C'est un de ces héros de guerre dont le nom n'est pas passé à la postérité. Pierre Wallerand était pourtant l'un des fusiliers marins, membre du célèbre commando Kieffer. Il est mort en mission dans la nuit du 24 au 25 décembre 1943 sur une plage de Gravelines, quelques mois avant le Débarquement auquel participeront ses camarades. Il était originaire d'un petit village de la Somme où une stèle lui rend depuis peu hommage.
C'est un homme de l'ombre qui a pourtant joué un rôle déterminant dans la préparation du Débarquement du 6 juin 1944 en Normandie. Il s'appelle Pierre Wallerand. Il est né en 1912 à Guillaucourt, un petit village de la Somme. Il faisait partie du célèbre commando Kieffer, du nom de son chef, seule unité française incorporée à l'armée britannique. 177 de ses membres débarqueront sur les plages normandes aux côtés des Alliés à Sword beach et Ouistreham.
Pierre Wallerand n'en était pas : il est mort six mois plus tôt, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1943 alors qu'il était en mission avec cinq autres commandos sur une plage de Petit-Fort-Philippe dans le Nord. Il venait d'avoir 31 ans.
Militaire de carrière
L'une des seules photos que l'on a de lui date de six mois avant sa mort tragique. Elle est prise lors du défilé du 14 juillet 1943 à Londres. Pierre Wallerand est en habit d'apparat des fusiliers marins. Il a le visage fermé et le regard déterminé de ceux qui se savent pour quoi ils se battent. Sous le béret que l'on sait vert, on imagine des cheveux clairs. Parce qu'ils iraient parfaitement avec la forme anguleuse de ses traits. Il est beau. Comme Adonis. C'est d'ailleurs son deuxième prénom. Il a l'air "invraisemblablement sérieux" avec "sa face têtue et bonne, ce mélange rare de dureté et d’immense bonté" comme l'écrit de lui en 1968 son camarade de combat, le peintre Guy de Montlaur.
Pierre Wallerand est militaire de carrière. Dans l'armée de terre. Sergent-chef d'infanterie, responsable d'une section de mitrailleurs plus précisément. En 1940, il fait partie des troupes françaises qui participent à la Campagne de France pour empêcher, avec l'aide des Britanniques et des Belges, les Allemands d'entrer dans le nord de la France. Mais c'est la débâcle.
Comme nombre de militaires français, Pierre Wallerand est démobilisé par les Allemands. Dans son livre Bérét vert, le commandant Kieffer écrit : "Après une campagne de France exemplaire sanctionnée par une croix de guerre et la médaille des blessés, il est démobilisé le 30 novembre 1942 par les Allemands et déclare se retirer à Agen (Lot-et-Garonne). Pierre aurait pu, comme beaucoup d’autres, couler des jours meilleurs, mais il n’était pas homme à supporter le joug, à accepter sans révolte que le sol de la patrie soit sous la botte allemande et le 6 janvier 1943, il franchit la frontière espagnole. Le 8 mars 1943, Pierre est à Gibraltar."
C'est de là qu'il partira pour l'Angleterre rejoindre les Forces françaises libres sous le matricule 267 FN 43. Il est affecté à la caserne Surcouf à Londres où il est promu maître fusilier. En avril de la même année, il demande à s'engager dans les commandos marins. Et doit pour cela suivre un entraînement intense à Achnacarry dans les montagnes d'Écosse. Un entraînement surhumain que le Picard réussira. "Cinquante pour cent à peine des volontaires revenaient d’Écosse avec le droit au port du béret vert. Les autres étaient impitoyablement éliminés, soit qu’ils ne fissent pas l’affaire sur le plan physique ou moral, soit qu’ils fussent blessés lors des manœuvres, à tir réel ou même tués, comme nous venons de le voir. Cette rigueur s’avérait nécessaire. Sans elle, jamais le débarquement du 6 juin n’eût réussi", a écrit Gwenn-Aël Bolloré, l'un des membres du commando Kieffer dans son livre Nous étions 177 publié en 1964.
Le commando Kieffer
Pierre Wallerand, qui peut désormais porter le fameux béret vert, est affecté au 1er Bataillon des fusiliers marins commandos, le fameux commando Kieffer.
À partir de l'hiver 1943, la mission de ces forces d'élites se précisent : "les commandos marine ont la mission d’aller tester les forces allemandes en faisant des raids. Il y a eu énormément de raids qui ont été réalisés avant 1944 pour justement préparer le débarquement. Ces hommes du commando Kieffer ont fait un travail assez colossal avant pour préparer ce débarquement. Et Pierre Wallerand en fait partie", indique le Lieutenant de vaisseau Patrick Josien, chef de centre de la préparation militaire marine d'Abbeville.
L'objectif de ces raids, dont le nom de code est Hartack, est double : récupérer des renseignements sur l'état des troupes allemandes sur le littoral du nord de la France et conforter l'État-Major ennemi dans l'idée que les Alliés vont débarquer sur la Côte d’Opale.
C'est lors d'un de ces raids que Pierre Wallerand va trouver la mort. Le 24 décembre 1943, l'opération Hartack 11 est lancée. Le sergent-chef Wallerand prend le commandement d'un groupe de cinq hommes. Avec eux, trois Britanniques dont un sergent. Objectif : Gravelines, dans le Nord. "On lui avait confié pour mission d’attaquer, tuer, ou peut-être faire prisonniers, les gens de la petite garnison allemande qui tenaient les blockhaus de Gravelines. On lui avait donné cinq hommes pour ce travail : les Quartiers-Maîtres Caron et Madec, les matelots Navrault, Pourcelot et Meunier", raconte Guy Montlaur en 1968.
Le groupe embarque de nuit depuis Douvres. D'abord dans une vedette rapide pour s'approcher des côtes françaises. Puis sur un doris, un petit bateau de pêche à fond plat. Mais les conditions météorologiques sont très mauvaises et le bateau tombe en panne. Les commandos marins passent dans le canot de sauvetage qu'ils avaient en remorque et pagayent pour atteindre la rive. Lorsqu'ils arrivent sur la plage de Petit-Fort-Philippe, "il était 00.45 et, comme on l’a dit, la mer n’était pas d’huile", selon Guy Montlaur.
Une mort tragique
Wallerand et ses hommes accomplissent leur mission. Ils font la reconnaissance d'un poste d'artillerie abandonné et d'un champ de mines, ramènent des mines allemandes et du fil barbelé pour expertise. À 5h20, ils montent dans le doris et tentent de le faire redémarrer. Mais le moteur est noyé et le bateau coule. Tous regagnent la plage. La seule solution pour rejoindre la vedette est d'y aller à la nage, dans une eau glacée. Wallerand enjoint alors ses hommes d'aller se mettre à l'abri chez les riverains qui voudront bien les cacher. Lui va ramener les renseignements récoltés jusqu'à la vedette, à la nage, restée à l'ancre à plus de trois kilomètres de la plage.
Un Britannique, le sergent Park, décide de l'accompagner. Tous deux succomberont de fatigue et de froid. "On l'a entendu crier 'Help !', mais on ne pouvait rien faire", racontera René Navrault, l'un des survivants.
Les deux soldats anglais sont arrêtés par les Allemands alors qu'ils s'étaient cachés dans les dunes. Les cinq Français se séparent à Loon-Plage. Caron et Meunier marchèrent jusqu'à Saint-Omer où ils partent chacun de leur côté. Madec, Navrault et Pourcelot sont cachés par des Gravelinois. Tous finirent par rejoindre le commando Kieffer pour la campagne de Belgique et des Pays-Bas.
Les corps du sergent Park et du sergent-chef Wallerand, retrouvés une semaine plus tard, furent inhumés dans le cimetière de Gravelines comme soldats inconnus. Identifiés à la Libération, ils sont rendus à leur famille respective.
Depuis 1993, sur la page de Petit-Fort-Philippe, une stèle commémore ce raid héroïque et tragique des membres du commando Kieffer.
Pierre Wallerand est enterré à Guillaucourt, où il est né et non à Cérisy, où sa femme, se fille et son fils sont inhumés. Guillaucourt où une stèle est désormais érigée au centre du village en l'honneur de ce membre du commando Kieffer qui n'aura tragiquement pas participé au Débarquement. Lui qui était "invraisemblablement sérieux" avec "sa face têtue et bonne, ce mélange rare de dureté et d’immense bonté".
Avec Robin Dussenne / FTV