Le restaurant La Bouitte, dirigé par René Meilleur et son fils Maxime à Saint-Martin-de-Belleville, en Savoie, vient de perdre sa troisième étoile au guide Michelin. Les chefs, qui disent comprendre certaines remarques du guide rouge, sont au travail pour "rallumer l'étincelle" de leur cuisine.
Une fois le choc de l'annonce passé, l'heure est aux premiers ajustements. Dans les cuisines de leur restaurant, René et Maxime Meilleur passent la carte au crible. Chaque plat est goûté, critiqué en vue d'être repensé.
Les chefs du restaurant La Bouitte, perché à 1 150 mètres d'altitude au bord des pistes de ski des Trois Vallées à Saint-Martin-de-Belleville, ont appris lundi 4 mars le retrait d'une étoile au guide Michelin. Un coup de tonnerre pour le premier trois étoiles de Savoie, seul établissement à perdre la plus haute distinction en 2024.
"J'étais en voiture avec mes enfants. C'était une nouvelle qu'on n'attendait pas. J'ai appelé mon père quelques minutes après et on était dépités tous les deux. Ce n'était pas prévu", se rappelle Maxime Meilleur qui a appris la nouvelle par téléphone.
"On ne l'avait pas vu arriver. On pensait qu'on était dans le tempo, qu'on était à trois étoiles sans problème. Quand ils partent, tous nos clients ont la flamme dans les yeux (...) donc on n'a pas vu arriver le couperet", confirme son père, René Meilleur, fondateur de l'établissement.
"On est des Savoyards, on ne lâche jamais prise"
Gwendal Poullenec, directeur international des guides gastronomiques Michelin, a rendu visite aux chefs pour discuter de cette décision, quinze jours avant la cérémonie 2024 de remises des étoiles. Un échange "entre six yeux" avec "beaucoup d'humain, beaucoup de déception, parce que c'est dur", reconnaît Maxime Meilleur, 48 ans.
L'ancien champion de biathlon a rejoint La Bouitte en 1996, sans formation culinaire, y apportant "un esprit d'équipe et de compétition". "Pour nous, cette troisième étoile, c'était une médaille d'or. On était champions olympiques. Maintenant, on n'est plus que médaille d'argent."
"Ca nous a donné un grand coup derrière les oreilles, ajoute son père. La nuit a été très longue, mais il faut passer au-dessus. On est des montagnards, des Savoyards, on ne lâche jamais prise, sinon on se casse la figure. Donc on ne lâchera pas sur ce coup là."
La Bouitte, "petite maison" en patois savoyard, a obtenu sa première étoile au guide rouge en 2003 jusqu'à la consécration en 2015 avec la plus haute distinction. Le Michelin décrivait, dans son guide 2023, "une combinaison d’exception, un yin et yang montagnard qui exprime l’âme d’un terroir et la quintessence d’une passion." Une cuisine "intelligente mais compréhensible" imaginée en famille dans "un véritable cocon".
Une carte entièrement repensée
Les Meilleur comptent désormais "rallumer l'étincelle", créer de nouveaux plats en prenant "plus de risques" pour remonter sur la plus haute marche du podium. "On va repartir pour reconquérir ce plaisir. Une étoile, c'est quelque chose qui nous fait vibrer. C'est l'aboutissement d'une cuisine. On était au sommet de la pyramide et on est redescendu d'une marche. Il faut remonter cette marche et on est à fond dedans. On s'est remis au boulot et on y est", assure René Meilleur.
"Il y a toujours de la vérité dans un petit coup de pied aux fesses", complète Maxime. "Moi qui étais compétiteur, il y a un niveau à avoir. Ce matin et hier soir, quand on a commencé à goûter et valider ce qui sortait, il y a eu beaucoup d'ajustements. (...) On avait ces trois étoiles et on a sûrement oublié des détails. En cuisine, il y a une phrase de Léonard de Vinci qu'on va appliquer : 'Les détails font la perfection et la perfection n'est pas un détail.' Je pense qu'on avait juste oublié les détails."
Vous vous dites qu'il ne faut pas aller chercher plus loin puisqu'on est au top et qu'il ne faut pas bouger. Mais si, il faut bouger. Il faut toujours se renouveler, discuter.
René MeilleurChef et fondateur du restaurant La Bouitte à Saint-Martin-de-Belleville
Loin d'être abattus, les chefs étoilés se disent prêts à remettre leur carte à plat. "On va retravailler nos plats emblématiques et les plats qui nous emmerdent, on va les virer. C'est tout", sourit René Meilleur. Des réajustements qui "coulent de source" selon eux.
"On s'est endormi en se disant que tout marchait, que les gens étaient contents. (...) Vous vous dites qu'il ne faut pas aller chercher plus loin puisqu'on est au top et qu'il ne faut pas bouger. Mais si, il faut bouger. Il faut toujours se renouveler, discuter. Peut-être qu'on a moins discuté ensemble sur les plats", suppose le fondateur de La Bouitte.
Au total, 28 établissements étoilés ont été révisés à la baisse lundi par le guide Michelin : un deux étoiles et 26 qui ont perdu leur unique étoile, dont 12 en raison d'un changement de chef ou d'un mouvement d'équipe. La Bouitte est le seul établissement à perdre sa troisième étoile.
Rendez-vous est donné en 2025 pour la reconquête du graal de la gastronomie. "Par contre, il va falloir mettre les bouchées doubles de notre côté", anticipe Maxime Meilleur. "Rallumer le feu, comme disait Johnny", plaisante son père, en plaçant "la transmission et la nouveauté" au cœur de cette nouvelle ascension, perçue comme une nécessité davantage qu'un objectif.