De jeunes lynx se sont approchés d'habitations dans l'agglomération de Chambéry, suffisamment près pour être photographiés et filmés. Mais cette rencontre n'est pas bon signe : les jeunes félins sont séparés de leur mère depuis au moins une semaine et leur survie est en jeu.
Il s'approche tranquillement de la baie vitrée, semble regarder à l'intérieur, repart en direction de la piscine, s'arrête pour renifler un ballon avant de continuer son exploration de la terrasse, puis de repartir un peu plus loin dans l'herbe de la propriété. Samedi 14 octobre, Christine Caille a filmé un jeune lynx à travers la fenêtre, depuis son salon, à La Motte-Servolex, près de Chambéry, en Savoie.
"Juste après le déjeuner, je vois par la fenêtre cet animal arriver", raconte-t-elle. "J'ai dit à mon mari : 'Regarde, il y a un tigre, ou je ne sais pas quoi, sur la terrasse !' (rires). Et il me dit : 'non, c'est un lynx' et du coup, je l'ai filmé".
L'animal ne semble ni apeuré, ni agressif. "Il était hyper tranquille, super joli... On n'avait pas l'impression que c'était un animal sauvage. Je ne suis pas sortie le voir, mais il était calme, paisible. Il a tourné, retourné, et après, il s'en est allé. On a l'habitude de voir beaucoup de sangliers et de blaireaux, mais on n'avait jamais vu de lynx", se souvient Christine Caille, agricultrice, qui vit dans une maison en lisière de forêt.
"Ils sont en danger de mort"
Le lendemain, un autre habitant du secteur photographie un second petit félin dans l'herbe de son jardin.
Il s'agirait de deux membres de la même fratrie, âgés vraisemblablement de quatre mois. Mais les deux jeunes, qui semblent "tout mignons", ne sont pourtant pas en bonne forme d'après les spécialistes de la faune sauvage.
"D'après les photos qu'on a pu nous transmettre, on les a identifiés comme maigres, donc en difficulté", indique Gilles Moyne, directeur du centre Athénas, spécialisé dans la sauvegarde de l'espèce et basé dans le Jura.
"Cela veut dire qu'ils sont séparés de leur mère depuis au moins une semaine et donc à terme, ils sont en danger de mort, puisqu'ils sont encore incapables de subvenir seuls à leurs besoins. Quand ils se rapprochent des activités humaines, c'est souvent comme cela que l'on identifie que ce sont des lynx en détresse", ajoute-t-il.
"Il y a urgence parce qu'à cet âge-ci, à quatre mois, leur espérance de survie n'excède pas trois semaines", poursuit Gilles Moyne. "Cela peut même être en deçà, s'ils sont amenés à se déplacer, s'ils sont dérangés par exemple, ou obligés de faire des déplacements assez longs".
Mettre en place des pièges et des zones de tranquillité pour les capturer
Le grand prédateur est discret, et difficile à observer. Contrairement aux deux petits identifiés ces derniers jours, il est d'ordinaire farouche et se dissimule aisément.
Les autorités et les organismes en charge de la surveillance de la faune sauvage coordonnent leurs efforts pour essayer de capturer les deux petits félins, sans pour autant partir activement sur leurs traces.
"On met en place des moyens de capture passive. On n'est pas en train de les poursuivre pour les attraper parce que c'est voué à l'échec", explique Gilles Moyne.
"Ils sont petits, très habiles pour se dissimuler, et se cacher dans des coins inaccessibles. Le seul moyen est de laisser la zone la plus tranquille possible en disposant des moyens de capture passive tels que des cages-pièges avec des appâts de nourriture qui les attireraient à l'intérieur et qui permettraient de les prendre en charge", continue le spécialiste.
150 lynx sur le territoire français
Récemment, une femelle et deux jeunes ont été observés à proximité de la zone du lac d'Aiguebelette. Pour l'instant, impossible de dire s'il s'agit des mêmes individus.
Mais le lynx a bien commencé à s'implanter en Auvergne-Rhône-Alpes, notamment dans l'avant-pays savoyard et en Chartreuse. Quelques adultes de cette espèce menacée et protégée en Europe, ont été recensés.
"C'est une présence que l'on observe régulièrement depuis quatre-cinq ans", explique Martin Daviot, garde-technicien sur la Réserve naturelle du lac d'Aiguebelette.
"Il faut savoir que le lynx avait totalement disparu de France à la fin du XIXe siècle, il est réapparu à partir des années 1980, principalement dans le Jura", complète le garde.
"Aujourd'hui, sa population a tendance à croître donc on estime qu'il y a environ 150 lynx présents en France. Forcément, cette population se disperse parce qu'elle est bien présente dans le Jura et géographiquement, le couloir de dispersion le plus naturel, c'est en partant dans le sud et donc ils traversent le Bugey et on commence à les apercevoir sur l'Epine et en Chartreuse".
Mais le nombre d'individus reste limité, faute d'espace. Un lynx adulte mâle évolue sur environ 150 km carrés, une femelle sur une centaine de kilomètres carrés.
"On a vraiment une responsabilité pour assurer la survie de l'espèce, en préservant des zones de quiétude et de tranquillité, donc des zones sauvages. Mais aujourd'hui, il y a une présence de l'homme de plus en plus prégnante dans les milieux naturels et ce qu'il faut, c'est favoriser des corridors écologiques, des couloirs de dispersion laissés à la nature pour permettre à l'espèce de se déplacer et d'assurer ses besoins en termes de nourriture", estime Martin Daviot.
Actuellement, les infrastructures autoroutières ou ferroviaires, notamment, limiteraient ainsi ses déplacements et ralentiraient sa progression à travers les massifs.
D'après l'Office français de la biodiversité, le grand félin sauvage étend malgré tout son implantation dans l'est du pays. Une étude, basée sur l'analyse de près de 3 000 indices collectées par le réseau Lynx entre 2016 et 2020, "révèle une augmentation de 14 % de la superficie de présence. Le noyau principal se situe dans le massif du Jura, la présence du lynx est plus discrète dans les Alpes et très fragile dans les Vosges", indiquent les spécialistes sur le site de l'OFB.
Eviter de partir à leur recherche et de s'approcher trop près
Les experts rappellent que le lynx reste un animal sauvage. En cas de rencontre fortuite, ils conseillent de ne pas l'approcher, mais de signaler sa présence (voir le numéro de téléphone en bas de page).
"Une interaction pourrait toujours se solder par un coup de griffes ou une morsure et le fait d'essayer de s'approcher à tout prix, que ce soit pour une photo ou pour les voir de près, risque de provoquer leur fuite, donc de compromettre leur survie", rappelle le directeur du centre Athénas.
Si les petits sont capturés, ils seront élevés en captivité jusqu'à l'âge de 10 mois, l'âge auquel ils quittent leur mère dans la nature. "C'est l'âge de l'émancipation. Ensuite, ils partent en dispersion pendant une année complète. L'objectif, c'est vraiment de les relâcher dans la nature et en l'occurrence dans le massif de l'Epine", conclut Gilles Moyne.
- Association Athénas - SOS Faune Sauvage - 06.76.78.05.83