C'est le dernier vestige des années 1960 aux Grésilles : la tour Boutaric doit être démolie d'ici cet été. Une quarantaine de personnes y loge encore. À quelques mois de l'échéance nous avons rencontré des habitants, actuels et anciens, partagés entre nostalgie et soulagement.
Les habitants de l’immeuble Boutaric, situé dans le quartier des Grésilles, vont bientôt lui dire adieu. Avec 146 logements sur neuf étages, il n'abrite aujourd’hui plus qu’une quarantaine de personnes. Elles sont en cours de relogement.
Construit en 1959, Boutaric est le dernier témoin de cette époque dans le quartier des Grésilles. Les autres immeubles du quartier comme Billardon, Épirey, Lochères, Paul-Bur ou encore Réaumur ont été démolis ces dernières années.
La fin d'une histoire
Christophe, 48 ans, a vécu une quinzaine d'années à Boutaric. D'abord de 1996 à 2009, puis de 2019 à 2021. "Boutaric, je connais par cœur. J'ai de bons souvenirs là-bas, comme la fête des voisins... C'était génial." Il regrette même d'être parti la première fois, le voisinage lui manquait. "Là où j'ai déménagé la première fois, c'était à peine si on me disait bonjour… À Boutaric, il y a avait de l'entraide."
Mais lorsque Christophe revient en 2019, il s'étonne de l'état dans lequel il retrouve son immeuble. "Le bâtiment a été dégradé par les gens. Avant, c'était respecté et plus maintenant... C'est dommage."
Sur place, nous croisons Fouzia, 42 ans, et sa fille, Chourouk, 8 ans. Elles sont venues rendre visite au père de Fouzia, qui vit toujours ici. "Ma fille adore venir chez son grand-père, elle adore Boutaric. C’était super ici !" sourit Fouzia, pleine d'émotions.
"J’ai de beaux souvenirs à Boutaric, ma fille a grandi ici", raconte la quadragénaire, "très déçue" par la démolition imminente de l'immeuble. Son père s’est déjà vu proposer plusieurs appartements qu’il a refusé à cause de son état de santé.
Cependant, Fouzia est très remontée contre le bailleur. Elle raconte qu’en mars 2021, l’appartement de son père a subi de lourds dégâts à cause d’un départ d’incendie. “Je n’ai pas que de bons souvenirs. Aujourd’hui encore, cette histoire pèse sur mon père, il a dû refaire tout son appartement. Je suis très déçue du bailleur, il ne nous a pas du tout aidé".
Des souvenirs parfois amers
Nové Mitrovic, 41 ans, habite dans l’immeuble depuis 2019. Prenant l’air sur l’esplanade, il explique qu'il habitait à Besançon et il a souhaité se rapprocher de sa famille à Dijon. Malheureusement, sa famille a peur de lui rendre visite.
Le soir il y a des gens dangereux et à cause de ça ma famille ne vient pas me voir chez moi
Nové Mitrovic, locataire dans l'immeuble
Il a plutôt hâte de partir : "Je souhaite que l’immeuble soit détruit", dit-il avec un grand sourire. Pour lui, le bâtiment est ancien et mal soigné. Nové raconte que l’année dernière, des squatteurs ont forcé la porte de son appartement en son absence. Squat, mais aussi mauvais entretien, trafic, dégradations : cela fait plusieurs années que le bâtiment se détériore. De quoi alimenter les tensions entre les habitants et le bailleur. Tensions qui ont poussé certains locataires à créer une page Facebook.
Pourtant, il a d’abord été convenu que des travaux soient réalisés dans l’immeuble. "Au départ, le but était de rénover Boutaric, mais après analyse les coûts étaient trop élevés", explique le bailleur, Grand Dijon Habitat, qui se dit lui-même soulagé par la démolition du bâtiment.
Les gens se rendent compte que ce n'est plus tenable...On est arrivé au bout de ce qu'on pouvait faire pour Boutaric.
Grand Dijon Habitat
Le bailleur assure être très impliqué dans le relogement des habitants. "Il y a deux personnes à temps plein sur le dossier. C'est de la dentelle de reloger les locataires." Une mission de longue haleine, qui touche à sa fin : le bailleur espère pouvoir démolir Boutaric à l'été 2022, et espère donc avoir relogé tous ses habitants d'ici là.
Des voisins temporaires
Avant que le dernier locataire ne rende les clés, des artistes dijonnais s'attachent à préserver la mémoire de Boutaric. L'association Zutique Productions, implantée de longue date aux Grésilles, a investi une partie de l'immeuble pour y mener des actions sociales et culturelles.
"Avec les habitants, nous avons des relations de voisinage. Ils passent souvent prendre un café et discuter", indique Naemi Elmekki, chargée de l'action culturelle pour Zutique. Elle ajoute : "Je vois qu’ils sont très affectés par la situation, surtout qu’au départ il y avait beaucoup d'incertitudes."
Alors pour rendre hommage au bâtiment, Zutique s’est associé avec quatre artistes. Ils sont en pleine création grâce aux témoignages des habitants. Le jour de notre visite, nous rencontrons Cerize Fournier, artiste plasticienne qui s’appuie sur la céramique pour donner vie aux souvenirs des locataires de Boutaric, et Nicolas Baguet, sérigraphe, qui crée des banderoles de 20 mètres. Elles seront déployées sur toute la hauteur de la barre de béton.
Cerize Fournier et Nicolas Baguet se sont installés dans l'immeuble depuis plusieurs mois, ils ont vu beaucoup d'habitants partir. "On s'est heurté à la réalité du départ."
L'immeuble est en peu en train de mourir, et comme pour une personne, il faut faire son deuil. Il y a eu du bon et du mauvais, grâce aux témoignages des locataires, nous allons pouvoir tout montrer
Cerize Fournier, artiste plasticienne
Ces œuvres et ces témoignages, les Dijonnais pourront les découvrir à partir du 13 juin à Boutaric. L'immeuble doit être détruit quelques semaines plus tard.