Il ne pèse que 12 grammes, mais c'est devenu un symbole de la gastronomie italienne dans le monde. Découvrez l'histoire du "grissino di Torino", le gressin de Turin qui s'est attiré les faveurs des tables royales avant de s'exporter partout dans le monde.

"Le grissino di Torino pour moi, c'est le plus beau pain du monde". Les mains dans sa pâte à pain du jour, Mauro Demartini parle des dizaines de milliers de petites baguettes qui sortent chaque année de son laboratoire de boulangerie.

"Avant de fonder ma propre entreprise, ici (à Salassa dans les montagnes piémontaises), j'ai commencé dès mon adolescence à faire des gressins, dans la boulangerie de mon oncle...à seulement quelques kilomètres d'ici, explique-t-il. Pendant que les autres sortaient s'amuser, moi je préférais faire mes gressins". 

Une fabrication menée à la baguette 

La récompense de tous ses sacrifices de jeunesse, Mauro l'a eue en 2006, lorsqu'il a été choisi par les organisateurs des Jeux Olympiques d'hiver de Turin pour fabriquer les "grissini" ornant les tables des officiels de l'évènement. Une belle reconnaissance, mais aussi un coup de pouce pour lancer sa propre entreprise de boulangerie. 

Désormais, entre la production de gressins, de pains et de pizzas, la boulangerie emploie une dizaine de personnes. Leur activité est rythmée par les horaires de fabrication quotidienne de ses 400 kilos de "grissini di Torino". "A minuit on allume le four, à 4 heures du matin on prépare la pâte à gressins et à 6 heures on attaque la fabrication", énumère le "maestro fornaio" (le maître des fours de boulangerie).

350 ans de tradition  

"Une fabrication traditionnelle, comme il y a 400 ans", précise encore Mauro. Le boulanger se sert des mêmes ingrédients que le médecin de la cour des Savoie, qui utilisait la recette pour soigner les maux de ventre du petit prince Vittorio Amedeo. 

"Le grissino est né pour être un pain contenant une très faible humidité afin de ne pas provoquer de douleur à l'estomac du prince. A l'inverse du pain fabriqué à l'époque, souvent peu cuit et dans des conditions d'hygiène pas vraiment idéales, il doit perdre toute son humidité à la cuisson : si un pain courant garde entre 20 et 30% d'humidité, avec 1 kilo de farine, vous obtenez 1 kilo de gressin. C'est comme ça qu'on lui donne son croquant légendaire".

Un croquant qui en a fait rapidement le pain des tables des rois de Piémont Sardaigne. Et pas seulement celle du petit prince devenu grand sous le nom de Vittorio Amedeo II. Plus d'un siècle plus tard, les grissini sont tellement enracinés dans la culture de la famille royale piémontaise que le roi Carlo Felice de Savoie est décrit en train d'en grignoter jusque dans sa loge du théâtre Regio de Turin en pleine représentation.

"Ce n'était pas très respectueux pour les acteurs", concède Clara Vada Padovani, une narratrice gastronomique actuellement en préparation d'un ouvrage sur la fabuleuse histoire du gressin de Turin. 

Une histoire de têtes couronnées... Mais pas seulement !

"Même Jean-Jacques Rousseau, qui a vécu quelques mois à Turin écrit dans Les confessions : j'avais faim et j'entrais dans une boutique où l'on vendait du lait. On me donna de la ricotta et deux "grissini", ce délicieux pain de Turin qui me plaît plus qu'aucun autre. Pour 5 ou 6 sous, j'ai ainsi fait l'un des meilleurs repas de ma vie" raconte Clara Vada Padovani.

Un autre nom fameux allait plus tard encore, lier son nom à la passion des gressins : l'empereur Napoléon lui-même. Amateur de ces "petits bâtons élégants et savoureux" découverts lors de son séjour de 15 jours à Turin en 1805, il alla jusqu'à mettre en place une navette mensuelle pour s'en faire livrer depuis la capitale piémontaise jusqu'à Paris.

"Mais même l'impératrice Marie-Louise ne dédaignait pas écraser quelques gressins dans sa tasse de bouillon", précise encore l'historienne du goût. 

Une tradition mondialisée

Pas vraiment étonnant pour Davide Sanfilippo. Maître boulanger reconnu, il enseigne depuis 6 ans la tradition des "grissini torinesi" à l'institut "Piazza dei mestieri" de Turin. Chaque année, c'est une vingtaine de jeunes apprentis qu'il forme à la fabrication de ce "pain à nul autre pareil", d'après lui. 

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A la une de Transfrontières cette semaine, la fabuleuse histoire de la petite baguette de pain turinoise. Grosse comme un doigt, elle s'est imposée comme le symbole de la gastronomie italienne ©France 3 alpes

Fabriquer un gressin n'est pas seulement un travail, c'est aussi un amusement.

Davide Sanfilippo

"Il existe désormais une variété infinie de grissini. Faits avec une farine complète ou spéciale, avec des graines ou d'autres ingrédients ajoutés. Nous, dans cette école, on préfère enseigner avec du blé traditionnel broyé à la pierre et rester dans la tradition. Parce que ce qui compte, c'est que nos élèves acquièrent une base de savoir qui leur permette ensuite d'ajouter leur propre pointe de créativité. Parce qu'ils doivent sentir que fabriquer un gressin n'est pas seulement un travail, c'est aussi un amusement."

Un amusement qui fait le bonheur de centaines de producteurs dans le Piémont. De milliers d'artisans et d'industriels italiens aussi, qui exportent partout dans le monde celui qu'ils considèrent comme le chef de file des produits de substitution au pain traditionnel.

En Italie, plus d'un milliard de paquets de gressins, crackers salé et taralli (une spécialité de forme ronde originaire du sud italien) ont été vendus en 2021. Tandis qu'aux Etats-Unis, l'on consacre même au gressin, chaque fin du mois d'octobre, une journée mondiale du grissino : un "world breadstick day".

Pas de quoi rendre jaloux Davide, notre "Maestro es grissino". "Mais si partout dans le monde, d'autres artisans nous copient, c'est une valeur ajoutée pour nous. Cela veut dire que notre produit en vaut la peine. Toutefois, je rappellerai quand même que si quelqu'un veut retrouver l'authenticité du vrai grissino, celui des origines, c'est tout de même ici dans le Piémont qu'il doit venir".

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