BLOG. Journaliste, elle se convertit à l’agriculture maraîchère : une nouvelle vie écologique et solidaire

Journaliste de formation, Laure a rejoint Sébastien dans le Lot pour travailler le maraîchage avec lui. Elle me raconte son cheminement. Le choix d’une existence simple et solidaire, au cœur d’une nature devenue essentielle pour elle.

J’arrive dans la ferme de Laure et Sébastien, dans la vallée du Lot, à l’ouest de l’Aveyron.

33 ans tous les deux, ils ont fini tôt leur journée de travail. Il m'attendent sur leur terrasse, quelques amis sont venus les rejoindre pour partager le coucher de soleil sur les collines.

Laure : « Ici, l’entraide et la solidarité sont des valeurs fondamentales. J’ai redécouvert les relations sociales et amicales, la notion de temps et d’échange. »

La jeune femme a une énergie débordante et un sourire plein d’enthousiasme. Sébastien est d’une nature calme. Il a un visage doux qui inspire une force tranquille.

Une ferme consacrée aux cornichons

Sébastien a créé La ferme de Bartusse, il y a un peu plus de 3 ans. Après divers petits métiers et reconversions, il a choisi le maraîchage. Il consacre l’essentiel de sa production aux cornichons. Il est un des seuls en France à pratiquer cette culture, sous le label associatif « Nature et Progrès ». Il fait pousser ses légumes sans aucun intrant chimique, les cueille juste à maturité, et les transforme le jour même. Il crée des bocaux de cornichons vinaigrés, et avec les tomates de son autre parcelle, et il concocte des coulis.

Laure l’a rejoint depuis deux ans. Elle gère leur grand potager et prépare ses propres recettes. Elle n’a pourtant aucune formation ni culture paysanne. Sa quête du goût des bons produits et de sens pour sa vie l’on menée ici.

Nous nous couchons tôt. Pendant la haute saison, Sébastien se lève tous les matins à 6 heures, pour cultiver ses cornichons, avec l'aide de Laure le plus souvent. Je propose de me joindre à eux.

Nous commençons la cueillette le lendemain. Après la pesée de la récolte, nous prenons une pause-café. Laure m’explique comment elle est arrivée à Bartusse.

De la ville aux champs

Depuis son enfance, en banlieue parisienne dans les Yvelines, elle rêve de devenir journaliste. Laure quitte ses parents à 20 ans et part à Aix-En-Provence « faire Science-Po » : 

« J’y rencontre une personne qui sera essentielle à mon cheminement. Mon prof de culture générale, Jean Christophe Comor. Ex-politicien, il reprend un domaine viticole dans le Var à 45min d’Aix. Les Terres Promises sont un lieu de rendez-vous, et de calme. On pouvait  y aller autant pour travailler et apprendre le vin avec lui, que pour s’y réfugier et se ressourcer. C’est un espace idyllique. Je voudrais recréer [à la ferme] la même atmosphère. »

Quelques stages dans le milieu journalistique la dégoûtent et l’éloignent de cette voie, pendant plusieurs années. Après une période de tâtonnement, elle trouve enfin un métier qui lui plait vraiment.

« Le directeur de la revue Terre de Vin à Bordeaux me propose un poste de journaliste salarié. L’œnologie est une passion que je cultive depuis mes années Terres Promises. »

C’est à cette période que Laure rencontre Sébastien. Ils tombent amoureux…
Sébastien finit alors sa formation en maraîchage et commence tout juste à monter sa ferme. Elle continue son travail à Bordeaux, mais vient lui rendre visite de temps en temps. Sans être totalement passée à l’action, ses discussions avec Sébastien vont l’aider à faire des choix de vie structurants.


Début 2017, après 5 ans de salariat, Laure démissionne et redevient pigiste occasionnelle.
En quête d'une nouvelle voie, elle s’installe dans le Lot, avec Sébastien. Et se lance dans son aventure maraîchère : « Ce n’est pas un homme qui va décider de ma vie mais son projet m’a convaincue. »
Peu à peu, sa vision de l’agriculture s’affine, sa façon de se nourrir aussi.

Des habitudes de consommation bousculées

Dans son appartement bordelais, Laure avait du mal à se nourrir de légumes d’un potager...

La nourriture c’est un facteur ultra excluant socialement.

« En ville, les produits sains et bons sont souvent plus chers que les autres. Je ne pouvais tout simplement pas me les payer.»

La jeune femme bouleverse peu à peu ses habitudes alimentaires, en commençant par le vin : « Après de nombreuses dégustations et l’impression de toujours boire la même chose, je fuis les grands domaines qui bourrent les bouteilles de sulfate et de soufre, et qui, pour moi, dénaturent le produit. Je pars à la rencontre des petits domaines... »

En faisant des marchés, elle redécouvre les terroirs et les saisons. Elle devient de plus en plus actrice de sa consommation. Sa passion pour la cuisine la guide vers son envie de retrouver la valeur des choses.

L’attrait du goût, encore, la mène à s’intéresser au bio. Nous rions en donnant le même exemple : « les tomates du jardin, ça n’a rien à voir avec les autres. »

Laure et Sébastien préparent leurs repas simplement. Ils utilisent les légumes mûrs du jardin, accompagnés d’un féculent, entreposé sur la grande étagère des bocaux de vrac. Ils assaisonnent leur plat avec des épices et autres plantes aromatiques trouvées dans le jardin.

« Il le faut bien ! On suit les saisons, et en ce moment courgettes et melons font légion. »

Laure nous propose pour ce midi un smoothie de melon et basilic avec une semoule aux courgettes pimentées. Ce soir, Sébastien a envie de viande. Il prépare des côtes d’agneau au feu de bois.

Une dimension éthique

Dans leur laboratoire, Sébastien prépare la mise en pot des cornichons alors que Laure sort une marmite pour cuisiner sa recette de légumes à couscous. 
Je l’aide, pendant qu’elle me raconte le choc qu’elle a eu en devenant maîtresse de sa consommation, lorsqu’elle s'est retrouvée indépendante financièrement.

Des tomates à 1€ toute l’année, ce n’est pas possible, ni d’un point de vue éthique, ni compte-tenu de la saisonnalité naturelle des produits.

Pour Laure, « c’est bien pour le pouvoir d’achat du consommateur, même si elles n’ont pas de goût, mais derrière, c’est le producteur qui ne gagne plus son pain. C’est beaucoup trop de travail pour trop peu de revenus. »

« Aujourd’hui, je rajoute la dimension éthique, locale et environnementale qui me tient à coeur. Je ne veux plus me laisser berner par le système qui nous pousse à une consommation aveugle. »

Nous faisons cuire les légumes, à petit feu, sur un fond musical. En remplissant ses pots, Sébastien est dans un état méditatif . Laure lui jette un coup d’oeil complice.

 « Ici, il y a tant de choses à réaliser, tant de choses qui m’aideront aussi, à m’accomplir …Tout est à créer. Le sol n’a pas été travaillé depuis 50 ans, l’environnement est redevenu presque vierge.»

Quitter la ville ne signifie pas renoncer au cinéma, au théâtre ou à sa vie sociale. Laure sait trouver les attractions culturelles autour de chez elle : « J’ai de la chance, le Lot est très riche en festivals et autres manifestations. Bien sûr, on ne rencontre pas autant de gens qu’en ville. Et il faut faire plus de kilomètres pour aller voir un film. Mais j’ai tellement gagné en qualité de vie. »

L’entraide agricole, source de solidarité

À table, nous discutons de nos expériences de vie, en campagne et en ville. Laure me confie ne jamais avoir été proche de ses voisins d’appartement.

Ici, il y a un apaisement général qui libère les relations sociales, les rendent plus simples, plus vraies. Laure l’apprécie particulièrement : « On fait attention les uns aux autres, on se donne des coups de main, on partage un bon repas, on apprend à se connaître. C’est comme ça que l’on construit nos relations ici. »

Aujourd’hui, la dichotomie entre la vie citadine et la vie rurale n’est plus aussi marquée qu’il y a quelques décennies. Les maisons ont le wifi, certains villages sont déjà passés à la fibre avant même les grandes villes voisines. De nombreuses personnes en recherche d’un lieu de vie plus calme et isolé s’installent dans le Lot depuis quelques années. La diversité du voisinage crée une richesse dans les rencontres.

La notion du temps ne se calcule pas comme en ville:  « il y a des échanges informels qui ne sont ni monétaires ni quantifiables. »

Ce partage naturel de temps et de compétences vient d’une spécificité de la culture paysanne : l’entraide agricole. Un système reconnu qui permet un échange de moyens matériels et humains, entre agriculteurs.

La jeune maraîchère en est convaincue : « en mutualisant les efforts, on est plus fort et plus rapide. Lorsqu’on a construit la serre, on en a un peu parlé autour de nous. Des amis, des voisins, et même des gens qu’on ne connaissait pas, sont venus nous aider. »

Laure a tout de même eu la chance de profiter du réseau déjà constitué de Sébastien. Elle en est consciente : l’adaptation peut être beaucoup plus violente quand on n’a pas encore de liens. 

L’apologie du troc

Laure a découvert un monde d’échange, de troc. Un service contre un service, un moment contre un moment, un service contre un bien, et inversement : « Sortir de l’échange monétaire, cela créé une mise en lien sociale beaucoup plus forte et constructive. C’est ce qui m’a le plus transformée ici. Je regrette de ne pas avoir pu l’expérimenter ailleurs. »

Pour laure, le troc est un idéal réalisable à petite échelle : « Évidemment, la valeur d’un bien ou d’un service est subjective et relative. Expérimenter le troc, familialement, ou amicalement, apprend à fixer sa propre échelle de valeurs. Les gens ne remettent pas en question la valeur d’une pièce de 1€ alors que prêter un outil contre quelques légumes peut attiser des tensions... »

Sébastien, pragmatique, ajoute :
« L’argent ne fait pas le bonheur. Ici on sait vivre avec peu. On fait ce choix parce que cela nous suffit. »

De l’écologie à l’autonomie

Ce mode de vie est en adéquation avec leur conscience écologique : les toilettes sèches, le compost, le recyclage et la transformation des légumes sont autant d’alternatives contre la surconsommation. Cela les incite aussi à être créatifs. Laure teste, expérimente, en construisant une table par exemple, puis un comptoir pour la cuisine. Elle sort de sa zone de confort, et s’émancipe des normes.

« Je peux te dire qu’après avoir coupé mon premier arbre à la tronçonneuse, j’avais une sacrée confiance en moi ! » me déclare-t-elle dans un grand rire.

« C’est très valorisant de se rendre compte qu’on n’a pas besoin de toujours payer quelqu’un pour faire ce dont on a besoin. Ma table est moins parfaite que si je l’avais achetée , mais sa valeur est bien plus grande à mes yeux ! »

L’autonomie de Laure et Sébastien m’impressionne. Leur notion du temps est totalement en décalage avec la vie classique.

« C’est clair que prendre le temps de faire mes conserves en été est indispensable pour que je mange l’hiver", me confie laure. "Impossible de partir en vacances l’été... »

Une nouvelle page de vie exaltante

La vie au contact de la terre implique certaines contraintes sans obliger Laure à renier tout ce qui nourrissait sa vie auparavant : « Il y a des choses que je ne veux pas totalement abandonner. J’adore voyager par exemple. L’argent que je gagne grâce aux piges que j’écris encore me sert à me payer des vacances. »

L’engouement de Laure, la curiosité, sa soif d’apprendre sont palpables : « C’est encore le début, la période est très exaltante, j’ai tout à apprendre, tout à tester. C’est à la fois énergisant et apaisant. Je suis entourée de gens animés des mêmes envies que moi. Des gens solidaires les jours de doute. Je ne sais pas combien de temps ça durera, mais une chose est sûre : 

Je me pose beaucoup moins de questions et j'agis beaucoup plus.

Si un jour, je pars vers autre chose, je transmettrais un lieu dans un chouette état pour que les prochains en profitent. »

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Retrouver mes précédentes rencontres plus bas ! 

Le Projet : 

Pendant tout juillet-août, je sillonne le sud, d’est en ouest, pour parler différences et diversité. Je partage ici les portraits de mes rencontres, les personnes qui m'auront émue, questionnée ou intriguée pour discuter avec vous de la société et de la norme.
Ce projet c’est également faire confiance au hasard des bonnes rencontres au bon moment, croire en la générosité des gens et à la bienveillance !
C’est donc un roadtrip initiatique que j’entreprends comme stage de fin d’études pour France 3 Régions et je raconte mes rencontres ici, sur la page facebook de France 3 Régions et sur instagram.
Sudement vôtre ! ☀️☀️☀️
 

PRÉCÉDEMMENT

6- Toulouse : La belle histoire de Chea : de réfugié politique à chef cuisinier toulousain, le parcours d’un résilient
5- Marseille : Apéros gay friendly sur la plage du Prophète avec l'association MUST
4- Salignac : l'aveu d'un absent à une inconnue au bord de la piscine
3- Saint-Symphorien-sur-Coise : sans jeunesse point de futur
2- Festival d'Avignon : quand la différence et la diversité montent sur scène
1- Festival d'Avignon: quand la chaleur écrase tout, seuls les habitants guident mes pas
 

La belle histoire de Chea : de réfugié politique à chef cuisinier toulousain, le parcours d’un résilient

Après le Sud-est, je pars à la découverte de l’Occitanie. Première étape : Toulouse ! Je rencontre au hasard d’un diner en ville, Chea Monchheang, un restaurateur d’origine cambodgienne. Il me raconte son histoire et son choix de ne pas partager la cuisine de son pays natal.

Lors de mon premier soir à Toulouse, j’arrive par hasard au restaurant Le Katana, tenu par Chea et son épouse.
Chea m’accueille avec un grand sourire, me conseille un menu et m'explique le concept de Teppan Yaki. Sur la plaque chauffante au centre de chaque table, il prépare les plats sous les yeux curieux des convives. Pendant qu'il fait voltiger des légumes et qu'il me glisse dans l'assiette un tofu délicieux, croustillant et fondant à l'intérieur, nous entamons la discussion.

«J'aime discuter avec mes clients, j'admire beaucoup la culture française. Les discussions sont toujours enrichissantes,  j'ai même échangé parfois avec des philosophes»
Pour lui, la culture c'est se lier avec les gens. Il est très abordable, jovial et bon vivant. Il a aussi le rire facile et communicatif.
Sous son air tendre, se cache un traumatisme profond.

Cambodgien de naissance, il a pourtant fait le choix de proposer de la cuisine japonaise.

« Ce choix fait suite à une tragédie. Lorsque je me suis installé en tant que cuisinier à Toulouse, les Français avaient toujours en tête la prise de pouvoir des Khmers rouges dans mon pays et les médias de l’époque accusaient les cambodgiens d'avoir commis un vrai fratricide. Ce n'était pas la réalité, c’était une guerre d’idéologie entre les communistes et les autres. »

« Ça a tellement marqué les esprits en France et nous ça nous a fait tellement de mal que je n’ai pas voulu cuisiner cambodgien. »

Des débuts douloureux

Chea arrive en France avec un passeport d’étudiant le 9 mars 1975. 

« J'ai 20 ans, un français médiocre et mon bac du Cambodge en poche : on était sous la domination coloniale depuis Napoléon III. Mais une fois en France, je ne suis pas au niveau et renvoyé en classe de seconde dans un lycée en Loire-Atlantique. c'est entre 75 et 79. » Sous protectorat français depuis 1893,  le Royaume du Cambodge acquiert son indépendance en 1953, mais garde encore le français comme langue officielle. 

« L’idée à l’époque n’était pas du tout de s’installer ici. On venait étudier en France avant de repartir faire nos vies au pays. Mais un mois après mon arrivée, le 17 avril 1975, les Khmers rouges instaurent un régime communiste totalitaire au Cambodge. »

Il y a des massacres de masses, des violences atroces.

Les Khmers rouges, un mouvement politique et militaire communiste radical, rassemble de plus en plus de partisans durant l’enfance de Chea. Ils entament une guerre civile, de 1967 à 1975, contre le Royaume et celà en parallèle de la guerre du Viêt Nam, leur voisin. Finalement ils gagnent cette guerre et contrôleront le pays de 1975 à 1979.

Les crimes du régime des Khmers rouges couvrent l'ensemble des meurtres, massacres, exécutions et persécutions ethniques, religieuses ou politiques commis. Ils tuent sans distinction les bourgeois, les étudiants et les érudits. Les villes sont vues comme le mal incarné et vidées. Toute la population cambodgienne, hommes, femmes et enfants, se retrouve à travailler dans les rizières ou les mégachantiers en zone rurale. 

Les cours d’idéologie politique dispensés par cette dictature ruraliste et xénophobe sont là pour faire oublier par la terreur, l’ancienne culture, l’anglais et le français.

Le nombre total de victimes n'est pas précisément connu encore aujourd’hui. L'estimation tourne autour de 1,7 million de morts (soit 21 % de la population cambodgienne de l’époque) et plus de 3 millions, si l’on tient compte du grand nombre de réfugiés, victimes des bombardements américains, dans l'est du pays avec la guerre du Viêt Nam.

Après leur prise de pouvoir en avril 1975, les Khmers rouges ferment les frontières du pays et ne laissent aucune information fuiter. Les premiers témoignages, rapportés par le prêtre François Ponchaud, arrivent en France en février 1976 et sont accueillis par Le Monde et Libération avec un certain scepticisme ; Libération va même jusqu’à qualifier ces révélation « d’intox pure et simple ». Pour tous les réfugiés cambodgiens en France, c’est une lame en plein coeur. 

« Le pays est alors sous la coupe communiste. La défaite contre l’invasion viêtnamienne, en 79, leur fait perdre la face et entraine la fuite de nombreuses personnes. »

« A cette époque, c’est un choc émotionnel d'entendre la violence des propos rapportés par les médias sur la guerre du Cambodge et du Viêt Nam. V. Giscard D’Estain donne le statut de réfugié sans restriction aux ressortissants indochinois (Laos, Cambodge et Viêt Nam). »

On sentait qu’on n’avait plus de pays, ni le Cambodge ni la France.

« On était totalement déraciné, désarmé, pour démarrer une seconde vie, il faut s’accrocher »

« Il y a 40 ans, je suis jeune et presque SDF. Je demande alors le statut de réfugié en 76 et après le bac. Je dors dans la rue, devant une église, avec juste mon sac de couchage et mon sac à dos.  Je rêve d’avoir ma place au soleil. »

J’écoute Chea. L’émotion dans sa voix quand il raconte. Des pans entiers de sa vie défilent devant ses yeux. C'est encore à vif.
Sa place, Chea l’obtient en retroussant ses manches et en se plongeant dans le travail.

Travail, Famille, ...

« J’ai dû vite trouver un travail pour vivre décemment. Je suis parti en Bourgogne rejoindre mon frère, restaurateur à Beaune. Entre 80 et 85, il m’a permis de me former à la restauration. »

Et c'est presque par hasard qu'il arrive à Toulouse :
« En 1985, j’ai l'opportunité de trouver un local dans le quartier Jean Jaures et j' ouvre mon propre restaurant. »

« Une fois ici, avec ma femme et mon premier enfant, j’ai senti que c’était le moment pour poser vraiment nos valises et nous consacrer à notre famille.»

Le premier restaurant de Chea se spécialise dans la cuisine chinoise. Il garde son enseigne jusqu’en 2018. En 2005, il ouvre en parallèle son restaurant actuel : Le Katana, proche de la Garrone. 

Nous discutons culture et littérature. Chea se livre : 

« J’ai commencé à lire à l’âge de 8 ans. Il y avait des traductions de Victor Hugo quand les communistes n’avaient pas encore trop d’influence. La culture française, c’était un rêve pour moi, même si je n’ai jamais adoré lire des romans. »

« Je dévore les revues scientifiques, les livres de sociologie, d’ethnologie, de philosophie, d'histoire...». Ce travailleur acharné poursuit  « La culture, la connaissance permet d'échapper au monde de l'ignorance. »

C'est aussi un moyen d'intégration

« Je n’ai jamais été complexé par rapport aux Français de souche. Je m’identifie d’une manière naturelle, je me sens français. D’ailleurs j’ai la nationalité depuis 1994 ! »

Une volonté d'intégration omniprésente

« Nous avons adopté un mode de pensée français, élevé nos enfants comme des Français. C’est le strict minimum de se comporter comme tout le monde dans la rue, de s’exprimer comme il faut, d’avoir les codes de la politesse. Et puis Toulouse c’est une ville très ouverte. »

Chea n'est pas en peine d'anecdotes : « Dans les années 70,  les journalistes occidentaux et américains se moquaient du père fondateur de la République de Singapour. Il demandait à ses citoyens d’adopter les comportements occidentaux, à tel point que les médias l’avaient surnommé la « Banane » : une peau jaune, mais une chair blanche ! »
Chea éclate de rire :  « Eh bien nous aussi on pourrait dire qu’on est des bonnes bananes ! »

Racisme et éducation

Chea, on l’a compris n’aime pas se plaindre. Mais il avoue quand même avoir entendu des remarques racistes au fil des années. Il a d'ailleurs classé le racisme en quatre catégories :

Le rascime instinctif, celui de la curiosité créée par la différence. Il peut être évité grâce à l'éducation

Le racisme primaire, « les insultes liées à l'origine comme "chinetoque" pour les personnes asiatiques. Elles sont devenues des expressions tellement communes. Elles sont souvent formulées sur le ton de l’humour, sans penser forcement à mal.. Mais ça n’est pas pour autant correct. »

Le racisme secondaire aussi. « J’ai assisté à la préparation du Vendée Globe il y a quelques années. Il y avait à côté de moi un passant qui a dit en parlant d’une équipe « y'a un mangeur de riz comme skippeur ». Pour lui faire comprendre l'impact de ses propos, je lui ai tapoté sur l’épaule en lui disant « eh c’est moi que tu cherches ? Je suis là.»

Et enfin il y a les ultra-racistes : « Les pires, c’est malheureux, mais je ne sais pas trop ce qu’on peut encore faire d’eux »

Il regrette cette tendance à l’ethno-centrisme, source de tellement d'incompréhensions. « C'est une affaire d'éducation. En Europe, on n’apprend pas assez l’Histoire des autres civilisations. »

« Mon fils était en 5e. Un soir il rentre tout attristé et en me racontant sa journée ; on l’a traité de « petit chinetoque ». »
« Ça me fait rire aujourd’hui, parce qu’on en a vu d’autres depuis, mais à l’époque j’étais vraiment peiné pour lui. C'était sûrement du racisme primaire chez des enfants mais ces enfants avaient dû entendre ces mots-là prononcés par des adultes. »
« Alors, Je lui ai dit qu'il devait apprendre le français le mieux possible, qu’il soit meilleur que les autres. Il est devenu premier de sa classe, son français est irréprochable et au lycée, il a en plus appris le latin et le grec. »

L'émotion se lit sur le visage de Chea parlant de son fils. Il est si fier, de lui et de sa réaction, parce qu'il a montré à la fois sa volonté, sa force et ses capacités. « Cette injustice l’a placé dans une dynamique positive. Aujourd’hui, il fait le métier qui lui plait à Paris et il parle 5 langues ! »

« L'important, c'est de vivre au présent »

L’éducation donné par Chea et sa femme est très éloignée de celle qui leur a été inculquée. « On n’a jamais voulu imposer un chemin à nos enfants tout comme nous n’avons jamais voulu imposer nos souvenirs. »
« On ne peut pas renier sa propre culture, nos propres racines, nous n'avons rien imposé. La priorité c’est de vivre au présent. L’histoire de notre pays est dure. C’était inutile de s’appesantir. Si aujourd’hui, maintenant qu’ils sont plus grands, ils veulent poser des questions, on leur répondra. »

Qui dit culture dit tradition. Pour lui c’est un carcan. Et il sait de quoi il parle, Chea et son épouse ont fait un mariage de raison. Le jour de son mariage à 28 ans, il ne connaissait pas sa future épouse. L'importance des ancêtres, de la famille a totalement structuré la société toute entière : « la grand-mère de ma femme est la cousine de la grand-mère paternelle. Nous sommes donc cousins issus germains de 5e génération. Les liens de parenté sont une question essentielle dans notre culture. Nous attachons beaucoup d’importance aux liens du sang. C’est l’influence de la philosophie de Confucius et de l’hindouisme.» 

On souffre, mais on s’assume. 


« Ça fait 36 ans qu’on est marié. Depuis 1983 exactement. Aujourd’hui c’est un mariage d’amour, on s’est découvert et on a tout traversé ensemble. L’amour idéal, ce n’est que dans les livres. Le quotidien c’est différent, mais c’est beau aussi. »

Maintenant Chea et sa femme tiennent Le Katana ensemble. Leur fille les aide sur l’administration. La retraite arrive à grands pas.

Ça me fait une peur bleue

« J’ai besoin de me rendre utile, c’est primordial pour moi. Et de ne plus avoir de travail et d’utilité dans la société m’inquiète. »
« En même temps je suis ce qu’on appelle dans un dicton chez moi une vieille vague, et la vieille vague doit se laisser dépasser par la nouvelle. J’ai bientôt 65 ans, je regarde les jeunes pousser et je les aide quand ils ont besoin de conseils.»

Ma force, ça a toujours été mon travail, mais maintenant je suis fatigué

Chea me confie dans un sourire : « Même les héros ne peuvent plus soulever leur glaive un jour, moi j’ai du mal à tenir mes couteaux »

Avant d'envisager l'avenir autrement et de reparler du Cambodge : « Je vais continuer de cuisiner avec ma femme, pour la famille et les amis. Peut être que j’aurais le temps pour voyager. Je ne veux pas revoir le Cambodge... Mais je pourrais peut être cuisiner des plats de mon enfance. »

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Marseille : Apéros gay friendly sur la plage du Prophète avec l'association MUST

Prochaine étape de mon roadtrip : Marseille. Je viens rencontrer Giampiero Mancinelli, fondateur et président d'une association sportive LGBT  & Friendly, ouverte à tous : MUST. Il me raconte son combat contre les préjugés dans une ville qui n'a pas la réputation d'accepter les différences.

Giampiero Mancinelli, m’a donné rendez-vous ce soir, sur la plage du Prophète, en plein centre-ville. 
J’arrive en avance, il est 18h30, le rendez-vous est à 19h. Après une chaude journée, amis et familles du quartier sont dans l’eau. Les enfants jouent sur les rochers et les adultes discutent un peu à l’écart du chahut.J’ai découvert Giampiero grâce à un article (à lire ici), alors qu’il participait à l’évènement sportif international des GayGames, en 2018, à Paris. Son engagement, sa sympathie et sa générosité m’ont tout de suite donné envie de le rencontrer. Trapu et musclé. Il se dégage de lui une force tranquille. Ses yeux pétillent de vivacité et de curiosité.
Comme chaque mercredi, c’est l’apéritif estival de l’association, ouvert à toutes les personnes bienveillantes qui veulent s’y joindre. 
« C’est pas un évènement communautaire, c’est avant tout un moment de partage. Bien-sûr, il y a le drapeau arc-en-ciel, c’est un point de repère pour ceux qui veulent nous trouver. Mais à part ça, on est comme n’importe quel groupe de Marseillais. On prend l’apéro sur la plage le soir et on profite des amis et de la mer ! »
Je me demande si cet apéritif sous les couleurs du drapeau arc-en-ciel va venir perturber les baigneurs, dans une ville qui n’a pas toujours la réputation d’être ouverte sur la différence et la diversité…

« Il n'y a pas de centre LGBT (Lesbienne Gay Bisexuel Transgenre) à Marseille, c’est pourtant la 2e capitale française. Ça fait des années que la ville trouve des excuses pour ne pas fournir un local et créer une permanence. À Marseille, tous ceux qui ont besoin d’aide, de conseil, ou qui simplement veulent se sentir en sécurité n’ont pas beaucoup d’options. Il n’y a que l’association Le Refuge, et encore, il y a seulement une dizaine de places, pour les moins de 25 ans.»
Avec son mari Eli, Giampiero installe les victuailles pour la soirée. L’ambiance est conviviale.
« Les gens passent à côté de nous, nous sourient, viennent discuter ou jouer au volley avec nous, on n’a jamais eu de problème ici. On est entre 30 et 70 chaque semaine et on a un bel accueil à chaque fois ! »
Giampiero n’a jamais eu de remarques déplacées lors de ces apéritifs.
« On a commencé les apéros il y a 4/5 ans sur une plage au Prado mais ce n’était pas une plage de sable et puis on était très isolé donc pas de visibilité là-bas. Ça fait 2 ans qu’on vient sur cette plage-ci, on est plus exposé et on voit une vraie curiosité et bienveillance des gens, je pense qu’ils finissent par s’habituer à nous.»

Visibilité et fierté

Giampiero continue : « La visibilité c’est primordial, il faut donner des exemples positifs. »
« On n'est pas là pour faire de grosses actions « coup de gueule » contre les discriminations. Mais en apparaissant un peu partout et toute l’année, dans tous les événements accessibles ».

On normalise notre différence.

« Il y a toujours des gens pour qui « être homo” c’est bizarre. Il y a toujours des regards un peu gênés parfois dans la rue quand des passants me croisent alors que je tiens la main de mon mec ou qu’on s’embrasse, mais la majorité maintenant ne réagit plus. »

Et ça fait tellement de bien à ceux qui se cachent de voir ceux qui sont « out » vivre heureux !

Giampiero m’explique comment il a vu évoluer l’homosexualité à Marseille.
« Je me souviens de la première Marche des Fiertés à laquelle j’ai participé ici,  l’ambiance était bizarre. Les gens nous regardaient, ne disaient rien, c’était très froid et distant. Aujourd’hui les gens interagissent avec le défilé, les passants nous sourient et dansent avec nous, on se sent mieux acceptés. »

Une grande famille inclusive

MUST s’est beaucoup développée en 6 ans, aujourd’hui il y a plus de 360 adhérents et 13 disciplines (athlétisme, pétanque, basket, Foot, Danse, Escalade, Volley, Badminton…)

« On a deux équipes de foot complètes, une masculine mixte et une féminine mixte, un mec peut donc choisir de jouer avec les filles et inversement. Ça laisse la possibilité aux femmes et hommes transgenres et cisgenres de choisir ce qu’ils préfèrent. »

Tous les équipes de sport sont mixtes !

Pas d’entraineur professionnel dans l’association, mais des membres référents dans chaque discipline. « On est tous bénévoles dans l’asso, mais on a quand même besoin de gens compétents et pédagogues pour gérer les groupes. »
 

« Must a pris beaucoup d’ampleur mais on est toujours une petite équipe. On essaye de se structurer pour alléger nos charges de travail. Cette année par exemple, on a lancé les inscriptions en ligne, ça nous fait gagner beaucoup de temps. »

C’est en Californie qu’il s’est lancé dans le sport : « À San Franscico, j’ai découvert une équipe de foot qui acceptait les différences et accueillait les nouveaux comme dans une famille. Je n’ai rien trouvé de similaire à mon arrivée ici, il y a 10 ans. On l’a donc fait nous-mêmes »

Giampiero est physicien. Après avoir étudié en Italie, il travaille aux États-Unis comme chercheur en physique des hautes énergies et des particules. Après plusieurs années, il souhaite changer de poste et trouve une opportunité en France. Giampiero est directeur de recherche au CNRS pour le CPPM (Centre de physique des particules de Marseille) depuis 2009.

En 2013, il donne donc naissance à  MUST (Marseille United Sport pour Tous) + (lien http://www.must13.org/ ) : « On a créé MUST avec un petit groupe de copains qui voulaient jouer au foot sans se faire insulter parce qu'ils sont homos ».
L’association promeut le sport pour tou·te·s.

Le but premier c’était vraiment de faire du sport ensemble, sans discrimination.

« L’idée m’est venue à la suite de mon expérience américaine. Avec la conviction qu’on est tous égaux. Homme, femme, cisgenre et transgenre, hétéro, homo, bi, personnes non binaires, personnes intersexes… J’aime bien la compétition évidemment. Mais faire du sport avec des gens sympas,  c’est plus motivant. »

Aujourd’hui Giampiero a une vision plus large que la seule communauté LGBTQI. Il donne aussi une place aux personnes socialement défavorisées et aux personnes réfugiées.
Les apéritifs sont aussi faits pour pratiquer des sports de plage et se défouler après le travail. Un groupe a installé un filet de volley et constitue des équipes. D’autres se lancent dans une petite baignade. Pendant ce temps Giampiero propose de m’initier à la pétanque sur sable.

Je vais faire équipe avec Corinne, une des premières adhérentes et amie de longue date de Giampiero. Lui joue avec Sandra, une trentenaire qui vient aujourd’hui en repérage pour s’inscrire à la rentrée. Entre deux lancers de boule, je demande à Giampiero qui adhère à MUST ? : « Tout le monde ! Vraiment tout le monde ! Pour te donner des chiffres, on a environ 20% d’hétérosexuels et donc les 80% restant ce sont des homos, des lesbiennes, des bisexuels, des femmes et hommes transgenres… »

Corinne, pédiatre spécialisée et joueuse aguerrie de pétanque, continue : «  La majorité des gens ont 25-40 ans, mais en gros ça va de 16 à plus de 70 ans »

Giampiero reprend : « Il y a de plus en plus de jeunes aussi. »
« On ne refuse personne pour manque de moyen, mais on refuse pour manque de place. Marseille manque de structure pour nous, on veut garder des prix très bas pour être le plus accessible possible. »

Il me confie encore : « Je regrette juste qu’il n’y ait pas plus de femmes, et pourtant c’est pas faute d’essayer je n’arrête pas de les draguer ! » me dit-il en lançant un regard complice à son mari, Eli, faussement jaloux.

« Avec seulement 30%, nous sommes considérés comme bien placés en terme de parité, comparés aux autres associations LGBT et sportives.

Cela montre vraiment qu’il y a encore du travail contre le sexisme au sein même de la communauté, tout comme pour le racisme et l’homophobie. Les homos homophobes ça existe…»

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Le soleil est presque couché quand nous entamons notre deuxième partie de pétanque. Giampiero et Sandra ont gagné la première, mais nous sommes bien partis avec Corinne pour celle-ci. Pendant que Corinne lance sa boule, je m’intéresse à Sarah et à son envie de rejoindre MUST. 
« Je suis coach sportif et entraîneuse de tennis. Dans mon milieu professionnel, je ne partage pas toujours les mêmes opinions que tout le monde… Entre le sexisme, le racisme et l’homophobie décomplexée, c’est un peu usant à la fin. J’aimerais rencontrer des personnes plus ouvertes d’esprit. »
Sarah habite et travaille à Marignane, une ville limitrophe de Marseille, à une trentaine de minutes du centre-ville.
Elle semble partante : 
« Je ferai quand même le déplacement, c’est la seule association que j’ai trouvée qui me corresponde aussi bien et qui propose les activités qui m’intéressent. Se sentir en sécurité, comprise ou au moins acceptée, en pratiquant les sports qu’on aime, cela n’a pas de prix.»
MUST participe chaque année à de multiples événements : des manifestations LGBTQI comme la Marche des Fiertés de Marseille ou des compétitions sportives comme  le mondial de pétanque La Marseillaise… Régulièrement, l’association remporte médailles et trophées dans tous les sports pratiqués.

« Avec Eli et d’autres adhérents, on a d’ailleurs participé aux Euro Games à Rome en juillet. C’est un événement sportif ouvert à tous, qui porte des valeurs de tolérance et de diversité. On a rapporté 12 médailles ! »
À travers des compétitions locales, régionales, nationales ou internationales, MUST est sur tous les fronts : « Avoir des personnes de tous les horizons est un besoin pour nous, ça apporte une richesse dans les rencontres, une solidarité et une cohésion incroyable.»

Marseille et l’homosexualité

Corinne a toujours vécu à Marseille, elle a l’accent chantant et la tchatche facile.

« Quand on écoute les médias, on parle de Marseille pour la drogue, et les règlements de compte, pas pour des agressions homophobes. En vivant ici je n’ai pas l’impression qu’on se fait agresser. Ou en tout cas c’est discret, parce qu’autour de moi on ne l’a jamais été. »

« On a moins de problèmes que dans d’autres villes, je pense. À Avignon ou Toulon… je ne sais pas si tu peux te balader main dans la main avec ta femme ou ton mari tranquillement. »

Elle m’explique qu’il « ne faut pas oublier qu’une femme tenant la main à une autre, ce n’est pas perçu du tout comme un homme avec un autre. Dans les autres villes peut être que ça se remarque plus et c’est pour ça qu’il y a plus d’agressions. Ici, les gens sont occupés avec leur business, légal ou illégal, donc ils ne font pas attention à nous, et puis ma fois, on ne se fait pas remarquer non plus. »

« J’ai des amies qui ne veulent pas s’embrasser dans la rue par exemple, alors que tu peux ici, vraiment. Je le fais avec ma copine, et puis il suffit d’aller au Cour Julien ou à La Plaine pour voir des jeunes s’embrasser. »

Giampiero me parle de son expérience personnelle.
« On a parfois encore des regards ou des remarques, mais moins qu’il y a 10 ans. Je n’ai jamais eu de vrai problème ici. La seule fois où j’ai appelé la police, c’était à Paris ! »

« Et puis parfois on a même des surprises : notre « référent foot » est arrivé par hasard chez nous, il y a quelques années. Il ne savait pas que c’était LGBTQI et il était homophobe en plus. Aujourd’hui il a complément changé, c’est des petits miracles qui ne sont pas si petits au final. »

Marseille, une mine d’associations

MUST est lié à d’autres associations locales et nationales.
« Depuis 10 ans, les associations LGBTQI se sont beaucoup développées. On collabore avec plusieurs d’entre elles. Notamment « le Refuge » qui accueille les jeunes LGBTQI rejetés par leur famille. 
On pense que ça n’existe plus en France, en 2019. Mais il y en a encore plein qui se font battre, rejeter et parfois tuer pour ce qu’ils sont. Garçons ou filles, les ados LGBTQI sont, encore aujourd’hui, ceux qui se suicident le plus. En particulièrement les jeunes transgenres, qui dans les médias ou autour d’eux, n’ont pas encore beaucoup de modèles positifs.»

MUST collabore avec Le Refuge pour aider les jeunes par le sport et la socialisation. Ils accueillent aussi des réfugiés. 

Giampiero part du principe que l’union fait la force. Sa mission ne s’arrête pas au sport. Il veut faciliter l’intégration d’un maximum de personne dans une ville qui « ne met pas les moyens où il faut ».

Giampiero me parle aussi de Coco Velten, un nouveau lieu associatif qui vient d’ouvrir au public entre la gare Saint-Charles et le Vieux-Port : 
« Ça va être un lieu de rencontre, de culture et d’échanges en tous genres »
« Il va y avoir des logements pour les sans-domiciles, des bureaux pour des startups, des concerts, des spectacles, y a un bar et un restaurant… On y organisera peut-être des cours de sport ou des apéros. »

S’entre-aider entre assos c’est une évidence, il faut faire en sorte que toutes les démarches vivent le plus longtemps possible.

« On a chacun nos luttes spécifiques, mais quand elles peuvent se rejoindre pour des événements particuliers, autant en profiter ! »
 

MUST ça a changé la vie de beaucoup de gens.

« Il a commencé avec pas grand-chose, et peu d’activités, puis maintenant c’est fou ! »,  m’explique Corinne pendant que Giampiero est parti discuter avec les nouveaux. « MUST a pris une place dans le sport LGBTQI c’est incroyable, il suffit de voir toutes les médailles et trophées qu’on a ! » 

En en parlant avec lui un peu plus tard, Giampiero reste très humble « Il y avait un besoin pour la communauté, je pense, et puis ce n’est pas une association qui lutte directement contre l’homophobie ou le SIDA par exemple, nous c’est quand même du sport d’abord donc c’est plus ludique. Ça laisse de la place à ceux qui veulent faire du sport engagé et ceux qui veulent juste être bien entourés. »

Giampiero, comme Corine et bien d’autres, voudrait un centre LGBTQI à Marseille. 
« Ça allégerait MUST qui remplit un peu ce rôle avec les autres assos LGBTQI de Marseille et puis il y a déjà eu des idées de projets lancés.»

« Le conseil de Provence a lancé un comité d’observation pour la lutte contre les discriminations il y a déjà 2-3 ans. On est environ 7-8 assos LGBTQI dans le comité et la question d’un centre a déjà été abordée. La ville en a besoin et c’est quand même un peu une honte que la 2e ville française n’en ait pas. Le projet avait été salué positivement, il y a un an. Ils avaient annoncé qu’ils avaient trouvé un endroit et qu’ils allaient l’acheter et puis depuis, rien. On a plus de nouvelles. »

« S’ils avaient vraiment envie de faire quelque chose, ils pourraient l’ouvrir sans problème. Ils ont trouvé 20 millions d’euros pour refaire la place de la plaine, avec un centième de ça ils pourraient faire un beau projet et venir vraiment en aide aux habitants. »

Je demande à Giampiero comment il se voit évoluer dans le monde associatif de Marseille.

« J’aimerais qu’il y ait plus de bénévoles à MUST, pour libérer du temps à tous. Je pense peut-être passer la main de la présidence d’ici un an ou deux, pour aider ailleurs. Mais je resterai toujours dans le conseil d’administration. C’est mon bébé quand même ! 
Il va bientôt y avoir les municipales, il y a des regroupements qui se mettent en place et j’aimerais donner un coup de main. Avec les pourcentages que fait le FN ici, j’ai peur. Rien n’est acquis et ça pourrait être pire alors si je peux aider, j’aide. »

Giampiero conclut en jetant un oeil tendre à son mari : « Et puis je dois penser à ma relation, j’aimerais trouver un équilibre plus sain, entre mon travail, le monde associatif et ma famille »
 

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Salignac : l'aveu d'un absent à une inconnue au bord de la piscine

Je quitte les monts lyonnais pour descendre à Marseille. Sur le chemin, je fais étape à Sisteron où se tient un évènement médiéval. Je pensais y rencontrer des artisans de métiers anciens, mais c’est finalement Mounir qui va se confier à moi.

C’est au bord de la piscine de mon Airbnb à Salignac, petit village des Alpes de Hautes Provence à 7km de Sisteron, que je fais la connaissance de Mounir Khaddam.Il a un accent du Sud bien prononcé, une peau brune habituée au soleil, les cheveux courts et frisés rejoints par un collier d’une barbe courte entourant un visage doux. Il attire la sympathie, on le sent jovial et spontané, mais ses yeux cachent une mélancolie dont je ne sais pas encore d’où elle provient.

Cela fait 3 semaines qu’il est en déplacement à Sisteron pour le laboratoire Sanofi. À 35 ans, il est le chef de chantier de la mise en arrêt temporaire de l’usine. Il rentre d’une journée de 12 heures de travail et vient profiter de la piscine pour se détendre un peu, après avoir préparé la journée du lendemain. 

Mounir s’installe au bord de l’eau avec son verre de whisky glacé et une cigarette, le soleil tape encore même s’il va bientôt s’effacer derrière la cime des arbres. Nous dépassons vite les formules de politesse pour nous présenter l’un l’autre.
Mounir habite à Martigues, une commune à 30 minutes de Marseille. « On a une vie de rêve là-bas, la maison est au bord de l’eau, les usines donnent beaucoup d’emplois, même si elles polluent aussi beaucoup la région». Martigues, la « Venise Provençale », vit principalement de la forte activité industrielle en pétrochimie des alentours.

La conversation s’engage sur Marseille, la prochaine étape de mon voyage. 
« J’ai grandi avec des voyous près de Marseille dans les cités et il y avait des codes, du respect dans les pratiques. Aujourd’hui, les mecs ont faim et rien ne les arrête. » 
Il me met en garde, comme beaucoup d’autres avant lui, sur cette ville, certes très belle, mais où il faut choisir ses quartiers. « Ma belle-mère est venue de Belfort visiter Marseille il y a quelques années. Je l’avais mise en garde, je lui avais conseillée des quartiers sauf qu’elle s’est promenée n’importe comment. Elle disait qu’il n’agresserait pas une vieille femme voilée… et bah tu parles, ils lui ont arraché sa chaine en or. »

Les champs de lavande près de la maison apportent un parfum sucré à l’air sec. La lumière est douce et les couleurs dans le ciel sont chaudes, au fond des feuillages on distingue un coucher de soleil entre les montagnes au teint rose-orangé. Il n’y a pas de cigales ici, nous sommes déjà à trop haute altitude pour elles, seuls les oiseaux se répondent encore au loin.
 

Enfance douce

Mounir est né au Maroc, son père était saisonnier dans les champs en France six mois sur douze pendant son enfance. Durant l’ère Mitterrand, son père en a profité pour rapatrier sa famille et se trouver un travail plus stable. 
« En 92-93, quand tu arrivais du Maroc, c’était comme arriver des États-Unis aujourd’hui. Tout le monde voulait te parler, apprendre ta langue, que tu leur racontes ta vie… les gens étaient très curieux et chaleureux, j’étais la star dans la cour de récré ! » Mounir est arrivé à l’âge de 8 ans avec sa mère, son frère et sa soeur. Ils se sont installés dans la cité la moins chère et ont été très bien accueillis.
« Aujourd’hui je ne pense plus que ça soit pareil. C’est devenu un problème d’être immigré maintenant et je n’ai jamais eu autant de remarques racistes dans ma vie que depuis quelques années donc ça doit être dur pour les petits. »

J’ai eu une enfance privilégiée, naviguant entre un petit village du Maine-et-Loire et Paris. La mixité sociale n’était pas vraiment une question dans mon école, mais les rares personnes non blanches n’étaient pas pour autant mises à l’écart. Dans mon quotidien d’étudiante à Paris j’étais entourée de personnes venant de cultures, et d’éducations très variées, mais je me rends compte aujourd’hui que nous avons assez peu parlé de nos origines. L’origine au sens ADN ne m’intéresse pas particulièrement, mais le vécu, le ressenti, l’origine de qui nous sommes, de comment nous pensons en fonction de notre éducation et de notre environnement m’intrigue là beaucoup plus. Je suis reconnaissante à Mourir de s’ouvrir à moi avec tant de naturel et de confiance.


Nous nous arrêtons quelques instants dans notre échange, la pénombre s’installe doucement, Mounir me propose un verre et je lui demande s’il veut bien que je le photographie avant que les derniers rayons du soleil ne disparaissent. Je sens qu’il n’est pas à l’aise, il refuse avec pudeur en me disant qu’il n’est vraiment pas à son avantage et qu’il ne va pas si bien que ça aujourd’hui. Il préfère parler, nous reprenons la discussion.

Jean

« J’étais un peu un caïd pendant mon adolescence et puis un jour y a un petit gringalet qui est arrivé dans la cité, tout le monde voulait lui faire des misères et je ne sais pas pourquoi, mais je l’ai directement pris sous mon aile. » Mounir me raconte sa rencontre avec son meilleur ami, Jean. 
« Je l’ai protégé comme mon frère, c’est d’ailleurs devenu mon frère, on se disait vraiment tout, sa mère c’était ma mère »

Et puis un jour, sans crier gare, Jean a disparu : « Son petit frère et lui s’étaient attirés des ennuis et leur mère les a fait déménager en une journée, ils sont partis comme ça. Je l’ai plus revu jusqu’à un matin où je l’ai trouvé devant ma porte, ça fait film bidon comme ça, mais ça s’est vraiment passé je te promets. Il a débarqué à la cité avec une vieille bagnole, quelques jours après avoir eu son permis à 18 ans.»

« Il m’a tout raconté, sa mère les avait emmenés près d’ici, un peu plus au nord, vraiment à côté de Sisteron. Il m’a dit qu’il se plaisait là-bas et qu’il avait trouvé du boulot, il a commencé un job de chauffeur routier. Il était en déplacement toute la semaine et le week-end, soit il venait me voir, soit c’était moi, c’est pour ça que je connais si bien le coin.»

Jean est mort dans un accident de la route il y a 8 ans. 

Les circonstances ne sont pas claires, ils ont retrouvé sa voiture sortie de route, les urgences ont tenté de le sauver toute la nuit. Au petit matin, le frère de Jean a appelé Mounir pour l’informer de son décès. Mounir ne l’a pas cru, il ne l’accepte toujours pas. 

Il était tellement heureux, tellement plein de vie, de bonté, d’envies.

Mounir est la dernière personne que Jean a eue au téléphone sur la route, sûrement quelques minutes avant l’accident.
« Lorsque son frère m’a appelé, je l’ai insulté de tous les noms. Je pensais qu’il me faisait une blague, très mauvaise, et je n’arrêtais pas de lui dire que ce n’était pas bien de rigoler avec ça et lui n’arrêter pas de me dire qu’il fallait que je vienne. »
« Je n’y suis pas allé, il m’a appelé tôt, il devait être 7h30, j’allais au boulot et j’ai travaillé toute la matinée. Son appel me trottait quand même dans la tête, ça m’avait énervé alors au déjeuner j’ai décidé d’appeler Jean, c’était à peu près l’heure de sa pause habituelle »

C’est sa mère qui a décroché, quand j’ai entendu sa voix j’ai compris qu’il fallait que j’y aille

« Je ne sais pas pourquoi je suis revenu, pourquoi j’ai accepté ce boulot. Je ne voulais pas revenir, ça fait 8 ans que je n’avais pas mis un pied ici. »
« Les premiers soirs ici ont été durs. J’ai voulu aller voir sa mère, je l’ai appelée pour la première fois depuis 8 ans aussi. Elle a déménagé à Digne-les-Bains, j’ai fait l’aller-retour dans la soirée, c’est à 45min d’ici. Elle a réussi à accepter elle, mais rester vivre au village c’était quand même trop dur. Je ne suis pas resté très longtemps chez elle, je sentais que si je restais, elle allait réussir à me convaincre et je ne voulais pas l’entendre. »

L’entendre de sa mère, j’aurais été obligé d’y croire.

Après un long silence, il reprend. « J’y arrive pas c’est tout et je veux pas. J’ai essayé d’aller au cimetière, mais je n’arrive pas à y entrer, je veux pas »
Mounir a des larmes qui glissent de ses yeux. Il cherche un mouchoir dans sa sacoche posée à côté et s’excuse en même temps. Il n’y a vraiment pas de quoi, des relations pareilles on en vit peu dans une vie et la brutalité de la fin de celle-ci rend très compréhensible l’état de Mounir.
« Pour moi il est toujours en déplacement, c’était comme ça avec son boulot de toute façon, il reviendra le week-end prochain, on pourra se revoir ou s’il a un empêchement on reportera au week-end suivant.»

« Être à Sisteron me fait mal, reparler de lui me fait mal. »
« J’ai failli divorcer à cause de lui » rajoute-t-il avec une esquisse de sourire entre deux larmes. « Je n’ai jamais réussi à raconter tout ça a ma femme, elle n’a pas compris que je me ferme autant, je ne lui ai quasiment pas parlé pendant des mois, j’étais déconnecté et j’ai toujours l’impression de ne plus ressentir d’émotion. »
J’imagine qu’il est peut-être plus simple pour certains de s’ouvrir à une inconnue qu’à des proches. Je suis bouleversée par Mounir, je vois maintenant clairement dans ses yeux, à travers sa générosité et sa douceur, la douleur.

Il m’a tué. C’est lui qui est décédé, mais il m’a tué avec lui.

Adulte en reconstruction

Depuis la disparition de Jean, Mounir s’est plongé dans le travail, il ne compte pas ses heures et ses déplacements. Ses trajets seuls au volant, il les passe avec les fenêtres ouvertes et la musique à fond. Dans sa peine, il a au moins réussi à trouver un confort financier en s’élevant rapidement d’ouvrier sans diplôme à chef de chantier.

« Pendant longtemps mon père ne savait pas que j’étais devenu chef sur les chantiers, il l’a appris par un de ses anciens collègues qui lui a dit qu’il était sous mes ordres, ça lui a fait bizarre, je ne sais pas s’il est fier de moi, mais au moins, sans fanfaronner, je suis bon dans mon travail »
« J’aime ce que je fais, j’ai des responsabilités, des hommes sous mes ordres, je suis un bon chef, tolérant, décontracté, bonne ambiance et tout, je laisse glisser tant que ça bosse bien » 

Mounir me confie tout de même les moments de gêne, qu’il vit de plus en plus, quelles que soient les régions, où certains de ses ouvriers lui font des remarques racistes et ne veulent pas exécuter ses ordres. 
Il change vite de sujet lorsque je lui demande s’il a eu l’occasion de porter plainte. « La police ne se bouge déjà pas quand une femme porte plainte pour viol alors pour une insulte contre un Arabe faut pas trop rêver… Enfin au moins au travail j’arrive à gérer. Y a des emmerdes, mais j’arrive toujours à m’en sortir. La vie perso c’est une autre histoire, je suis un bordel. »
 


Mounir m’explique que, sans Jean, il n’a plus personne à qui se confier. Quand je lui demande, étonnée, pourquoi il ne parle pas à sa femme, il me précise sa relation avec elle, qu’ils n’ont jamais été dans la confidence. Leur intimité se base sur un soutien mutuel, mais sans partager tout ce qu’ils ont au plus profond d’eux.

« Mes amis les plus proches aujourd’hui ont 60-70ans, c’est ceux qui m’ont appris le métier, ils m’ont fait découvrir Brassens et je leur ai fait découvrir la pop marocaine, on rigole bien» Sa femme voudrait qu’il sorte avec des gars de son âge, elle pense que ça l’aiderait à revivre un peu plus. Mounir fait des efforts, il s’est inscrit sur des groupes de balade entre motards, il aime prendre un peu de temps pour lui, pour se balader ou s’acheter des voitures. Lorsque nous parlons un peu motos ensemble je vois ses yeux retrouver leur jovialité.
« Mais je suis vite rappelé à l’ordre quand j’essaye de me faire plaisir. Y a toujours un ami qui a des emmerdes ou des problèmes d’argent, du coup je me dis tant pis, ça sera pour une prochaine fois, c’est plus le bon moment. »

Il se décrit déconneur avec ses amis et dévoué avec sa famille. Il n’a pas beaucoup d’occasions pour penser à lui, mais il me dit d’un ton vidé de vie : « Je m’en fous de toute façon. Tout ce que je veux c’est qu’on me laisse tranquille. »

À Saint Symphorien je me demandais si l’on choisit en vieillissant d’assombrir son regard sur le monde ou de garder sa candeur, je comprends avec Mounir qu’on n’a parfois pas le choix, la vie vous frappe sans raison. J’ai l’impression que depuis 8 ans Mounir vit une vie fantôme, il a l’air d’être une force de joie et d’enthousiasme qu’on aurait muselé par une peine qu’il ne saurait pas évacuer, qu’il n’a peut-être pas envie de lâcher aussi, par peur de laisser partir les souvenirs encore vivants de Jean, de leurs années de bonheur et d’insouciance.

Nous quittons la piscine après un long moment de silence, la nuit est déjà bien avancée, nous sommes guidées par la lune pour retrouver la porte de la maison. Je ressens le poids des émotions convoquées autour de l’eau s’alléger, pour moi, sur le chemin. Je sais qu’il n’en va pas de même pour Mounir. Las, je le vois trainer son corps et son âme brisée. Je ne peux que lui souhaiter de réussir, un jour, à panser sa peine. De garder de Jean, son âme soeur, les souvenirs doux et tendres de leurs jours heureux.

Quelques jours après notre rencontre, j’ai essayé de recontacter Mounir. Il est resté silencieux à mes appels et sms. 

Si tu lis un jour ce papier, ces quelques lignes sont pour toi : j’espère que tu ne regrettes pas. J’espère ne pas t’avoir fait de mal en te demandant de convoquer ces souvenirs. J’espère que tu retrouveras un jour l’enthousiasme et la fougue qui se cachent dans tes yeux. Je ne te remercierais jamais assez pour ta confiance et le lâcher-prise que tu as eu avec moi ce soir-là. Tu m’as bouleversé. J’espère qu’on se reverra. 

 

Saint-Symphorien-sur-Coise : sans jeunesse point de futur

Je quitte Avignon pour Saint-Symphorien-sur-Coise où je retrouve un groupe de jeunes étudiants en vacances. Ils m’accueillent avec prévenance et bonté. Nous n’épargnions pas dans nos discussions les sujets habituellement tabous et politiques, abordés avec compréhension et tolérance.

C’est à la sortie d’un théâtre à Avignon que je rencontre Paul Bourdon. Étudiant en biologie à Lyon, il est venu passer quelques jours chez des amis de ses parents pour profiter du festival.
Nous sympathisons, passionné de théâtre il est curieux de mes précédentes rencontres au Théâtre des Doms (à lire à la suite). 
Lorsque je lui explique mon projet, il me tend une perche : Paul me propose de rejoindre avec lui son groupe d’amis en vacances près de Lyon pour quelques jours. J’accepte.
En remontant le Rhône, je me mets enfin littéralement en route dans mon road trip. Je ne suis jamais venue dans cette partie de la France et tout est encore une première fois pour moi. Les couleurs chaudes et saturées, l’odeur des plantes asséchées, le chant incessant des grillons laissent peu à peu leur place aux champs de vaches.

À l’ouest de Lyon, nous nous enfonçons dans une forêt épaisse et les routes sinueuses à forts dénivelés. En ressortant des arbres, je suis impressionnée par l’étendue de la vallée où les villages se surveillent d’un versant à l’autre des montagnes. Saint-Symphorien-sur-Coise se situe dans les hauteurs des monts Lyonnais, on repère la commune grâce à son église collégiale du XVe siècle perchée en haut de la crête.Je suis accueillie par Lola, notre hôte, ses grands-parents sont les propriétaires de la maison. Nous sommes arrivés juste avant le diner. C’est l’effervescence, certains sont en cuisine, d’autres dressent la table et quelques-uns sont encore sous la douche à se rincer de la baignade de l’après-midi. Je suis encore un peu timide à table, assise à côté de Paul, mon autre voisine, Flora, me présente tout le groupe.

Lola et Valentine sont en médecine, Julien, le copain de Valentine, est en prépa ingénieur. Héloïse en prépa vétérinaire, Maëlle en science de l’éducation et Camille en STAPS. Enfin Paul étudie la biologie et elle-même, Flora, l’histoire de l’art.
Ils n’habitent plus tous à Lyon même s’ils y ont grandi. Tous dans le même lycée, mais dans des classes séparées, ils ont décidé de se prendre quelques jours de vacances ensemble. Depuis, la tradition perdure chaque été, pour garder contact. 
 
Le rendez-vous annuel ici est idéal, les grands-parents de Lola lui laissent volontiers la maison quand ils s’en vont et cela permet aux étudiants de profiter du début de l’été à moindres frais. L’argent est une problématique forte à nos âges. Tous âgés de 19/20 ans, nous sommes partagés entre le désir d’être indépendant et le confort de la maison familiale. Tout le monde à table à un job d’étudiant, soit durant l’année scolaire soit pendant les vacances. Tous ont l’inquiétude de ne pas en avoir assez et la peur de ne pas réussir à en gagner suffisamment pour devenir réellement indépendants.

Paul me parle en rigolant de la gêne qu’ils ressentent de se savoir encore un poids financier pour leurs parents : « Bon moi ça va je suis à la fac, ce n’est pas le plus cher, mais c’est déjà un sacré coût avec les livres, le loyer et tout. Pour ceux qui sont en filières sélectives c’est pire, les écoles privées, les prépas, c’est plus ou moins 8000 euros l’année, avec tout le reste c’est énorme comme budget, on est très privilégié. »
Entre les jeux de cartes, les chansons paillardes et les discussions existentielles tard dans la nuit, je fais peu de photos ou de vidéos de ces moments intimes de laisser-aller et lâcher-prise. Pendant ces 3 jours parmi eux, le soutien et la bienveillance ambiante m’apaisent. Le groupe m’a accordé sa confiance très vite, les uns et les autres s’ouvrant sur tous les sujets sans retenue.

Liberté d’expression et soutien fondamental

Avec tact et sensibilité, nous avons oublié les tabous et parlé relations sexuelles, hétéro, homo, polyamour, bdsm, masturbation chez les hommes comme chez les femmes. Et puis les sujets ont glissé avec plus de sérieux et de gravité sur les rapports aux drogues, douces ou dures, à l’alcool, aux complexes physiques, les maladies physiques et mentales qui en découlent comme l’anorexie et la boulimie, les tentatives de suicide et la dépression.

Lorsque nous parlions des couples, Flora s’est écriée : « On est monogame sauf entre amis ! On est tous un peu en couple les uns avec les autres ». La capacité d’écoute, de compréhension et de non-jugement, même quand ils ne comprennent pas, de l’ensemble du groupe m’a beaucoup touchée. Leur cohésion est très forte, ils sont tous très solidaires.

Paul m’explique : « On se sent en sécurité ensemble donc on ose partager nos ambitions, nos désirs et nos envies. Quand ça va mal, le groupe est là pour nous rappeler qui on est et où on veut aller ». Ce cocon très bisounoursien est ce qui leur permet de se pousser aussi plus loin.

Flora me confie : « J’ai du mal à accepter l’échec. Je ne m’autorise pas à l’erreur et quand ça arrive je suis vraiment mal même si j’essaye de le cacher. »

Ils le voient et leur soutien m’allège progressivement

Face à l’entrée dans l’âge adulte et la vie active, étape de la vie oh combien banale mais n’en restant pas moins dure pour tous, ce groupe a trouvé la défense infaillible : la douceur et la bienveillance.

Un regard politique engagée

Le rapport à l’image est un des sujets qui est revenu plusieurs fois sur la table. Leur expliquant ma démarche et mon projet, je leur ai demandé s’ils acceptaient que je filme quelques moments et prennent des photos de scène de vie. L’engouement a été moins présent que ce que j’espérais, mais je ne suis pas pour autant étonnée. 

« Les vacances c’est fait pour lâcher prise, boire un peu, faire l’andouille, s’amuser quoi. Sur mes réseaux sociaux, j’ai des contacts pros, des profs, des employeurs… Je ne peux pas me permettre de poster n’importe quoi ». Julien est le plus catégorique, il ne veut pas de photo et encore moins de vidéo. Il se sert de Facebook et Instagram comme d’une carte de visite qui devient, je trouve, aseptisée de sa jovialité et bonhomie naturelle. Je respecte néanmoins sa démarche, c’est une porte ouverte que de parler vulnérabilité sur internet mais les recruteurs fouillent bel et bien les réseaux sociaux, la méfiance est donc compréhensible.
La tante de Julien et sa compagne ont eu un nouvel échec dans leur tentative d’avoir un enfant. 
Il a reçu un coup de fil dans l’après-midi et se livre au groupe le soir. C’est la troisième fois qu’elles essayent une PMA aux Pays-Bas et elles n’auront peut-être pas assez d’économies pour tenter une quatrième. Entre le déplacement, les frais médicaux et le temps qui passe, il a peur qu’elles ne finissent par abandonner leur projet familial, d’autant que sa tante, celle qui devait porter l’enfant, a maintenant quarante ans passés, les risques d’échec sont grandissants. 

Une des filles du groupe soumet l’idée de la GPA. Elle est elle-même née par GPA aux États-Unis, mais elle admet que c’était un coût financier important pour ses parents. Julien répond, vide d’espoir : « C’est déjà horrible de se mettre dans l’illégalité pour avoir le droit à une famille alors si c’est pour se retrouver fauchées de l’autre côté de l’océan, je ne sais pas si elles persisteront »

La question de la famille s’est alors immiscée et des avis très partagés ont immergé. L’idée d’avoir des enfants n’est plus une évidence, certains et certaines s’interrogent. Paul lance : « Les gosses, c’est un budget dévorant, suffit de voir avec nous ! Faudrait déjà réussir à vivre confortablement seul ou à deux éventuellement ». Héloïse reprend : « Oui y a déjà l’aspect financier et puis ce n’est pas écologique du tout. L’avenir de la planète est déjà tellement incertain, si le réchauffement climatique continue comme ça, dans 50ans, la vie ne sera peut être plus si agréable que ça alors pourquoi le faire subir à des enfants. » 

Flora nuance : « Je ne voulais pas d’enfant ni me marier avant, mais aujourd’hui je pense être avec la femme de ma vie et les rêves d’une vie traditionnelle apparaissent. On est toutes les deux trop jeunes et pas prêtes pour ça encore, mais l’envie de s’engager et de créer une famille est tout de même là. »

On espère que d’ici quelques années, on aura le choix entre l’adoption, la PMA ou la GPA sans aller dans un autre pays que le nôtre

Là où les sondages pensaient que les jeunes, après les présidentielles, allaient encore voter pour les extrêmes, les élections européennes ont changé la donne et ont montré que les moins de 24 ans sont finalement les plus ouverts aux autres et au changement. C’est la seule tranche d’âge où les écologistes sont arrivés en tête.

Ce groupe est composé de jeunes femmes et hommes blancs, élevés dans un cadre privilégié même s'ils ne sont pas bourgeois. Nous ne pouvons donc pas les prendre comme des porte-paroles de cette génération, j'en suis encore au début de mon voyage et je n'ai pas eu l'occasion de rencontrer des personnes d'autres catégories socio-professionnelles par exemple, j'espère que cela viendra.

Cette rencontre m'a tout de même questionnée : les moins de 24 ans ont-ils une vision du monde si différente du reste de la population ? La vie nous oblige-t-elle forcément à assombrir notre regard sur le monde et les autres ou choisit-on de garder une certaine candeur face à la dureté de l’existence ? Les jeunes n’ont ils pas toujours trouvé les plus vieux réactionnaires ? Je vois une telle fraction entre les générations que je ne peux pas m’empêcher de me demander si nous resterons aussi tolérants toute notre vie ? À l’heure où l’humanité est à un carrefour de notre existence, il faut regarder au plus long terme et choisir les voix qu’on écoute. Comme le disait Lucas Racasse à Avignon, il serait peut être temps d’écouter la jeunesse car sans jeunesse point de futur.

Avec ce groupe rencontré, j’ai l’espoir que ma génération révolutionne l’ouverture d’esprit, la tolérance et les priorités politiques. Cet échantillon de la jeunesse ne représente pas toute une génération, mais si leur bonne volonté et leurs réflexions peuvent être écoutées et prises en compte par d’autres, cela donne tout de même espoir.

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Festival d’Avignon : quand la différence et la diversité montent sur scène

Toujours à Avignon, je plonge au coeur du Festival pour rencontrer les acteurs du Théâtre des Doms. Leur slogan cette année : « Tous Singuliers », j’ai également la chance de discuter avec une metteuse en scène dont la première pièce traite de la diversité des familles pour le jeune public.

J’ai entendu parler du Théâtre des Doms par une amie que j’ai retrouvée au début du festival. Elle avait rencontré la veille Lorane Perche, une des créatrices d’image missionnée par le Théâtre pour sa thématique de l’année : Tous Singuliers. Le slogan me parle. C’est le coeur de mon propre projet. Le théâtre s’intéresse tout comme moi cette année à la différence et la diversité. Le rendez-vous est fixé, je rencontre le lendemain Lorane et son collègue Lucas Racasse, créateur du studio éponyme.
Pour me rendre au Théâtre des Doms, situé au nord du centre-ville, je suis les conseils de mes nouveaux hôtes, Colette et Jean-Pierre. Je me gare en voiture sur l’Ile Piot, à l’ouest des remparts, pour finir le trajet à pied, traversant le pont Édouard Daladier, j’ai une belle vue sur le fameux pont d’Avignon et le palais des Papes en haut de la colline. Je longe les remparts de l’intérieur et coupe par le parc du Rocher des Doms.
Il fait toujours très chaud, mais en prenant de la hauteur sur le Rocher des Doms je prends le vent et le temps d’apprécier les alentours. Je découvre en scrutant les maisons que les cours intérieures sont spacieuses et aménagées. J’ai l’impression que tout le centre d’Avignon est sur ce modèle : des rues quelconques, mais derrière les façades, des cours et jardins soignés. 

Un Théâtre inclusif

Le Théâtre des Doms a comme mission principale de contribuer au rayonnement d’artistes et de projets artistiques issus de la Fédération Wallonie-Bruxelles, par la promotion et la diffusion des oeuvres et des artistes. La différence et la diversité sont prises en compte jusqu’au bout. Pour certaines représentations, une association permet aux mal-voyants ou non-voyants d’avoir un chuchoteur à côté d’eux, leur décrivant ainsi ce qui se passe visuellement sur scène.

C’est Lorane qui m’accueille devant la billetterie du théâtre. Elle a des yeux bleus pétillants, des cheveux courts d’un blond très pâle, une casquette à la main et un sourire chaleureux. Elle me conduit à la terrasse du cinéma Utopia où certaines représentations de la programmation ont également lieu. J’installe ma caméra et mon micro pendant que Lucas nous rejoint. Il a des cheveux gris coupés ras qui rejoignent son collier de barbe et sa moustache. Il porte une chemise hawaïenne et des lunettes de soleil. Lucas est un créateur d’images. Au sein de son studio, il réalise vidéos, illustrations et design graphique, entouré par une équipe de tous les âges. Cela fait 17 ans qu’il s’occupe du Théâtre des Doms. Il m’intimide un peu mais je me lance et leur présente mon projet. Lucas me met à l’aise et me présente le leur, la campagne de communication visuelle pour la programmation 2019 du Théâtre des Doms, sous la direction d’Alain Cofino Gomez : « Tous Singuliers ».
Pendant qu’il s’allume une cigarette, Lucas me présente d’abord l’origine de la thématique de l’année, l’importance accordée à la jeunesse, à la différence et à la diversité. « On s’est posé la question de comment relier les jeunesses à des spectacles très adultes, c’est là qu’est venue l’idée de la singularité et de la différence » 

« Sans jeunesse point d’espoir, sans espoir point de jeunesse » Alain Cofino Gomez

Techniquement, ils m’expliquent les étapes de la création des affiches, toutes les recherches faites pour trouver un animal totem à chaque création. Lucas et Lorane me racontent notamment la démarche autour de la pièce « Suzette Project » qui traite de la parentatilé et des familles pour le jeune public, écrite et mise en scène par Laurane Pardoen. Nous divaguons ensuite vers l’importance des relations intergénérationnelles, la relation d’égal à égal entre Lucas, 50 ans et Lorane, 30ans, pour finir sur la place et les opportunités offertes aux jeunes au festival d’Avignon.
Lucas me dit : « Je serais tellement heureux de voir un théâtre confier sa programmation à une personne ou un groupe de jeunes […] Parce qu’ils ont des choses à dire et que ça va nous intéresser nous adultes »

Y a beaucoup de jeunes dans les compagnies qui portent un message qu’on n'a peut être pas l’habitude d’entendre

Vous trouverez ci-dessous des extraits audio de mon entretien avec Lorane et Lucas. J’espère que vous prendrez le temps de les écouter, ils ajoutent une vraie immersion dans le festival et le monde théâtral.
 À la suite de l’entretien, nous finissons nos verres de café glacé en discutant plus légèrement. J’ai pu encore mieux observer la complicité de Lucas et Lorane, cette symbiose entre eux qui les nourrit réciproquement et les fait avancer. Lucas m’a raconté qu’à force de discuter avec Lorane et de voir le monde évoluer autour de lui, il s’est vu lui-même changer. Il y a quelques mois sur un tournage entre hommes de la cinquantaine revoilà les mêmes vieilles blagues sur les blondes, et les femmes en général, il ne l’a plus supporté, et a repris ses amis. Ça peut ne pas vous paraître grand-chose, mais, en tant que jeune femme de 20 ans dans une société encore très sexiste, ça m’a fait du bien d’entendre cette anecdote.
 

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Quel que soit l’âge, lorsqu’une personne en reprend d’autres sur des propos misogynes, racistes,
homophobes, ça montre d’une part sa volonté de faire changer la société et ça permet parfois de
faire directement changer les autres autour de soi. Et surtout, surtout, ça permet à ceux autour de
soi de se sentir plus en sécurité, mieux accueillis pour qui ils sont vraiment.
 

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Lucas est atteint d’une maladie dégénérative des os et même si aujourd’hui je l’ai rencontré seulement avec sa canne customisée de flamme , il possède également un fauteuil roulant, dans lequel il a passé pas mal de mois sans pouvoir se lever. Ça ne l’empêchait pas d’en rire et d’envoyer des sms à Lorane, gênée au début, du style « J’arrive dans 5 minutes, je cours ! » ou « Je prends mes jambes à mon cou ! ». Lucas me dit : « Je l’ai entendu chez les chuchoteurs du théâtre des Doms, les non-voyants aussi se lancent entre eux des « regarde-moi dans les yeux » à tout va. La bonne volonté de Lucas est, je pense, ce qui permet de faire durer la relation d’égal à égal qu’il a avec Lorane. Lorane a d’ailleurs elle aussi évolué au contact de Lucas, face à son handicap notamment.

Ce n’est pas aux personnes valides de nous dire si on peut rire ou non de notre handicap, mais c’est à nous de le décider.

Alors que je m’apprêtais à prendre congé, Lucas me retient en me disant qu’il me faut absolument rencontrer Laurane Pardoen, la metteuse en scène de « Suzette Project », la pièce jeune public parlant de parentalité qu’il a évoquée plus tôt. Il l’appelle, elle répond, il me l’a passe, je lui explique mon projet, elle me donne rendez-vous 15 minutes plus tard à une autre terrasse de café, quelques rues plus loin.

Sur le chemin, je n’en reviens toujours pas. Soit j’ai beaucoup de chance, soit il y a réellement des personnes qui prennent le temps d’être généreuses et douces gratuitement. Est-ce une spécificité des Belges ? C’est encore le début du voyage et clairement, vivre à Paris toute l’année ne m’a pas habituée à recevoir avec autant de simplicité l’enthousiasme et la bienveillance des autres !
 

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Théâtre et sororité

Je retrouve donc Laurane sur une terrasse place Pasteur, au bord d’une fontaine.
 
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« J’ai une pièce programmée au off mais je n’ai toujours pas le statut d’artiste ou d’intermittente, c’est tellement paradoxale ! (...) j’ai quand même beaucoup de chance, j’ai beaucoup bossé c’est clair et je suis fière de ma pièce mais j’ai aussi eu la chance d’ouvrir les bonnes portes tôt » On a longuement discuté avec Laurane Pardoen, dramaturge et metteuse en scène de la pièce Suzette Project au théâtre des Doms. De 9 ans mon aînée, nous avions tout de même beaucoup à partager, elle n’est pas du sud de la France mais sa précarité malgré le début de sa réussite professionnelle peut faire écho à beaucoup de notre génération, quelque soit le secteur d’activité auquel on se destine. Je vous partage l’entretien d’ici quelques jours et vous parle de sa pièce en story ! Sudement vôtre ☀️#roadtrip #sudementvotre #france #avignonoff #theatre

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Nous avons beaucoup parlé avec Laurane et vous trouverez ici aussi des extraits audio de notre discussion. Notre échange m’a beaucoup touchée puisque nous avons abordé des sujets universels et fondamentaux : l’éducation des enfants, l’écoute et le temps qu’on devrait leur consacrer mais qu’on ne dispose pas toujours dans une vie d’adulte, Laurane me dit : On donne beaucoup la parole aux adultes et bien sûr que l’adulte sait ce qui est bon pour l’enfant, bien sûr qu’il a du recul et ne dis pas que des conneries mais moi là j’avais vraiment envie de donner la parole aux enfants et savoir ce qu’ils en pensent eux, comment ils conçoivent la famille 

Souvent on leur donne un avis au lieu d’une définition

Laurane me parle de son expérience dans le milieu théâtral en étant jeune et femme :  « Je suis une femme jeune, qui parait très jeune, j’ai beaucoup plus à travailler ma posture qu’un garçon de mon âge ou qu’une femme qui ferait plus vieille aussi […] Un spectacle où il y a que des hommes on va parler d’un spectacle, un spectacle où il y a que des femmes, on va parler d’un spectacle féminin »

Parce que la référence c’est l’homme, toujours.

Elle m’a aussi parlée de toute la chance et la bienveillance qu’elle a reçu durant le processus créatif de « Suzette Project », de son entourage, ses proches, hommes et femmes très encourageants et aussi des professionnels qu’elle a rencontrée. J’espère que vous prendrez le temps d’écouter quelques minutes.
 Je ressens très vite une sororité entre Laurane et moi. À tout juste 29 ans, elle est mon ainée de 9 ans. Je me dirige vers des secteurs professionnels proches des siens, entre cinéma et théâtre, et je ne peux que lui envier sa carrière et le début de sa réussite. Après l’entretien nous avons continué à discuter, elle m’a confié avoir peur de paraître prétentieuse dans ce qu’elle me racontait au micro. Je l’ai rassurée et au contraire, ça m’a fait plaisir d’entendre une femme affirmée être fière de son travail. C’est important de savoir ce qu’on vaut, et c’est d’autant plus important de le dire. Si vous n’affirmez pas avoir confiance en vous, comment les personnes autour de vous peuvent commencer à croire en vous aussi ? La société nous pousse à la modestie, mais dans un monde où nous sommes constamment en compétition avec d’autres et où il y a tant de barrières qui se créent devant vous, je me rends compte que le meilleur des alliés est la confiance en soi. Une fois qu’elle est acquise, on peut faire confiance aux autres sans arrière-pensées, être sincère et bienveillant.
 Ces deux rencontres au coeur du milieu théâtral m’ont rappelé quelques évidences : tous les hommes ne sont pas de potentiels danger, même si la société et ma mère me rappellent sans cesse qu’il y a des fous partout et qu’il faut se protéger, la meilleure protection est aussi parfois de lâcher prise et de s’ouvrir aux autres, c’est là qu’on rencontre les plus belles personnes. Il faut aussi croire en soi, avec douceur et tolérance, le succès finit par arriver, si on travaille assez.
Je tâcherais de garder ce rappel en tête pour la suite de l’aventure.

Je vous partage bientôt la suite de mes aventures où je ne finis pas d’être surprise de ma chance et/ou de la sympathie de certains. J’ai rencontré en sortant d’un théâtre à Avignon un étudiant lyonnais, Paul Bourdon, qui m’a invité à rejoindre son groupe d’amis en vacances entre St Etienne et Lyon, à St Symphorien-sur-Coise. J’y ai été très chaleureusement accueilli et les sujets de discussion ont de nouveau été très ouverts et très variés.
 

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Festival d'Avignon: quand la chaleur écrase tout, seuls les habitants guident mes pas

Première étape de ma découverte du Sud : Avignon. Pendant le festival, j’imaginais trouver facilement ceux de ma génération qui jonglent entre emploi et précarité, entre théâtre et petits boulots. Mais les fortes chaleurs ont modifié le fil de mes rencontres. 

Pendant ces deux mois d’été, je vais sillonner le sud, d’est en ouest, pour mettre en avant différences et diversité, avec sincérité et bienveillance. 

Cette semaine, je suis à Avignon.

Je connais peu le sud de la France, et encore moins la région PACA. En commençant par Avignon, particulièrement pendant le festival, j’espérais croiser une foule de monde, surtout de jeunes. 
Entre ceux qui se lancent dans une carrière théâtrale et ceux qui charbonnent pour leurs boulots d’été, j’imaginais trouver facilement ceux de ma génération qui jonglent entre emploi et précarité.
Je n’ai pas eu de chance les premiers jours, la chaleur écrasante, nuit et jour, les a gardés hors des rues et de ma vue.

La ville : 

Je ne connais pas Avignon. En réservant mon Airbnb quelques jours plus tôt, je me suis faite la réflexion : "les prix sont très parisiens", la faute au Festival j’imagine. Pour rester dans mon budget, je choisis un premier Airbnb à la périphérie d’Avignon, situé au Pontet, au nord-est, proche du centre pénitencier de l’agglomération.

Le premier matin est un peu dur, je suis partagée entre l’excitation de l’aventure et la peur de l’inconnu. Mes précédents voyages en solitaire n’ont jamais dépassé quelques jours et je me surprends à penser que deux mois, seule, tous les jours, à tous les repas, ne seront peut-être pas aussi faciles que je l’imaginais. 
Je m’agace toute seule à m’apitoyer sur mon sort, je l’ai bien choisi pourtant, France 3 Régions s’est enthousiasmé pour le projet et un voyage/reportage offert comme stage de fin d’études, peut-on vraiment se plaindre ? Il faut que je l’assume et que j’en tire mon parti : mon projet est basé sur le hasard, le hasard des bonnes rencontres au bon moment. Il suffit de se faire confiance et surtout de faire confiance aux autres.
 
J'abandonne le chat de mes hôtes, me mets en route et me ressaisis. Avec le festival, tout le centre-ville est bouclé à la circulation, Alain et Christine, me conseillent de prendre le bus, gratuit en ce moment à cause des fortes chaleurs. Le trajet me permet de commencer à découvrir la ville et ses alentours.Beaucoup de monde se succède dans le bus . Des collégiens s’installent dans le carré derrière moi. Je m’amuse à écouter leur conversation. Ils me font sourire, on est tous un peu pareils à cet âge, ils parlent d’une fille qu’ils connaissent et qui se trouve un peu plus loin dans le bus, alternant entre français et arabe pour ne pas se faire comprendre par les oreilles indiscrètes, l’un d’eux avoue la trouver sympa et il se fait charrier en retour par le reste du groupe.

Je sors du bus, attendrie, pour me plonger dans la fournaise du centre-ville. Les rues sont quasi vides, il fait trop chaud et il n’y a pas assez d’air qui circule à cause des remparts.
 

Comédiens et festivaliers se terrent dans les théâtres, les énormes groupes de touristes assiègent la Place du Palais. Je fonds au soleil et commence à me décourager, je décide de fuir la chaleur et me dirige vers les remparts pour récupérer un bus quand je tombe sur Paul. 

Les rencontres : 

Paul Jullien est un jeune trentenaire et bouquiniste dans la vie, c’était l’un des rares commerçants pas trop assommés par la chaleur lorsque je l’ai rencontré.
 

Je l’ai trouvé au sud de la rue de la République, la rue principale d’Avignon qui part de l’extérieur des remparts, au sud, au niveau de la gare centrale, et qui s’étend vers le nord, jusqu’à l’hyper centre-ville, la place de l’horloge avec la Mairie et l’Opéra, à 2 pas du Palais des papes.
 
Paul a attiré mon attention lorsque je passais le long de son stand. Il discutait avec un client et disait : « Avignon sud c’est ghetto, tout est ghetto derrière les remparts de toute façon ! » 

Étonnée et curieuse, j’ai attendu que les clients partent pour en savoir plus. Lorsque je lui demande ce que ghetto signifie pour lui, il nuance : « Ghetto n’est pas le terme le plus juste, mais y a que des cités quoi et c’est délaissé par le monde, il y a peu d’activité culturelle. » Les quartiers hors du centre sont surtout résidentiels. Comme dans beaucoup de villes, les quartiers historiques se "boboïsent" et s’adaptent au tourisme alors que les locaux, et particulièrement les classes sociales les moins aisées, se retrouvent à la périphérie. Je l’ai découvert durant mes trajets en bus, les belles maisons ne sortent pas des remparts. En dehors du centre, les quartiers d’Avignon sont un drôle de mélange d’immeubles de toutes les décennies, alternant entre grosses avenues en travaux et petites rues au bitume abîmé. 
 

Paul a passé toute son adolescence à Avignon, il me raconte : 

Faut être là le 1er août. C'est dur, le silence. Le festival, ça amène du bruit, de la musique, du monde, mais après faut voir le mois d’août ! La ville est fatiguée.

Paul me parle un peu de ses années lycée et de l’ambiance qui règne en ville.
« L’ambiance n’est pas top, ici mais dans le sud-est aussi d’une manière générale je trouve, enfin il n’y fait pas si bon vivre que ça, c’est tendu. C’est pour ça notamment que j’ai déménagé, je suis à la campagne maintenant, dans la Drôme, la Provence verte comme on dit, et ce n’est pas du tout la même ambiance.»

Cela fait partie des clichés sur le Sud, mais Paul me confirme, depuis son expérience, que les communautés sont très clivées dans la région en général.
« On trouve de tout et tout le monde c’est vrai, mais les communautés ne se mélangent pas. Les anciens Pieds-noirs restent entre eux, comme les immigrés italiens et ainsi de suite. Ça crée une atmosphère pesante, d’autant qu’il y a 45% de vote Rassemblement National dans le coin, et il en brasse pas mal des gens le coin, on doit être facilement 500 milles avec les alentours. »

Je repense à mes années lycée moi aussi et à mes cours d’histoire-géo. En référence à la culture (rêvée) américaine, notre professeure nous évoquait souvent la notion de « Melting pot » : un mélange de différentes cultures et nationalités qui participent à la création d’une seule et même culture. Concernant la France, nous nous situons plus dans un « Salad Bowl » : différentes cultures réunies au même endroit, mais qui ne se mélangent pas. 
 

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Sans être experts de la question, Paul et moi nous demandons, en poursuivant la discussion, si ce n’est pas un reliquat du colonialisme où la France traitait sa main d’oeuvre importée comme des citoyens de seconde zone et donc sans leur donner la possibilité de s’intégrer. 
Il conclut en souriant « Pour en savoir un peu plus il faudrait discuter avec les familles concernées, ça peut vous donner des idées pour la suite ! » 

Une autre explication de l’ambiance particulière du Sud m’apparaît les jours suivants; en parlant avec le couple qui me loge : le tourisme de masse.

Alain est d’Avignon, Christine vit avec lui depuis plus de 30 ans et ils me disent tous deux que les gens ont beaucoup changé depuis. « C’est une belle région" me dit Alain, "et on ne peut pas dire que la vie y est désagréable, mais ça a changé tout de même. Avec le tourisme, les gens vont et viennent, mais ne respectent rien, on a l’impression de n'être là que pour servir les touristes. Alors forcément on a l’air un peu moins accueillant, un peu froid comme ça de prime abord, mais enfin on est toujours chaleureux avec ceux qui le méritent ! »
Christine complète : « Il y a plein de maisons qui sont achetées par des étrangers, mais qui viennent que l’été, il y a des villages qui sont à moitié vides les trois quarts de l’année alors bon, ceux qui restent tous seuls, on peut comprendre qu’ils aient du mal. »
« Je comprends les jeunes qui partent. L’avenir ici n’est pas évident de suite. Depuis dix ans il y a une fac maintenant et quelques BTS, mais ça n’en fait pas pour autant une ville de jeunes, c’est calme, mais c’est drôle parce qu’on en voit quand même souvent qui reviennent s’installer, passés la trentaine ! »

Ces premiers jours m’ont pour le moins mis dans le bain, je pensais découvrir le festival, mais j’ai d’abord découvert les habitants, ce n’est vraiment pas plus mal, mon regard est, grâce à eux, moins aveuglé par les paillettes. 
Je me questionne tout de même sur l’universalité des propos de Paul, Alain et Christine et sur ce qu'en pense ma génération. A quel point les communautés sont-elle clivées ? Si l’ambiance n’est pas si bonne, pourquoi y a-t-il toujours autant de monde en région PACA, la situant à la troisième place des régions les plus peuplées de France ? Et les gens sont-ils vraiment différents loin du tourisme ?

J’enquête auprès des locaux, je change d’airbnb et je vous raconte mes prochaines rencontres bientôt. 
Nous parlerons notamment du Festival et (enfin!) de jeunesse et d’emploi avec une jeune metteuse en scène et dramaturge, Laurane Pardoen, dont la première pièce : « Suzette Project » est programmée en Off à Avignon, mais qui, me confiait-elle, n’a jamais été aussi précaire de sa vie.

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Le Projet : 

Pendant tout juillet-août, je sillonne le sud, d’est en ouest, pour parler différences et diversité. Je partage ici les portraits de mes rencontres, les personnes qui m'auront émue, questionnée ou intriguée pour discuter avec vous de la société et de la norme.
Ce projet c’est également faire confiance au hasard des bonnes rencontres au bon moment, croire en la générosité des gens et à la bienveillance !
C’est donc un roadtrip initiatique que j’entreprends comme stage de fin d’études pour France 3 Régions et je raconte mes rencontres ici, sur la page facebook de France 3 Régions et sur instagram.
Sudement vôtre ! ☀️☀️☀️

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