Elle était l'un des derniers témoins de la Seconde guerre mondiale en Savoie. Marie Tranchant, née Geoffroy, est décédée ce 8 janvier à 96 ans. Agente de liaison dans la Résistance dès son plus jeune âge, elle a ensuite transmis tout au long de sa vie le sens de l'engagement, le devoir de mémoire et œuvré pour donner aux femmes leur juste place dans l'Histoire.
Elle n'avait pas encore 16 ans, que déjà, elle faisait passer des messages sur les routes de Savoie. À pied, à vélo, ou parfois en car... Marie Tranchant – qui s'appelait alors Marie Geoffroy – trompait la vigilance des Allemands en Maurienne. Dans son chignon, son corsage ou sous la selle de son vélo, elle convoyait des plans, des ordres, des informations sur les parachutages ou les bombardements alliés jusque dans les maquis des Bauges.
"La Maurienne était alors un axe de liaison vital pour les Allemands en pleine bataille d'Italie, amenant Marie à devoir régulièrement traverser les barrages de contrôle de l'occupant des ponts sur l'Isère et sur l'Arc", relate son petit-fils, Julien.
Son engagement allait de soi, ou presque. Son père Ernest "l'avait emmenée, à 13 ans, déposer une gerbe sur le monument aux morts le 11 novembre 1940 alors que Pétain l'avait interdit", raconte Rémy Tranchant, le fils de Marie Tranchant. Ce jour-là, un peu partout en France, les partisans de De Gaulle témoignent ainsi leur opposition à l’occupant.
Agente de liaison de l'Armée secrète en Maurienne
Ernest tenait aussi le bureau de poste de son village de La Trinité. Il avait ainsi réussi à obtenir une radio pour écouter Radio Londres. "Dans leur maison, ils ont caché six familles juives", précise Rémy Tranchant.
Au sein de l'Armée secrète de Basse Maurienne, Marie était combative, déterminée et savait faire preuve de sang-froid. "À un moment donné, elle savait que des bombardiers anglais allaient faire sauter le pont royal vers le secteur de Saint-Pierre-d'Albigny et elle devait faire passer le message, elle était en retard. Elle est passée quelques minutes avant. Elle est arrivée dans un bistrot à Saint-Pierre-d'Albigny qui faisait partie des relais de la Résistance, et là il y avait un autre agent de liaison qui allait passer le col du Frêne pour donner le message dans tous les maquis qui se trouvaient dans le massif des Bauges", raconte son fils Rémy.
Elle savait très bien ce qu'il pouvait arriver si elle était arrêtée.
Rémy Tranchantfils de Marie Tranchant
Mais la toute jeune fille a conscience des risques. À 16 ans, l'insouciance l'a déjà quittée : "Une fois qu'elle a transmis son message, elle s'est assise et elle nous racontait que pendant deux minutes, elle tremblait de la tête aux pieds. Elle s'était concentrée pour maîtriser sa peur. Elle avait déjà vu de près ce qu'était le massacre des Résistants, dans la combe de Savoie, quand les FTP (francs-tireurs et partisans, ndlr) étaient intervenus pour éviter que la Rochette ne soit réoccupée par les Allemands. Elle avait croisé la traction des Résistants et, quelques minutes après, elle avait entendu les tirs de mitrailleuses d'une section de la 90e Panzer qui se repliait sur l'Italie. Après, elle avait vu les corps. Non seulement, ils avaient été touchés par les balles, mais ils avaient été torturés donc elle savait très bien ce qu'il pouvait arriver si elle était arrêtée", dit son fils.
Une vie de combats pour la fraternité
Lors de la Bataille de Maurienne en août 1944, elle "prendra directement part à des attaques les armes à la main dans les secteurs d'Aiguebelle, de Chamoux et de Maltaverne". Son bataillon sera dissous fin septembre 1944. Elle rentre alors chez elle, elle n'a que 17 ans et demi.
Ses actes, Marie Tranchant les a contés à sa famille, dans les écoles, les collèges, les lycées, pour témoigner mais "sans aucune gloriole". "Elle disait qu'elle avait eu de la chance".
"Ma mère s'était occupée de l'accueil de tous les déportés. Elle disait qu'au regard de ce qu'avaient connu les déportés, il fallait rester humble et modeste sur ce qu'elle avait vécu", poursuit Rémy Tranchant.
À ses petits-enfants qui la voyaient comme une héroïne, elle disait que "le fond des choses, ce n'est pas l'engagement individuel, c'est la force collective, la somme de ces engagements individuels qui a permis de libérer et de porter des valeurs d'égalité et de fraternité".
Elle passera sa vie, ensuite, à transmettre ces valeurs et à s'engager pour la mise en œuvre du Conseil national de la Résistance. Elle sera également responsable de l'Association nationale des anciens combattants de la Résistance (ANACR) en Savoie.
Féministe de la première heure
Pour elle, la Résistance "ne se résumait pas à des actions héroïques et à un combat contre un occupant. C'était aussi des valeurs d'égalité, de justice sociale, la sécurité sociale et tout ce qui a été mis en place en 1945", indique Rémy Tranchant.
Pour ses proches, elle restera cette personne dotée d'une "force de caractère" qui militait pour que les femmes soient reconnues. "Sur la place des femmes, elle a toujours été intransigeante et dans tous les mouvements dans lesquels elle a été, elle était toujours un peu dérangeante", dit son fils dans un sourire.
"Il y a une photo du bureau départemental de l'ANACR de Savoie dans les années 1960. Ils sont 40 et sur la photo, il y a 38 hommes et deux femmes. Donc il fallait savoir s'imposer. C'était un univers, même dans la Résistance, où c'était les hommes qui étaient au combat. Toutes les tâches qu'ont pu faire d'autres personnes et notamment les femmes, c'est vrai que pendant longtemps, dans la mémoire de la Résistance, ça a mis du temps à émerger".
En 1997, elle fut décorée de la Croix du Combattant Volontaire de la Résistance et de la Médaille de la Résistance française, deux distinctions demandées, pour elle, par ses enfants.
Pour la famille de Marie Tranchant, parler de son parcours, "c'est surtout rendre hommage à toutes les femmes qui se sont engagées dans la Résistance d'une manière ou d'une autre et qui méritent que cela soit rappelé".
Les obsèques de Marie Tranchant se tiendront ce mardi 16 janvier à La Tronche. Elle sera ensuite inhumée au cimetière de La Croix-de-la-Rochette, en Savoie.