Alors que la situation est critique partout en France, les soignants se sont rassemblés une nouvelle fois, ce mardi 7 juin, pour dénoncer leurs conditions de travail. Illustration au Centre Hospitalier La Chartreuse de Dijon, en Côte-d'Or.
Mardi 7 juin, neuf syndicats et collectifs de soignants ont appelé à la mobilisation dans une cinquantaine de villes en France. Ils réclament notamment une hausse des salaires et des effectifs.
À Dijon (Côte-d'Or), ces revendications sont partagées par le personnel du Centre Hospitalier La Chartreuse. En début d'après-midi, une trentaine de personnes se sont réunies devant l'établissement, pour tirer la sonnette d'alarme. Parmi eux, nous avons rencontré Pierre Lugbull, infirmier.
Des conditions de travail très dégradées, ça veut dire quoi ?
Pierre Lugbull : Un gros manque de moyens. À chaque service, c’est minimum 20 lits qui ferment. Du coup, on n’a plus la possibilité d’accueillir dignement les patients, donc ça pose un gros souci de fonctionnement.
On est moins nombreux, la charge de travail augmente. De plus en plus de patients sollicitent une hospitalisation, demandent à discuter avec un soignant ou un médecin, à avoir un traitement, une écoute… Et ça, on ne peut plus leur offrir.
Ça fait 5 ans, 10 ans, qu’on a commencé à en parler. Les fonds, les enveloppes, ont diminué. Et on a commencé à parler de restructuration. C’est-à-dire moins de soignants, on embauche de moins en moins et de toute façon ce travail n’attire plus. C’est un travail difficile, en psychiatrie, en soins généraux. Et là il y a une grogne réelle qui prend forme.
Quelles sont les conséquences pour les patients ?
P. L. : Comme on n'a pas les moyens de les accueillir, on leur dit de revenir plus tard, de voir avec leur médecin traitant, d’aller dans un centre médico-psychologique. Sauf que ce sont des semaines, voire des mois d'attente. Donc malheureusement, ce qui arrive parfois c’est qu’ils sautent le pas et finissent par faire une tentative de suicide. Ça arrive de plus en plus souvent.
La vie est de plus en plus difficile en ce moment, le contexte n’est pas facile… Les gens ont besoin de plus en plus d’une écoute, ils sont de plus en plus mal dans leur quotidien, et recherchent cette attention. Le problème, c’est qu’avec nos moyens actuels, on n’a plus la possibilité de leur fournir cette prise en charge digne.
En tant que soignant, comment vit-on cette situation ?
P.L. : On pense au jour le jour, on vient avec la boule au ventre, sans le sourire. Le matin, on se demande ce qu’on va dire aux patients, et si on aura le temps de leur parler. J’ai encore vu ce matin. J’ai des patients qui m’interpellent, qui veulent juste me parler ou demander quelque chose. Mais je n’ai pas le temps.
Parfois, je suis avec le téléphone, en train d’ouvrir une porte, avec un patient qui me demande quelque chose. Du coup, je priorise : je priorise du plus important au moins important. Sauf que des fois, ce qui me paraît moins important, c’est un patient qui ne va pas bien, qui me dit je veux vous parler cinq minutes, et puis on les envoie bouler. On leur dit "oui dans cinq minutes, ou alors on va vous donner un traitement et ça ira mieux".
Mais les patients, ça peut être vous, ça peut être moi, demain. Quelqu’un qui a besoin d’une écoute, d'être rassuré. Et puis si on vous dit "non mais attendez, prenez un traitement et revenez-nous voir plus tard"… Eh bien ce n’est pas comme ça qu’on veut faire notre travail. Aujourd’hui, on n’a plus le temps de faire notre travail correctement.