C'est la reine de nos montagnes, une abeille rustique capable de survivre aux longs hivers. Délaissée au XXe siècle, l'abeille noire des Alpes séduit à nouveau les apiculteurs de Savoie, qui ont créé un conservatoire dans la vallée des Encombres, pour sauvegarder son patrimoine génétique.
Pour la dernière fois de l'été, Kelly Duqueine se rend au rucher de fécondation, dans la vallée des Encombres, sur les hauteurs de Saint-Martin-de-Belleville. Ici, règne l'"apis mellifera-mellifera", l'abeille noire des Alpes. Cadre à la main, l'apicultrice nous transmet sa passion pour cette abeille autochtone. "C'est une abeille assez trapue et poilue" explique-t-elle. "Elle a tendance à faire son couvain au centre, c'est la pouponnière. Ensuite, on trouve une réserve en pollen et le miel autour".
"Une montagnarde"
"C'est notre abeille endémique, notre abeille locale. Elle est là depuis plusieurs millénaires. Elle s'est adaptée à toutes les situations de son histoire, que ce soit l'ère glaciaire, le réchauffement après glaciation, toutes les péripéties ! Elle est très adaptée à son environnement, à son climat, à la météo et à la typologie de nos montagnes, c'est une vraie montagnarde".
Délaissée pour des abeilles plus productives
Une montagnarde qui a pourtant souffert de la concurrence d'autres espèces ces dernières décennies. De nombreux apiculteurs lui ont préféré la "Buckfast", une abeille née de l'hybridation pour produire davantage de miel.
"La Buckfast a été créée il y a plus de cent ans, lorsque l'on a décidé de faire du miel un produit de consommation courante au même titre que la confiture. On a fait venir des abeilles d'ailleurs et on a créé une génétique particulière plus productive en miel et plus douce, plus facile à travailler pour les apiculteurs", poursuit Kelly Duqueine.
Au fil du temps et des hybridations, les colonies d'abeilles noires des Alpes ont diminué, au point de voir l'espèce menacée.
Depuis la fin des années 1990, des apiculteurs savoyards ont entrepris de la sauver. En 2016, ils ont créé le conservatoire de l'abeille noire. Ils ont notamment décidé de sanctuariser la vallée des Encombres pour en faire le royaume exclusif de leur abeille autochtone. Ici, les autres butineuses ne sont pas les bienvenues.
Elever des reines pour sauvegarder le patrimoine génétique
Kelly ouvre les ruches, à la recherche des reines. Il ne lui faut que quelques secondes pour trouver l'abeille à l'abdomen allongé. "Cette reine a été fécondée il y a trois semaines par les mâles d'abeilles noires que l'on a placés un peu en contrebas du rucher".
Cette reine, Kelly va la marquer puis l'isoler "dans une cage avec un peu de sucre" avec une demi-douzaine d'accompagnatrices "qui vont la nourrir le temps qu'elle soit introduite par un apiculteur dans son rucher".
Entre les pesticides et le réchauffement climatique, les abeilles ont de plus en plus de mal à survivre. Les apiculteurs doivent faire face à un taux de mortalité élevé, variant entre 20 et 30% selon les hivers, d'après la plateforme Epidémiosurveillance de la Santé Animale (ESA).
Mieux équipée pour résister aux changements climatiques
"On a de plus en plus d'apiculteurs qui souhaitent réhabiliter l'abeille noire dans leurs ruchers vu qu'elles sont plus adaptées, qu'elles auront tendance à mieux passer l'hiver", indique Kelly Duqueine.
"C'est une abeille autonome, rustique, qui a tendance à faire beaucoup de réserves vu qu'elle sait que son été est court et que son hiver est long, il faudra survivre 6 à 7 mois avec ces réserves".
Les conditions météo changeantes et le manque de douceur de cet été 2021 sont autant de variables qui mettent en lumière la résistance de l'abeille noire des Alpes.
Kelly Duqueine fournira cette année des reines à plus de 150 apiculteurs des deux Savoie.