Jusqu'au milieu des années 80, c'était la seule scène où l'on pouvait aller voir des spectacles vivants à Chambéry. Le théâtre Charles Dullin, inspiré de la célèbre Scala de Milan, fête cette année son bicentenaire. Entrez dans les coulisses de cet édifice qui a reçu nombre de têtes couronnées, et qui a marqué l'histoire de la capitale de la Savoie.
"Le bicentenaire doit marquer la renaissance de ce théâtre pour les siècles futurs..." la mairie de Chambéry, affiche de grandes ambitions pour la plus ancienne de toutes ses scènes de théâtre.
"Dullin", comme on l'appelle dans le jargon de la culture chambérienne, n'est plus depuis longtemps la plus grande de toutes les scènes de la capitale savoyarde. Avec ses 433 places, de son parterre à son "poulailler" (ou son "paradis"!), le théâtre Charles Dullin est bien loin du millier de places dont dispose son cadet et voisin de 'l'Espace Malraux-scène Nationale".
Mais du haut de ses 200 ans d'existence, lui seul peut se vanter d'un glorieux aîné aussi prestigieux que la "célébrissime" Scala de Milan !
L'opéra italien pour modèle
"En 1824, l'architecte s'est bel et bien basé sur les plans de la Scala de Milan pour construire ce théâtre", explique Carole Dénarié, guide-conférencière pour "Chambéry, ville d'art et d'histoire".
"C'est son modèle de théâtre dit "à l'italienne" qui a été suivi. Ce qui donne une salle aux dimensions réduites par rapport au célèbre opéra milanais. Avec des balcons superposés les uns au-dessus des autres, et configurée en forme de fer à cheval à partir d'une loge d'honneur....Toute l'architecture de la salle est d'ailleurs pensée à partir du point de vue qu'offre ce grand balcon".
Un point de vue taillé sur mesure pour les souverains de l'ancien royaume de Piémont-Sardaigne. La Savoie n'ayant pas encore été cédée à la France en 1824, ce sont le roi Charles-Félix de Savoie et la reine Marie-Christine qui inaugurent en grande pompe le nouveau théâtre voulu par son commanditaire et mécène, le général comte de Boigne.
Dans la corbeille du théâtre nouveau-né, les têtes couronnées apportent en cadeau, un somptueux rideau d'avant-scène. Peint par Luigi Vacca, le peintre de la cour de la maison de Savoie, il continue 200 ans plus tard à faire la fierté du théâtre savoyard : "Il est, en effet, très rare, explique encore la guide-conférencière. Des rideaux d'avant-scène comme celui-ci, réalisés entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe, il n'en reste plus que quatre au monde".
Inspiré du mythe grec d'Orphée descendant aux Enfers pour retrouver son épouse Eurydice, le rideau souligne la vocation première de la nouvelle scène chambérienne : les spectacles lyriques. Tout au long du XIXe siècle, elle accueillera à cette fin, nombre de têtes couronnées : de Louis-Philippe pendant la monarchie de Juillet, à Napoléon III, durant le second Empire.
Les membres de la dynastie de Savoie l'employant parfois, comme le roi Carlo Alberto de Sardaigne en 1848, pour célébrer de grandes occasions lors de fastueux banquets.
"Miraculé" deux fois
Mais l'histoire de cet édifice, n'est pas seulement marquée par des coups de théâtre. Elle l'est aussi par des coups... du sort, qui marquent le destin de toute une ville.
Dans la nuit du 12 au 13 février 1864, l’incendie d'un système de chauffage vient enflammer des cloisons. Pire : les flammes atteignent les archives de la mairie, entreposées provisoirement dans le théâtre. Après des heures de lutte contre le feu, les pompiers de Chambéry et des environs, aidés par la population qui se mobilise, ont raison de l'incendie. À l’extérieur, les murs tiennent encore debout. Mais à l'intérieur, tout est détruit.
Tout sauf le précieux rideau d'avant-scène, miraculé des flammes et sauvé par une poignée de valeureux pompiers et militaires.
La reconstruction du théâtre, qui n'interviendra que deux ans plus tard, en 1866, est confiée, ironie de l'histoire, à Charles-Bernard Pellegrini, un architecte chambérien ayant perdu plus de 10 000 francs de plans et gravures dans l’incendie du théâtre. Le précieux rideau, reprendra, bien sûr sa place sur l'avant-scène.
Mais pour parvenir jusqu'à nous, c'est à un second "miracle" qu'il doit sa troisième vie. Intervenu plus d'un siècle et demi plus tard, sous la forme d'une restauration le sauvant d'une disparition certaine.
Une restauration qui lie d'autant plus le théâtre Charles Dullin à la population chambérienne, qu'elle est en partie financée par une souscription publique lancée en 2015 par l'Académie de Savoie.
Un bicentenaire de la renaissance
Fêter le bicentenaire du théâtre Charles Dullin, ce n'est donc pas seulement célébrer l'histoire d'un monument de la culture locale. C'est aussi cultiver celle d'un lien tout particulier avec la population chambérienne. Un lien mis en lumière par tout un calendrier de manifestations qui rayonneront dans les principales institutions culturelles de la cité des Ducs.
Dès le 17 septembre au musée des Beaux-Arts qui propose un "accrochage d'œuvres dédié au Théâtre et à la vie artistique et mondaine de Chambéry au XIXème siècle". Une façon de revisiter l'édifice, son histoire et sa place dans la vie de la cité.
Un nouvel éclairage, doublé au soir du 20 septembre prochain, de celui projeté sur la façade du théâtre Charles Dullin. Un "vidéo mapping" qui donnera le coup d'envoi de huit jours de célébration du bicentenaire.
"Le vidéo mapping c'est une illusion d'optique qui permet de mettre littéralement ce bâtiment en mouvement", explique Lara Bourrel, du collectif d'artistes chambériens "Pil'z studio". "On y a mis toutes les aventures vécues par ce théâtre en 200 ans de vie. Mais la plus grande difficulté pour nous, a été la confrontation avec son architecture très complexe. D'où notre choix vidéo de mettre beaucoup de mouvement dans ce spectacle de cinq minutes, d'images suggestives... Et aussi beaucoup de magie, pour susciter l'émerveillement des plus grands comme des plus petits".
Une magie "Dullin" qui, pour durer et perdurer, devra tout de même être accompagnée d'un vaste plan de restauration. Du hall d'accueil aux sièges en passant par le plateau notamment, pour en améliorer la visibilité et surtout de celle de la salle de concerts. Depuis des années, elle est fermée au public en raison d'un état de dégradation avancé.
"L'après-bicentenaire sera un grand chantier qui s'étalera sur plusieurs années", promet Jean Pierre Casazza, l'adjoint au maire de Chambéry chargé de la culture.
Son acoustique, souvent louée pour ses qualités, n'y suffira pas. Pour continuer de chanter au moins 200 ans de plus, la "petite Scala" savoyarde ne pourra faire l'économie d'un "lifting" en profondeur.