VIDEO. Ski alpin : "J'ai tout vécu à Kitzbühel", Johan Clarey revient sur 20 ans au plus haut niveau

durée de la vidéo : 00h03mn16s
Retour sur la carrière de Johan Clarey, lors de son ultime course aux championnats de France de ski ©France 3 Alpes / G. Lespinasse - D. Semet - JP. Ardito - D. Bellon - S. Villatte

A 42 ans, le skieur de Tignes a mis un point final à sa carrière sportive, il y a quelques jours, lors des Championnats de France dans les Hautes-Alpes. Il revient pour France 3 Alpes sur son parcours sur le circuit de la Coupe du monde, et sur ses deux médailles mondiales, obtenues tardivement, à l'âge où d'autres avaient déjà raccroché les skis depuis longtemps. Entretien.

Il est à l'aube de sa seconde vie mais il a quand même voulu chausser une dernière fois les skis pour les Championnats de France aux Orres, dans les Hautes-Alpes. A 42 ans, Johan Clarey a fait ses adieux au circuit international après 240 départs en Coupe du monde et une gloire tardive, arrivée à partir de 2019, alors que le sociétaire de Tignes avait 38 ans.

Cette année-là, il réalise son premier podium en Coupe du monde et dix jours plus tard, il devient vice-champion du monde de Super-G. Nouveau coup d'éclat lorsqu'il devient le skieur alpin le plus âgé à décrocher un titre de vice-champion olympique de la descente aux JO de Pékin, à 41 ans.

Pour son ultime année en Coupe du monde, Johan Clarey a encore signé des podiums cette saison, notamment à Kitzbühel, en Autriche, sur la Streif, une piste mythique pour les spécialistes de vitesse. Sur onze podiums dans sa carrière, il en aura signé cinq à Kitzbühel. Retour sur les moments phares de sa carrière.

France 3 Alpes : "La piste de la Streif à Kitzbühel, cela fait partie de vos souvenirs marquants ?

Johan Clarey : Tout le monde me parle des Jeux Olympiques, mais moi j'ai une histoire avec Kitzbühel qui est fantastique. Je pense que les meilleurs moments de ma carrière, je les ai passés à Kitzbühel. C'est vraiment un endroit que j'ai adoré. C'était beaucoup de pression, beaucoup de tension, ce sont des moments très difficiles mais avec beaucoup de bonheur aussi. J'ai tout vécu à Kitzbühel : les chutes, les désillusions et les super bons moments, donc c'est un endroit qui aura marqué ma carrière et ma vie, c'est sûr. 

Vous avez eu trois faits marquants dans votre carrière : le record du monde de vitesse à Wengen en 2013, le titre de vice-champion olympique et le titre de vice-champion du monde, c'est ça votre carrière ?

Je vais rajouter Kitzbühel. On parle beaucoup du record de vitesse, c'est le truc auquel je pense le moins mais je pense qu'il va rester longtemps parce que des vitesses comme cela on ne les atteint plus depuis très longtemps. Mais c'est toujours sympa et puis du coup j'ai laissé quand même une petite trace dans l'histoire du ski, avec le record de longévité et le record de vitesse, c'est cool. 

Vous vous souvenez de la vitesse exacte ?

161,9 km/h exactement ! J'avais fini 5e de la course, Innerhofer avait gagné. J'aurais préféré faire podium et ne pas faire le record de vitesse mais j'avais fait une belle course malgré tout et tout le monde me parle encore de ce record quasiment dix ans après.

Ensuite, vous avez été vice-champion du monde de super-G à Ore, à 38 ans. Vous en gardez quel souvenir ?

C'était plutôt une surprise, là aussi, parce que le super-G, ça a toujours été une discipline où j'ai eu un peu plus de mal. Et cette année-là, j'ai eu un déclic pendant la préparation estivale au Chili où j'ai vraiment fait des supers entrainements. J'ai attaqué la saison, je partais 60ème (rires) et j'ai progressé dans la hiérarchie petit à petit. J'ai un déclic à Val Gardena où je pars 50e et je termine 4e de la course. Après, j'enchaine à Kitzbühel avec un podium en super-G et sur ma lancée j'enchaine avec un podium. J'avais fait une saison fantastique en super-G donc c'était plutôt une surprise et d'avoir une médaille mondiale, c'était génial.

Quelle médaille est la plus belle ?

La plus belle, c'est les Jeux. En devenant vice-champion olympique, j'ai changé de dimension sur plein de choses. C'est la médaille qui a fait toute la différence sur ma notoriété hors ski. Je pense que c'était une récompense fantastique pour toute ma carrière. Quand on ne l'a pas, on ne se rend pas compte de ce que c'est et de la différence que ça fait. En plus, c'est une médaille olympique en descente derrière l'un des plus grands descendeurs de ces dernières années : Beat Feuz. Il ne m'a pas manqué grand chose pour avoir l'or mais cette médaille d'argent, elle valait clairement de l'or pour moi.

Johan Clarey, à 42 ans, vous avez établi beaucoup de records "de vieillesse". Qu'est-ce que cela vous fait ?

J'ai pas mal de records de vieillesse, oui ! (rires). J'en ai en Coupe du monde à Kitzbühel cette année à 42 ans, je suis le plus vieux médaillé olympique en ski alpin, le plus vieux médaillé aux Championnats du monde aussi. Le record des Jeux, je pense qu'il peut tenir assez longtemps. C'est toujours sympa, c'est ce qui fait mon histoire aussi, c'est ce que les gens vont retenir. Cela fait toujours plaisir. Ce sont des records aussi qui prouvent mon abnégation et à quel point j'ai patienté pour avoir tout cela. J'ai beaucoup travaillé, je suis allé au bout pour aller le chercher donc c'est une super récompense. 

Vous avez donc plein de records, mais vous n'avez jamais gagné. Vous comptez 240 départs en Coupe du monde et jamais de victoires. C'est un regret ? 

J'ai 11 podiums, mais j'ai 31 "top 5". Je n'ai pas eu beaucoup de réussite là non plus parce que 31 "top 5", c'est beaucoup pour seulement 11 podiums. Les gens ont tendance aussi à oublier qu'une carrière, ce n'est pas que les podiums. Je n'ai pas eu la réussite, honnêtement. Si j'avais une victoire de plus à mon palmarès, est-ce que ça changerait la trace que je laisse ? Je ne crois pas. Donc, avec le recul, c'est une déception mais pas tant que cela, je suis quand même fier de tout ce que j'ai fait. Ce n'est pas comme avoir fait des résultats à 25 ans qui vous tombent dessus. Moi j'ai eu beaucoup de blessures, j'ai eu des moments de galère incroyables et mes 5 dernières années, ce sont les 5 meilleures années de ma carrière, donc c'est top.

Pour parler des coups durs, il y a cette chute qui vous empêche d'aller aux Mondiaux de Schladming en 2013, Gauthier De Tessières vous remplace à la dernière minute et fait une médaille d'argent en super-G. Comment l'avez-vous vécu ?

Cela a été compliqué pour moi à vivre parce que j'étais dans l'une des meilleures formes de ma carrière à ce moment-là. Je fais Kitzbühel, je suis en route pour la gagne, j'ai des douleurs de dos depuis un moment, je tombe à Kitzbühel et ça finit de casser ma vertèbre. Je suis obligé de me faire opérer en urgence. Je ne suis pas à Schladming, Gauthier me remplace, c'est un copain et c'était paradoxal parce que j'étais très content pour lui mais moi je regardais les courses à l'hôpital et c'était pas facile. Cela fait partie de mon histoire aussi. Les moments difficiles vous forgent aussi pour la suite. 

Parmi les choses très difficiles, il y a eu le décès de David Poisson en novembre 2017 ?

C'était mon super copain, on a fait tous les échelons ensemble. On a le même âge, il a un an de moins que moi, on a tout vécu ensemble. Ce n'est même pas un moment difficile, c'est un moment dont je ne guérirai jamais. Je l'ai toujours en moi, on l'a vécu, on était sur place, ça a été le gros point noir de tout cela. Cela restera le gros point noir de toute ma vie. Ça reste compliqué à vivre. 

Vous y pensiez en prenant le départ d'une descente ?

Non. Heureusement, non. J'y pense souvent après ou à plein de moments, mais pas au moment de la descente sinon ça m'empêcherait d'aller prendre les risques qu'il faut et d'aller faire ce que j'ai à faire. 

Avec les départs de Tessa Worley, Nastasia Noens, Coralie Frasse-Sombet, le vôtre : c'est un gros bloc de l'équipe de France qui part, qu'en est-il de la relève ?

Ce sont des changements de génération qui sont normaux après les Jeux olympiques. Il y avait les Championnats du monde en France, moi c'est ce qui m'a fait pousser une année de plus. On a tous poussé jusque-là, c'est normal qu'il y ait une avalanche d'arrêts parce que, l'année prochaine, il n'y a pas de grand rendez-vous. La relève va arriver, ça va juste prendre un peu plus de temps. La relève est là, le ski français est fort. C'est souvent comme cela quand il y a les plus vieux qui partent, ça débloque des choses dans la tête. Moi, je suis convaincu qu'ils vont être là assez vite.

Est-ce qu'il y a une problématique sur la vitesse avec peu de pistes en France. On mise plus sur le slalom et le géant ?

Je pense que c'est culturel surtout. Je l'ai regretté depuis toujours et je le regrette encore : culturellement la vitesse est bien moins importante que la technique en France. On n'est pas un pays de vitesse contrairement à la Suisse et à l'Autriche. On le voit chez les jeunes qui se disent que, s'ils ne sont pas bons techniquement, ils ne sont pas de bons skieurs. C'est totalement faux parce que pour réussir en Coupe du monde de vitesse, il faut de très bons bagages techniques. Moi je le regrette, j'aurais aimé que cela change parce qu'on a quand même de bons résultats malgré tout en vitesse mais ça ne suffit pas pour changer l'état d'esprit, j'espère que cela changera dans les années à venir.

Vous vous êtes montrés critique envers le circuit de la Fédération Internationale de Ski (FIS). Pourquoi ?

Cela fait 20 ans que je suis sur le circuit de la Coupe du monde, cela fait 20 ans que le calendrier est quasiment le même et ça, c'est un problème. Les conditions environnementales depuis 20 ans ont énormément évolué et je pense que la FIS n'a pas su faire le changement. Il faut revoir plein de choses, décaler la saison dans le temps, aller chercher des conditions plus haut en altitude sur le mois d'avril. Si on veut que notre sport continue à évoluer dans de bonnes conditions, il faut aller chercher la neige là où elle est, au moment où elle est là et ce n'est pas ce qu'ils font pour l'instant. A un moment, ils n'auront plus le choix mais tant qu'à faire, autant anticiper et trouver de bonnes solutions dès maintenant. 

Vous êtes pessimiste quand à l'avenir du ski alpin ?

L'avenir du ski dans les 10 ans à venir, il n'y a pas de soucis. Dans 20 ans, je ne sais pas ce que cela va devenir, le ski de haut niveau et le ski en général. A la vitesse où cela va, cela peut devenir compliqué. Moi, j'étais d'une génération qui pouvait s'entrainer sur les glaciers, l'été, avec des conditions très faciles. Maintenant, les jeunes vont skier en dôme. Même les jeunes de Tignes, chez moi, ils vont skier en dôme l'été et l'automne donc c'est difficile de les motiver à faire une carrière en ski et c'est ce qui m'inquiète. Si on est un peu lucide, on est inquiet et j'espère qu'ils auront encore envie de faire du ski de haut niveau parce qu'il va être de plus en plus difficile d'en faire. 

Et votre avenir à vous, de quoi sera-t-il fait ?

Je serai consultant pour Eurosport l'année prochaine, ça c'est l'avenir à moyen-terme. Après, à titre personnel, j'ai quelques projets à long terme, je ne peux pas en parler maintenant mais avec ma station, je veux développer des activités. Mais je vais prendre une année déjà tranquille, le temps de digérer tout ça, de savoir ce que j'ai envie de faire et ce que je n'ai pas envie de faire et puis, après, on verra. 

Pour finir, quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?

Je n'ai pas envie de me souvenir d'un résultat. Je veux me rappeler d'être au départ d'une descente de coupe du monde à Kitbühel, les sensations, le feeling, la peur, cette intensité émotionnelle que je ne vais retrouver nulle part ailleurs. Je vais essayer de le graver dans ma mémoire toute ma vie, parce que ça c'est un truc que seuls les descendeurs connaissent et c'est un truc magique.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité