Le nom de Robert Rosengarten a remplacé la mention "X non identifié" sur le monument aux morts du Cruet (Savoie) grâce au travail de recherches d'une association locale. L'identité de ce martyr de la Seconde Guerre mondiale est restée inconnue pendant près de 79 ans.
Le monument aux morts du Cruet, en Savoie, coincé entre le massif des Bauges et la rivière de l'Isère a fait l'objet d'une rénovation ces derniers jours. Non pas à cause d'un crépi vieillissant autour de la dalle en souvenir des victimes locales de la barbarie nazie. Mais pour une toute autre raison : un nom y a été ajouté, celui de Robert Rosengarten.
Longtemps cet homme était apparu comme "X non identifié". Mais ce martyr de la Seconde Guerre mondiale, fusillé par les Allemands en 1944 à Cruet, a finalement été identifié en 2023. Soit 79 ans plus tard.
"On lui a redonné son identité, une seconde vie. C'est juste incroyable", confie Denise Cunit, membre de l’association Cruet Nature et Patrimoines, à l'origine de la découverte. "C'est émouvant. Il rejoint ses compagnons d'infortune. Des compagnons qu'il n'a même pas connus puisqu'il a été pris bêtement sur le bord de la route", ajoute-t-elle le regard sur ce nouveau nom inscrit en lettre d'or sur cette nouvelle pierre.
Une exécution barbare
Le 8 juin 1944, en milieu de journée, Robert Rosengarten, d'origine juive, est embarqué par des soldats de la Gestapo alors qu'il circulait à vélo entre Montmélian et Cruet. Dans le convoi avec lui : d'autres prisonniers, dont des maquisards et des résistants, en route vers leur lieu d'exécution.
"Ce 8 juin 1944, le jour de l'exécution, les corps ont été découverts et la gendarmerie a commencé ses procès-verbaux. Les corps ont ensuite été acheminés à la mairie de Cruet. Le véhicule est passé devant la ferme de ma mère. C'est à cette occasion que ma mère et ma grand-mère ont fait une toilette sommaire aux fusillés, ce qui a permis à ma mère d'être en contact physique avec eux", explique Rolan Troillad, autre membre de l'association Cruet Nature et Patrimoines.
"Les fusillés avaient été abattus par des mitraillettes à bout portant. Ils avaient des traces de balle du cou au bassin. Ça ne devait pas être joli à voir. Mais pour s'assurer qu'ils étaient bien morts, ils ont reçu le coup de grâce tiré avec un pistolet de gros calibre de 12 mm. C'est une grosse balle qui faisait beaucoup de dégât. Il y avait du sang. Au passage de la ferme, ma grand-mère qui était pieuse et très respectueuse du mort avait décidé de faire une toilette", se rappelle Roland Troillard. "Ce que ma mère m'a raconté, je l'ai conservé par mémoire pour elle."
Redonner une identité à un homme 79 ans après, ça ne se voit pas tous les jours.
Denise Cunit, membre de l’association Cruet Nature et Patrimoines.
L'acte de décès civil, consulté à la mairie de Cruet par les membres de l'association lors de leur enquête, fait état de plusieurs objets : des lunettes à monture en écailles, une chevalière à blason en platine et une montre Oméga d'une série particulière et au style rectangulaire. D'après le procès-verbal de la gendarmerie, la victime portait cette montre au poignet droit.
Un puzzle avec toutes les pièces
Ces détails sont importants, mais ne permettent en rien d'identifier "Monsieur X". Alors les trois membres de l'association avaient décidé, en 2019, de lancer un appel à témoins pour identifier ce cycliste.
Les rédactions de France 3 Alpes et de France Bleu avaient alors relayé l'initiative. "Les corps ont été récupérés par les habitants du village et enterrés dans la fosse commune. Ils ont tous été réclamés par leur famille. Sauf Monsieur X", expliquait déjà cet appel à témoins.
Rapidement, un homme se manifeste. Claude Jacquier habite en Isère et possède une photo d'époque. Celle-ci a été prise à l'ancien restaurant de ses grands-parents situé à Brison-Saint-Innocent, en Savoie, tout près d'Aix-les-Bains. Sur l'image, figurent plusieurs personnes : une femme, avec qui sa mère s'était liée d'amitié, et son compagnon.
Un compagnon élégant, au visage fin, les cheveux bruns bien coiffés... Il porte des lunettes à monture en écailles et une montre rectangulaire au poignet droit. Un de ses doigts est orné d'une chevalière à blason... Et, en fond : un vélo. Pas n'importe lequel : un vélo avec un dérailleur à trois pignons, avec une étiquette montrant que la monture est de très bonne facture. Il s'agit du même vélo retrouvé sur le bas-côté de la route où a été emmené Robert Rosengarten.
Une cérémonie en hommage
Après avoir pris connaissance de cette photo, les membres de l'association sont certains : "Aussitôt, je crois qu'on était tous persuadés d'avoir retrouvé le bon homme", indique Denise. Le témoignage de Claude Jacquier, qui fait état du récit de sa propre mère, vient tout confirmer : il s'agit de Robert Rosengarten.
"Redonner une identité à un homme 79 ans après, ça ne se voit pas tous les jours. Je crois qu'on est tous émus", réagit Denise.
Le 4 novembre dernier, le tribunal judiciaire de Chambéry a officialisé l'identification de Robert Rosengarten. A Cruet, son nom a donc remplacé la mention "X non identifié". Ce cycliste d'une trentaine d'années, laborantin et diplômé en pharmacie, domicilié à Aix-les-Bains et fils d'horloger, est donc passer à la postérité. Ce lundi 8 mai, une cérémonie rendra hommage aux 8 fusillés de Cruet. Pour la première fois depuis 79 ans, le nom de Robert Rosengarten sera prononcé.