Coronavirus COVID 19. En Savoie, chroniques d'un confinement d'en haut : "Le printemps français" - (Jour 1 à 6)

Laurent Guillaume, présentateur du Magazine de la Montagne depuis plus de 20 ans, propose tous les jours ses "chroniques d’en haut" en attendant la fin du confinement. Il raconte avec authenticité et parfois humour le quotidien des habitants de sa vallée perchée de Savoie.

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C’est à Valloire, commune située en Maurienne (Savoie) que Laurent Guillaume passe cette période de confinement, dans un hameau perdu situé à 1 700 mètres au dessus de la station. Ici, l’isolement est dans la nature des choses. 

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Dimanche 22 mars 2020 - Jour 6

Hier, c’était le printemps. Et ce printemps français a une drôle d’allure. Aucun reportage dans les journaux sur les premiers bourgeons, sur les terrasses de café pleines à craquer, les glaciers qui se frottent les mains. Pourtant, il fait beau. Mais le printemps, cette année : tout le monde s’en fout. Pas la tête à ça… Tout ce qui semblait rythmer notre vie il y a si peu n’a plus d’importance. J’allume la télé, comme chaque matin. 

Le décompte macabre quotidien est entrecoupé de publicités pour des bagnoles, une compagnie aérienne qui nous encourage à visiter les Antilles, la Réunion, la Guadeloupe, ou encore du parfum, néanmoins utile en ces temps de promiscuité. Mais rien d’autre, si ce n’est les Pompes Funèbres, confrontées à un pic d’activité inattendu. Pardonnez mon cynisme, mais alors que chacun ne pense qu’à nourrir sa famille et à "survivre" -au moins moralement - à ce confinement sans précédent qui concerne à ce jour 900 000 000 de Terriens, la pub pour les bagnoles sonne comme le dernier concert du Titanic. La société de consommation apparait pour ce qu’elle est, sans fard. Dès lors que le souci de chacun est de "survivre" -j’emploie ce terme très fort au sens philosophique - voir des pubs pour des bagnoles crée un sacré décalage. Et si cette sale période devait durer encore plus longtemps, ce décalage deviendrait plus insolent encore. Nous verrons bien. Je n’ai aucune leçon à donner. Enfant des années 70, élevé aux trente glorieuses et à la pub, j’ai participé avec délectation à cette consommation. Je m’interroge juste sur le sens de tout cela, parce que le contexte nous le renvoie - et avec élan !- dans la figure. 

Si regarder la télé interroge sur ce sujet, observer la montage, ici, dans ce hameau perdu, n’arrange pas les choses. Les mélèzes, les animaux, vivent leur vie comme d’habitude, en subissant les affres de la nature qui, vous le savez bien, est aussi une marâtre. Le gel trop tardif, les vagues de chaleur, les sécheresses et la loi du plus fort qui bouffe le plus faible sont leur réalité. L’harmonie qui s’en dégage néanmoins laisse songeur. Les animaux obéissent à des lois qui les dépassent, dictées par leur instinct, et la nécessité de maintenir les équilibres. Il n’y a aucune violence, aucune angoisse à voir l’aigle fondre sur un mulot, qui, s’il en réchappe, a toutes les chances de se faire croquer plus tard par le renard. Ils n’ont pas la télé pour savoir comment c’était avant. Ni comment ça sera après. C’est la loi de la nature. Nous avons essayé d’y échapper, mais la nature nous rattrape. 

Le printemps n’aura jamais été aussi discret. Personne n’en parle, peu le remarquent. D’abord parce que la neige résiste encore, les marmottes hibernent toujours dans une confortable ignorance de ce qui se passe chez les humains, et d’ailleurs rien de tout cela ne les affectera. A l’échelle du Temps, notre importance est anecdotique. La preuve : une merde de quelques nano-micro-millimètres arrive à mettre une grande partie de l’humanité sous cloche.

Comme la marmotte, le renard s’en fout, et est venu chercher son os de pot au feu cette nuit sous le sapin. Notez que, du coup, j’ai peut-être sauvé un mulot. Chance inouïe : j’étais dehors à ce moment-là. En train de pisser sous la voûte étoilée, songeur face à Vénus qui brille de mille feux en ce moment. J’appris ainsi qu’une photo animalière ne se fait pas d’une main. Le renard était bien là. Croyez-moi sur parole !  

 

Samedi 21 mars 2020 - Jour 5

Maintenant, et malgré cet étrange sentiment partagé par beaucoup ici de vivre par-dessus les nuages, isolés naturellement par les cols qui entourent Valloire, tout le monde ici a pris conscience des enjeux. Chez les commerçants, chacun respecte les distances de sécurité bien au-delà du mètre d’espacement requis : il y a de la place. Mais la prise de conscience est maintenant totale. Et personne ici ne songe à se satisfaire du cadre de vie autrement moins stressant que celui des citadins, qui, tout le reste de l’année, font vivre ce village tourné depuis plus d’un siècle d’abord sur les échanges grâce au Galibier, puis sur le tourisme. Le sentiment de solidarité est total et chacun apporte ce qu’il peut pour aider. Ce matin, on me demande si j’ai des gants en latex. Une collecte est organisée pour le personnel de l’Hôpital de Saint Jean de Maurienne. Tout à l’heure, une voiture klaxonnera dans mon hameau. Je poserai les deux sachets de gants en latex que j’utilise parfois pour faire le ménage (c’est peut-être pour ça qu’il m’en reste) et la voiture descendra à Saint Jean apporter le fruit de cette collecte au personnel soignant. La réalité me fouette le visage. Tout ce qu’on voit à la télé prend soudain l’amer goût de la réalité. Et le cadre agréable ne peut rien y faire. 


C’est le week end !!!

Ne pas trop y penser, se changer les idées. En plus : c’est le week-end d’après le calendrier qui n’a aucun sens ici, mais pour tout vous dire : je l’ai remarqué par l’absence de notre audioconférence quotidienne avec le service des programmes.

Chouette, on va se balader ? Ben oui…Mais non.

On se fait un restau ? Ben oui… Mais non.

On va voir Mamie ? Ben oui… Mais non.

Une pétanque ? Ben oui… Mais non.

Un cinéma alors ? Ben oui… Mais non. 

Un apéro avec les voisins ? Ben oui… Mais non.

…Un jeu de société entre nous ?  Ah ! En voilà une bonne idée ! 

Sauf que mon co-confiné n’a rien trouvé d’autre que d’amener un  jeu nommé « Pandemic », qui consiste à empêcher un virus mortel de conquérir le monde. 

Vivement lundi ! 


Vendredi 20 mars 2020 - Jour 4

Ne pas culpabiliser

Un de mes potes vient de me dire qu’on est vendredi. Déjà. Ou seulement… C’est selon. Il faut dire qu’ici le calendrier a quelque chose d’inutile, les jours se ressemblent tous et mis à part la fermeture des commerces du village, un dimanche hors saison est aussi tranquille qu’un lundi matin aux heures de pointe partout ailleurs. Alors vendredi, on s’en fout. En revanche, savoir qu’on est le 20 mars et que tout laisse penser que le 20 avril rien n’aura bougé dans la situation de notre pays donne plus volontiers le vertige. J’allume une chaine info. 

Et je n’aurais pas dû. Les premiers jours de cette expérience pénible et inédite pour tous m’avaient laissé penser que les circonstances sauraient faire ressortir le meilleur de chacun. J’étais ému aux larmes lors de l’annonce d’un confinement sévère et durable. Emu aussi lorsque les vidéos du Clapping quotidien en hommage aux personnels soignants me parviennent jusqu’ici, avec, pour la première fois, un sentiment un peu particulier : celui de ne pas pouvoir participer à ces élans de solidarité communs. Le type qui sort dehors à 20h pour applaudir seul dans la nuit noire ne peut que déranger le renard. Mais sur cette chaine info, j’entends dire que des messages circulent comme au bon vieux temps, haineux et jaloux vis-à-vis des "partis" versus les "restés", en clair : ceux qui pouvaient passer cette sale période au vert, et ceux qui ne pouvaient pas. 

D’ailleurs, sur les réseaux sociaux, avez-vous remarqué à quel point ces circonstances si dramatiques pour la vie de notre pays ont décuplé le nombre de conneries souvent très drôles que l’on s’échange tous les jours ?

Les circonstances ont fait que je suis un privilégié et conscient de l’être. Et croyez-moi, je suis profondément conscient du drame que vivent ceux qui ont perdu leurs proches, qui affrontent cette saloperie, ou qui doivent vivre enfermés dans de petits espaces. C’est aussi pour ça que j’ai pris le parti d’en rire, et si possible, de vous faire marrer aussi. Ça sera ma forme de solidarité. N’y voyez aucune légèreté. D’ailleurs, sur les réseaux sociaux, avez-vous remarqué à quel point ces circonstances si dramatiques pour la vie de notre pays ont décuplé le nombre de conneries souvent très drôles que l’on s’échange tous les jours ? Des vidéos et des délires souvent à base de papier Q, cette étrange obsession nationale du moment. Sur notre réseau professionnel à France 3, les messages sérieux et super pros des premiers jours laissent place à des "Bonsoir à tous", "C’est l’apéro !", "Comment ça va ?" et franchement qu’est-ce que c’est bon. On se surprend même à souhaiter une bonne nuit à des collègues avec qui on parlait à peine, et à envoyer des bisous à la patronne… 

Ne pas culpabiliser. Mais quand même…

Donc non, je ne culpabiliserai pas d’avoir eu la chance de passer ce confinement à la montagne. Après, y’en a quand même un qui ne doit pas être fier aujourd’hui, s’il est toujours parmi nous. C’est le type qui a vu un pangolin derrière sa cabane et qui s’est dit : "Tain’, ça a l’air bon ce truc. ‘Vais le bouffer…" Dommage qu’une écaille ne lui soit pas restée en travers du gosier. J’espère pour lui qu’il n’a pas la télé…

Garder l’esprit vif

Donc, assumer d’être là, ok. Mais il faut aussi assumer l’ennui qui pointe son nez par moment, et qui risque fort d’être plus présent dans notre quotidien que la modération à l’apéro. Le télétravail ne fait pas tout, et, je vous le rappelle : il est interdit, à juste titre, de sortir en montagne. Comment garder l’esprit sain dans un corps sain dans ces conditions ? Pour le corps sain c’est mort, un de mes co-confinés est restaurateur, et on a déjà mis une claque en quelques jours à son stock qui n’est pas perdu pour tout le monde. Essayons donc de sauver l’esprit. Restons curieux et scientifiques… Regardons la nature, qui a cette incroyable particularité de changer tout le temps en montagne. C’est un lieu commun que de le dire : c’est fou ce que la montagne change... ! Oui, mais alors, à son rythme. Et le rythme de la nature n’est pas toujours celui d’un confiné rêvant d’aller aux pissenlits. Démonstration en image…

Jeudi 19 mars 2020 - Jour 3


Au bout du rouleau

Rassurez-vous, tout va bien. Mais les particularités physiologiques de l’organisme humain n’étant pas à l’arrêt, et n’ayant pas fait de stock - plus par insouciance que par civisme je l’avoue -  j’ai ressenti un petit moment de doute lorsque le dernier rouleau du PQ fût entamé ce matin. Les nouvelles du front qui me proviennent de Lyon via ma chère Karine (la Dame de Chroniques d’en Haut) mettent l’accent sur une étonnante mais durable pénurie de papier toilette, aussi irrationnelle que finalement gênante. Face à cette nécessité impérieuse, me voilà donc en train de remplir une attestation de sortie, comme vous le faites tous les jours.
 

Je suis donc, tout comme vous, en train de demander la permission de l’Etat pour aller acheter du PQ.


J’aimerais qu’on s’arrête une seconde sur ce que je viens d’écrire… Je suis donc, tout comme vous, en train de demander la permission de l’Etat pour aller acheter du PQ. Imaginez un seul instant qu’on vous ait dit, ne serait-ce qu’il y a une semaine, que vous seriez obligés, sous peine d’une amende de 135 euros, de remplir un papier pour aller, justement, en acheter. Et qui plus est : sans être sûr d’en trouver. Mine de rien, la capacité de résilience de notre société m’épatera toujours... Bref.

Me voilà donc en route pour le village, situé à 6 kilomètres de mon refuge. Et là, je sens que les choses ont imperceptiblement changé. Il n’y a personne, mais vraiment personne dans les rues. Valloire hors saison c’est déjà tranquille, mais là, malgré un soleil resplendissant, c’est flippant. Et l’étonnante décontraction que j’avais trouvée au début n’est plus tout à fait la même. La boucherie est ouverte mais on attend dehors, le clavier de la Carte Bleue trône sur une tablette loin du vendeur et les prix ont baissé de 30% sur le rayon traiteur (ce qui prouve bien qu’il se passe quelque chose).


Les commerçants sont les plus dépités. Ils avaient fait du stock, je vous rappelle que mars, ici, c’est la pleine saison de ski. Mais ce qui semble leur avoir donné un coup au moral c’est quand ils ont compris qu’aucune randonnée, encore moins à ski, ne pouvait se faire, pas plus ici qu’ailleurs, et que le PGHM faisait des tournées pour vérifier que la montagne est bien déserte. On peut donc prendre l’air et se dégourdir les mollets, mais dans un rayon proche de chez soi, au titre de l’exercice physique. Voyons le bon côté des choses : les chamois et chevreuils sont encore ivres morts à l’heure qu’il est tant ils ont fêté la nouvelle.

L’étau se resserre, même ici, en montagne. Certes le cadre est agréable, mais aux emmerdements et à l’inquiétude inhérents au contexte s’ajoute désormais la seule chose que les citadins n’auront pas à subir : le supplice de Tentale.

J’arrive à la supérette. Il y a du PQ. 
…Non, tout va bien, en fait. 

Et en plus, il fait beau !

Le temps est splendide exactement depuis le début de l’affaire du virus. A croire que l’infiniment petit et le Très Grand se sont mis d’accord pour nous infliger la loi de l’emmerdement maximum. Et j’ai une pensée sincère pour les habitants des régions du nord qui ont subi un défilé exceptionnel de perturbations et de tempêtes cet hiver, avant de devoir rester chez eux dès qu’il recommence à faire beau. 

Ici, au hameau, l’altitude rend le soleil indispensable à cette saison. Le petit vent frais du Galibier, omniprésent dans cette vallée, rafraîchit vite l’ambiance et rappelle volontiers que la montagne reste un endroit où tout est exacerbé. Le meilleur comme le pire, la douceur de vivre comme les plus redoutables excès. Pour être honnête, ces derniers m’ont toujours fasciné. Il faut avoir vu une tempête de neige en montagne pour comprendre cette admiration. Un déchaînement de violence, alternant des moments de silence précaire et les hurlements du vent, les tourbillons de poudreuse puis la douceur des flocons qui s’accrochent sur les branches lorsque le front est passé. Mais sans le dégoulinant martèlement de la pluie qui, en plaine, gâche un peu l’ambiance. Une tempête en montagne, c’est comme une colère froide. On explose, mais on ne dit rien. 

Dans ces conditions, la route de mon hameau est parfois fermée, quelques heures ou quelques jours. Ce type de confinement est un délice. Parfois privé d’électricité, s’éclairant à la bougie, ne manquant ni de bois ni de provisions, il est si bon de revivre les fameuses longues soirées d’hiver que me racontent tous les vieux barbus que j’ai rencontrés dans mes reportages. Et, contrairement à leurs aïeuls qui vivaient comme ça tout l’hiver sans avoir d’autre choix, pour nous, citadins privilégiés, c’est le petit frisson garanti. Mais pour quelques heures seulement. Faut quand même pas déconner. Qu’on s’éclaire à la bougie pendant une tempête c’est romantique d’accord, mais quand on réalise que le chauffe-eau est électrique, on trouve finalement qu’une expérience courte suffit largement à convoquer nos plus beaux souvenirs d’enfance.

Mais là encore : ce confinement-ci, pour raisons sanitaires, n’a rien à voir. Ni tempête ni violence, le ciel est d’un bleu intense, immaculé en l’absence de toute trace d’avion. Il fait doux même si l’air est vif, ça sent la terre humide. Le printemps à cette altitude hésite longtemps avant de réveiller la vie dans les alpages. Mais les premiers signes sont là. Les animaux ne s’y trompent pas : les mulots batifolent sous l’épaisse couche de neige et pointent le bout du museau sur la terrasse, le renard reste invisible mais vient chercher son os sous le sapin chaque nuit, les chamois ont repris de l’altitude profitant des adrets qui commencent à se dégarnir. Mais cette foutue neige est encore bien là. 

Je n’aime rien de plus que la neige. Mais quand la saison est finie, tout le monde, ici, rêve de la voir fondre. Ca va prendre du temps… Mais du temps, on en a. 

Il y eût un soir, il y aura un matin. 

Et ça sera le quatrième jour. 

Mercredi 18 mars 2020 - Jour 2

Ce matin, le soleil est radieux. Aucune trace d’avion dans le ciel limpide. La neige a regelé cette nuit, et prendre un café face au Galibier est un petit bonheur simple. Je regarde les montagnes enneigées comme rarement à cette époque, et je me dis qu’il serait indécent de penser que si la station tournait encore, ce confinement aurait été le plus agréable du monde. Le plus dangereux aussi… Car, ici comme ailleurs, il va falloir s’appliquer les gestes barrière et prendre ça très au sérieux. Difficile de ne pas se sentir en vacances. Mais ce ne sont pas des vacances. 

Télétravail ou télé tout court ?

Ces premiers jours de confinement m’auront au moins appris un truc : l’abus des chaînes infos nuit gravement au moral. Je me tiens informé, mais je ne suis pas en boucle devant des infos répétées toute la journée nous montrant un monde à l’arrêt, encore en état de sidération devant cette chose invisible qui attire pourtant tous les regards. Comme pour les gamins devant leur tablette : je me donne trois sessions d’information, le matin, à midi et le soir. Trois pilules d’info par jour, mais surtout : ne pas dépasser la dose prescrite !

Fort heureusement, le contact avec mes collègues est quotidien. Chaque jour à 11 heures, tout le service des programmes de France 3 se réunit par audioconférence. Et c’est déjà bon d’entendre leurs voix, de se demander si tout le monde va bien. Notre service, contrairement à l’info, est dédié aux programmes, aux magazines. Notre activité télévisuelle est donc au point mort. Personne n’est complètement dupe : nous savons bien qu’une fois les rediffusions programmées, une fois les difficultés techniques liées au télétravail réglées : il va falloir, là aussi, changer nos habitudes. Alors, cap sur le Web, à 200% ! Je vous avoue que j’ai toujours nourri une grande méfiance vis-à-vis de ces réseaux que j’appelle « asociaux » tant la bêtise et la médiocrité s’y développent plus vite que le virus dans un dortoir de scouts. Mais là, peut-être vont-ils enfin assurer leur mission première : créer du lien. Et du lien, on va tous en avoir besoin !

Alors tout ce que nous ne pouvons plus faire à l’antenne, on va le faire sur le Web. Se parler. Se marrer. Partager des choses tristes ou d’énormes conneries, parce que le Covid-19 sait se nourrir de nos angoisses et notre système immunitaire n’a pas besoin de ça. Tels des supporters unis dans un match de foot, après avoir applaudi nos services de santé pour leur donner du courage depuis nos balcons, on pourrait tous ensemble reprendre un de leurs slogans favoris : « Covid !... Covid… ! On t’enc-…. ! »

Mais bon, depuis ma terrasse, face aux montagnes désertes, le renard ferait une drôle de tronche. Je me contenterai d’y participer virtuellement…

La sagesse du chat

Après avoir coupé du bois et fait une pause face aux champs de neige, l’heure est venue de reprendre le télétravail, d’autant que le soleil va se coucher derrière la montagne. Le hameau est entouré de sommets à plus de 3000 mètres offrant un paysage de nature sauvage exceptionnel, mais aussi assez brutal. Les énergies qui traversent cet endroit sont ainsi très changeantes, douces en journée, mais beaucoup plus austères lorsque la lumière baisse. 

Le soleil disparait sur l’horizon des cîmes, jetant ainsi un froid, au sens propre comme au sens figuré. Et pour la première fois, je me dis que cet endroit que je n’ai fréquenté qu’en vacances avec la famille ou les amis allait devenir mon lieu de vie au quotidien, dans ce contexte si particulier. Et que, même si la montagne est un univers que j’aime depuis toujours, mes racines sont à Lyon. Je ne suis pas montagnard, mais quelqu’un qui aime la montagne. Me le rendra-t-elle ces prochaines semaines ?

Heureusement, je ne suis pas seul : les amis qui étaient avec moi avant le confinement ont décidé de rester dans cette même bulle, ici. J’avoue ne pas avoir un caractère de gardien de refuge, alors un hameau isolé oui, mais avec quelqu’un à qui parler. Mon renard est peu causant (et même assez ingrat car il se tire dès que j’essaye de le prendre en photo malgré les os de gigot que je lui donne sous le sapin). Rester avec ses amis, pour une durée indéterminée, c’est un sacré challenge sans doute, mais aussi un remède contre la solitude ou les coups de blues. Nous avons aussi le Chat, Quito. Observer un chat est toujours riche d’enseignements. Les chats ont trois avantages : le coronavirus, ils s’en foutent et ne risquent rien. Si on les met en photo sur Facebook, l’audience est multipliée par trois.

Et surtout : ils vivent le moment présent. 



Au moment où, comme vous sans doute, je me dis que ça risque d’être long, même ici, même dans ce petit paradis ; au moment où l’on n’imagine pas encore les sacrifices qu’il va falloir faire pendant cette longue période et que, parfois, la peur de craquer, dans une, deux ou trois semaines se profile : le chat est un des meilleurs remèdes. Le chat est dans l’instant présent. Cette fameuse phrase qu’on lit partout et que les Bouddhistes affectionnent particulièrement va donc devoir prendre tout son sens. 

Parce que si on commence déjà à se projeter dans un avenir dont personne ne sait vraiment de quoi il sera fait, ça va être compliqué à gérer. D’autant que ça ne fait même pas deux jours ! Apprendre à vivre l’instant présent. Finalement, cette période de remise en question inédite et brutale de toutes nos libertés, de toutes nos habitudes, pourrait bien déboucher sur quelque chose de positif. Au moins pour soi. Contre la fenêtre, le chat voit des choses qu’on ne voit pas.

Mais ça n’a pas l’air de l’inquiéter.
 

Mardi 17 mars 2020 - Jour 1

D’un jour à l’autre, l’improbable est advenu. Et même si nous savions tous qu’il faudrait en passer par là : l’annonce des restrictions obligatoires m’a fait l’effet d’un coup de massue. Alors quitte à être confiné, quitte à devoir limiter toute interaction sociale : autant le vivre dans un lieu où l’isolement est dans la nature des choses, le choc sera moins rude, le quotidien moins sévère. Nous avons donc décidé de rester à la montagne, conscients de la chance que nous avions de pouvoir le faire.

Valloire, un petit air de morte-saison

La station, encore noire de monde quelques jours plus tôt, est déserte. Les derniers touristes- ceux qui, malgré la fermeture du domaine skiable, avaient voulu rester pour profiter de la montagne - sont repartis dans un ballet permanent de voitures, non sans avoir fait le plein de pâtes et de papier toilette, sous le regard hilare de l’épicier qui s’est demandé, comme beaucoup, si leur projet de vie dans les semaines à venir ne serait pas juste de bouffer et d’éliminer…

Car ici, pas le moindre signe de pénurie, pas d’attente devant les supérettes, et surtout : cette décontraction qui tranche tellement avec l’ambiance anxiogène des grandes métropoles. Au  point que j’en étais presque étonné. Certes, les distances de sécurité sont respectées, et dans un village où tout le monde se connait : personne ne se serre la main ni ne se fait la bise. Enfin : au moins depuis ce fameux dimanche, le jour où tout s’est arrêté dans la station. Comme si le cadre magique du village serti dans ses montagnes immaculées suffisait à éloigner les problèmes : il aura fallu la fermeture du domaine skiable pour que tous prennent conscience que la beauté n’éloigne pas un virus, aussi vilain soit-il. Cette décontraction, c’est ce que je suis venu chercher, tant l’atmosphère était devenue lourde en ville. Ici, entre cette longue période de confinement qui s’annonce et n’importe quel autre moment de l’année : rien ne change. Dans ce hameau de haute montagne, isolé, mes voisins les renards, les chamois et les aigles sont toujours les mêmes, et se foutent complètement du COVID19, vu que ça ne se mange pas. Seules les marmottes restent confinées. Mais parce qu’il fait encore froid. 

Voilà pour le décor. Idyllique ?  Sans doute. Pour des vacances : certainement… Mais là, il s’agit d’autre chose. Il va falloir apprivoiser le calme, l’isolement, et le sentiment de se retrouver au bout d’un monde qui, partout ailleurs, retient son souffle…Laurent Guillaume est journaliste pour France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. Il présente depuis 20 ans l'émission "Chroniques d'en Haut" consacrée à la montagne.
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