Le "15" de Haute-Savoie, centre d'appels du SAMU, n'a plus assez de médecins généralistes pour assurer la régulation quotidienne des appels. Les assistants de régulation médicale, qui reçoivent les appels, tirent la sonnette d'alarme face à cette situation qui dure depuis le mois de juin.
"Avant d'aller aux urgences, appelez le 15", martèle la communication du ministère de la santé. Mais en Haute-Savoie, le centre 15 fait face à une situation difficile : en journée, il n'y a plus assez de médecins généralistes pour recevoir tous les appels qui nécessitent leur expertise.
Face à ce manque, les assistants de régulation médicale (ARM), qui répondent au téléphone et assurent le tri des appels, sont contraints de faire un choix : orienter l'appel vers un médecin généraliste en prenant le risque que personne ne décroche, ou le diriger vers un médecin urgentiste, au risque de surcharger ces services normalement dédiés à la prise en charge des urgences vitales.
Une responsabilité mal vécue
Éric Perret fait partie de ces voix qui rassurent et orientent les patients appelant le 15. Assistant de régulation médicale (ARM), il est en grève mais se rend quotidiennement au centre 15 de Meythet. Comme l'intégralité des ARM du SAMU 74, il est réquisitionné.
Il dénonce une situation problématique installée depuis plusieurs mois : " Aujourd'hui, les difficultés que nous rencontrons au SAMU 74, c'est le manque de médecins généralistes environ un jour sur deux depuis début juin. La continuité de soin n'est plus assurée pour les patients et c'est véritablement catastrophique. Les patients nous appellent, notre rôle est de les trier et d'orienter dans les files d'attente de médecins généralistes. Du fait que nous n'avons pas de médecin généraliste, les patients raccrochent puisqu'aucun médecin ne répond. Certains appels sont orientés vers des médecins urgentistes, mais cela donne une responsabilité supplémentaire au niveau de l'ARM".
Une situation aggravée par les messages diffusés pour désengorger les services d'urgences hospitalières : "Aujourd'hui, l'organisation nationale appelle tous les patients à appeler le 15, souligne Éric Perret. C'est aussi cette incohérence à laquelle on est confrontés."
Il constate un mal-être croissant chez ses jeunes collègues. "Historiquement, il y a déjà eu des mises en examens d'ARM, au SAMU 74 et dans d'autres SAMU de France, cette responsabilité que fait peser la situation est très mal vécue", conclut Éric Perret.
"Gérer au mieux une période qui est difficile pour tout le monde"
La direction de l'hôpital se dit "à l'écoute" de cette problématique et nuance le constat.
"L'urgence vitale, elle est traitée, là où il y a un problème, c'est l'attente sur un conseil médical, rappelle Vincent Delivet, président du Centre Hospitalier Annecy Genevois. Il y a toute une organisation qui est posée et qui permet de gérer au mieux une période qui est difficile pour tout le monde. On est à l'écoute d'une problématique qui se pose sur la journée, car la nuit il y a une présence renforcée de médecins généralistes et on a aussi augmenté le nombre d'ARM. Mais s'il manque un médecin généraliste sur le plateau, ça se sent, ça prouve tout l'intérêt qu'il y a d'avoir ce type de professionnels avec nous, qui gèrent les appels relevant de la médecine générale".
Pour Vincent Delivet, l'amélioration de la situation dépend de deux facteurs. Il appelle tout d'abord la population à "avoir les bons réflexes" en essayant d'aller voir un médecin généraliste, s'il ne s'agit pas d'une urgence vitale.
Il espère ensuite une poursuite du dialogue entre les médecins généralistes et le Ministère de la santé. Car derrière ce problème rencontré par le centre 15 de Haute-Savoie, se dessine aussi la difficile mise en place du SAS : le Service d'accès au soin voulu depuis 2019 par le gouvernement pour désengorger l'hôpital, partant du constat qu'entre 30% et 40% des personnes reçues aux urgences pourraient être prises en charge en cabinet de médecine générale.
Ce dispositif complexe a pour objectif d'inciter les médecins libéraux à participer au service de régulation du 15 et à réserver des plages horaires aux patients réorientés par le 15 pour une prise en charge rapide. Sa mise en place a créé des tensions entre certains médecins généralistes et l'assurance maladie, notamment au niveau des tarifs des actes de soins non programmés et de la rémunération des heures de régulation.
"Une mise en danger de la population et des ARM"
Pour Tania Miodini, représentante CGT du personnel du centre 15 de Haute-Savoie, il ne faut pas sous-estimer la gravité de la situation.
"C'est catastrophique, ce ne sont pas des appels de médecine générale confirmés puisque le médecin n'a pas pu réguler cet appel, souligne Tania Miodini. Or on sait que lorsque le SAMU 74 ou le centre 15 se sont retrouvés au tribunal pour des décès, ça a toujours été sur des appels qui a priori ne représentaient pas de gravité. Donc on ne peut pas se dire que parce qu'un tri a été fait a priori par les ARM, ça isole la gravité, seul le médecin pourra le faire".
Tania Miodini dit avoir la sensation que la situation est enjolivée par la direction, qui n'aurait pas signalé sa gravité aux syndicats. "On voit bien que ce sont les ARM qui nous ont alertés, alors que la situation est celle-ci depuis le mois de juin", regrette-t-elle. Elle rappelle que tout appel à caractère médical rentrant au SAMU doit être régulé par un médecin.
"D'autre part, cela génère un travail supplémentaire pour les deux médecins urgentistes qui sont censés réguler les urgences avérées, ils se retrouvent à réguler de la médecine générale lorsqu'ils le peuvent". Tania Miodini évoque ainsi des patients en attente pendant plus de deux heures et des médecins généralistes déjà surchargés d'appels non-traités lorsqu'ils viennent assurer leur permanence du soir.
"C'est une mise en danger de la population et des ARM, puisqu'on l'a vu, lorsque les plaintes ont été déposées, ce sont toujours les ARM qui se sont retrouvés au tribunal", déplore Tania Miodini. Elle explique avoir demandé à l'hôpital de lui transmettre les chiffres des appels clôturés par les ARM (donc non traités par un médecin) et dit ne pas avoir reçu ces données pour l'instant.
Tania Miodini demande enfin à ce que les médecins généralistes en grève soient réquisitionnés au même titre que les ARM. Le 11 août, elle a rencontré le Préfet de Haute-Savoie pour lui faire part de ses revendications et attend actuellement sa décision.