée par de gros opérateurs touristiques ou des groupes hôteliers sur leur territoire. "En période un peu plus creuse, les hôteliers sont tentés de remplir leurs établissements avec des clients venus d'un peu plus loin. Ce n'est pas ce que je souhaiterais à titre personnel. Mais ce sont des sujets qui ne sont plus tabous", indique Hervé Villard à Chamonix.
Une fois sur place, les stations tentent de trouver des solutions de transport collectif pour inciter les touristes à ne pas utiliser leurs voitures, en multipliant les rotations des navettes par exemple. Hervé Villard rappelle que dans la vallée de Chamonix les transports publics sont gratuits.
Neige de culture : pour ou contre ?
Reste le dossier épineux de la production de neige. D'après le baromètre du ski Ipsos commandé par les acteurs du ski en début d'hiver, l'adhésion des Français à la neige de culture est en recul. 53% d'entre eux trouvent "légitime que les stations produisent de la neige pour conserver leurs activités et faire vivre les massifs et les vallées, soit un recul de 10 points par rapport au niveau mesuré l’an passé", admet Domaines Skiables de France.
Cette année la station des Gets et celle de La Clusaz ont vu leurs canons à neige vandalisés.
Le label Flocon Vert ne garantit pas qu'une station n'utilise pas de canons à neige ou qu'elle ne pratique pas le stockage de neige sous bâche (snowfarming). Il assure que le territoire en fait un usage maitrisé.
A Cordon, un village-station de Haute-Savoie dont les pistes sont situées à mille mètres d'altitude, on assume. Cet hiver, la station n'a ouvert qu'une semaine à Noël. Elle a été remise en service autour du 20 janvier et restera ouverte jusqu'à la fin février.
Usage raisonné
"Les canons à neige font partie du décor et de l’économie rhônalpine", estime François Paris, premier adjoint au maire de Cordon et président de Cordon Tourisme. "Entre le 15 novembre et le 15 décembre on a lancé de la production de neige de culture. Avec les prévisions de températures, on a vu qu’on ne pourrait plus produire à partir du 10 décembre, donc on n'a pas étalé nos tas. On les a conservés sous forme de tas (pour empêcher la fonte rapide de la neige), ce qui a fait parler parce que forcément quand vous voyez des gros tas de neige et qu’on vous dit que la station n’est pas ouverte, cela peut faire discuter certains acteurs mais on est sur une approche raisonnée".
A Tignes, l'enjeu, c'est la pérennité du glacier et de son usage. "On fait du snowfarming sur le glacier et on a des projets d'étendre ce snowfarming mais sous contrôle parce que même si c'est un bâchage de la neige naturelle, cela a quand même un impact environnemental avec la déperdition de micro-plastiques. Donc tout cela doit être maitrisé", explique Olivier Duch, premier adjoint en charge du développement durable.
D'autres pistes alternatives
Pas question de tirer un trait sur le ski, mais les stations labellisées Flocon Vert se sont engagées à réfléchir à d'autres pistes en diversifiant leurs activités. Les investissements sont donc davantage orientés vers le développement d'alternatives.
A Cordon, le vélo pourrait remplacer le ski lorsque la neige est trop rare grâce à la mise en place d'activités ludiques, de découverte du patrimoine, de cours d'initiation et de location de VTT électriques.
"Le ski génère environ 4,5 millions d’euros de retombées sur Cordon", ajoute François Paris. "L’été, on n’est pas sur ces niveaux-là, donc on ne peut pas dire qu’on va compenser le ski par une autre activité. Par contre, si l’activité 'ski' tend à disparaître il faut avoir quelque chose à proposer et c’est sur cela que l’on travaille."
Le village souhaite désormais devenir "une destination de découverte et d'apprentissage" en ciblant une clientèle familiale.
A Tignes, "il y a vingt ans, le glacier ouvrait 365 jours par an et puis après on a ouvert dix mois sur douze et maintenant la problématique c'est que l'été ça commence à devenir compliqué mais l'automne aussi. La diversification sur la période estivale est bien entamée", estime Olivier Duch. "On a un projet sur le glacier de basculer du ski à du contemplatif, du pédagogique et du sensationnel avec des passerelles aériennes pour voir le glacier. On sait où on veut aller mais l'automne c'est plus compliqué. Il y a un vrai sujet à travailler", insiste l'élu savoyard.
Séjours longs, population pérenne
La station discute avec les acteurs du ski professionnel notamment pour décaler les semaines de glisse sur le glacier de l'automne au printemps et ainsi limiter la production de neige de culture. "En mai, on a la neige qui est là, c'est beaucoup plus vertueux mais cela demande un changement d'organisation. Le snowfarming permet d'ouvrir partiellement la partie un peu plus basse du glacier dès le mois d'octobre mais seulement pour le ski professionnel et le ski de haut niveau. Ils préfèrent venir à Tignes que d'aller à Ushuaia s'entrainer".
Dans le cadre du développement durable de leur station, les élus cherchent à revenir à un modèle de séjours longs, à la fois pendant les vacances mais aussi en pensant aux télétravailleurs par exemple.
A Chamonix, en parallèle de la démarche Flocon Vert, la commune réfléchit à des solutions pour réduire la production de gaz à effet de serre avec la mise en place d'une centrale de chauffage collective ou la récupération des eaux du tunnel du Mont-Blanc.
Les stations ayant obtenu le label sont réévaluées tous les trois ans. Mountain Riders continue l'accompagnement pour les aider à trouver des solutions durables, voyant le Flocon Vert davantage comme une "feuille de route que comme un outil de communication".
La collaboration plutôt que le clivage
"On ne confond pas météo et climat, c'est-à-dire qu'il y aura peut-être encore des années avec beaucoup de neige et tant mieux et des années où il y en aura beaucoup moins. On n'arrête pas le ski du jour au lendemain. Par contre, on arrête de s'engager dans un modèle de développement uniquement axé autour du ski. On arrête d'investir désespérément dans de nouvelles infrastructures pour développer le ski et on continue de faire du ski quand c'est possible, quand le climat naturel nous le permet. Les années où il n'y a pas de neige, les infrastructures peuvent nous permettre de faire d'autres activités et on peut imaginer une autre forme de tourisme", insiste Yann Lamaison de Mountain Riders.
L'association chambérienne entend les critiques de certains collectifs sur son positionnement : "nous on aime dire qu'on est engagé mais non militant".
Une démarche d'amélioration continue
"On peut être parfois en conflit avec certains de ces collectifs qui aimeraient que cela aille plus vite et on entend cette frustration face à l'urgence climatique. Pour autant, malheureusement parfois la transition prend du temps et on a besoin de les accompagner. Cela ne veut pas dire que l'on vient cautionner tout ce qu'il se passe sur les territoires, cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas qu'on aille plus vite face à cette urgence mais on sait que pour faire évoluer un modèle qui est ancré depuis assez longtemps et bien il y a besoin de temps", assure le porte-parole de l'association de Chambéry.
Elle réfute en revanche les accusations d'écoblanchiment, communément appelé "greenwashing", qui pourraient être adressées aux stations sous label Flocon Vert, mettant en avant son cahier des charges réactualisé tous les cinq ans.
"Le label, cela ne veut pas dire que l’on est parfait mais que l'on est en amélioration continue", résume François Paris, premier adjoint au maire de Cordon.