"Peut-il gêner les voyageurs par son odeur ?" : un Dijonnais paraplégique humilié par une compagnie aérienne

Alors qu'il devait embarquer à bord d'un avion d'Air Caraïbes en direction de la Martinique pour les vacances de février, Thomas, un Dijonnais en situation de handicap, dit avoir subi plusieurs discriminations. Demande de certificat médical avec questions dégradantes, impossibilité d'être installé avec ses proches, manque de considération par les personnels, sa compagne nous raconte leur calvaire.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Un certificat médical avec des questions offensantes, l'impossibilité d'être placé avec sa famille dans l'avion, 5 000 euros déboursés en supplément pour partir avec un autre prestataire, c'est l'enfer qu'a vécu Thomas, paraplégique depuis 20 ans, avec une compagnie aérienne.

Père de deux enfants, cet habitant de Dijon (Côte-d'Or) décide de voyager avec sa famille à Fort-de-France, en Martinique, pour les vacances de février. C'est sa compagne, Elise Loichot, qui s'occupe de trouver des billets d'avion.

"Est-ce que la personne peut gêner les autres voyageurs par ses cris, son odeur et son comportement ?"

La jeune femme, infirmière de profession, choisit Air Caraïbes. "On a pris cette compagnie avec qui on avait déjà eu des petits soucis il y a 4 ans. Je m'en veux... On les a repris parce que c'est vraiment moins cher", justifie-t-elle.

En 2019, en marge d'un voyage en Guadeloupe, le couple s'était en effet vu refuser la montée dans l'avion, car il n'avait pas fourni de certificat médical avant l'embarquement. "C'est la première fois qu'on nous en réclamait un. J'envoie toujours les ordonnances de traitement au cas où... En discutant, ils avaient accepté de nous faire embarquer si on signait une décharge. En gros, on promettait de ne pas porter plainte en cas d'accident".

Ayant gardé le souvenir de cet incident, Elise et Thomas décident d'anticiper leur voyage en Martinique et réservent leurs billets plusieurs mois à l'avance. La compagnie leur demande à nouveau un certificat médical. "Il est inadmissible, avec des questions comme 'est-ce que la personne peut gêner les autres voyageurs par ses cris, son odeur et son comportement ?' Aucun rapport avec la maladie".

Au sein de l'Union européenne, la législation stipule qu'il n'est pas obligé de fournir un certificat médical avant de voyager en avion pour une personne à mobilité réduite. "Toutefois, dans certains cas limités, la compagnie aérienne peut demander des informations supplémentaires pour étayer votre demande", précise le droit européen.

Billets obtenus, mais impossible d'être placés côte à côte

Elise Loichot envoie tout de même le certificat à Air Caraïbes qui lui indique que les quatre membres de la famille ne pourront pas être ensemble dans l'avion. "Les personnes en situation de handicap doivent être côté hublot. Les enfants de moins de 12 ans côté couloir. Et les bébés avec leur maman tout devant. Là je pète un câble... On ne nous a jamais fait ça", confie l'infirmière.

Le droit européen des voyageurs handicapés ou à mobilité réduite précise : "Si vous voyagez accompagné(e) pendant toute la durée de votre voyage, la compagnie aérienne et le personnel doivent faciliter l’assistance que cette personne doit vous fournir. En outre, dans la mesure du possible, la compagnie aérienne doit placer cette personne à côté de vous dans l’avion".

Le médecin a bien noté dans le certificat qu’il fallait que je sois à côté de lui.

Elise Loichot, compagne de Thomas

Après plusieurs heures au téléphone avec des responsables de l'agence, Elise Loichot arrive à obtenir un placement avec les membres de sa famille et son conjoint paraplégique. Mais la veille du départ, prévu le 2 février, elle se rend compte qu'elle est séparée de son époux. "Il se retrouve tout seul avec le bébé alors qu'il ne peut pas s'en occuper tout seul !".

Nouvelle péripétie, nouvelle galère. Thomas, Elise et leurs enfants partent plus tôt le jour de l'embarquement pour régler la situation, directement à Orly d'où leur avion doit s'envoler. Rien n'y fait. La famille est renvoyée de guichets en guichets et tombe sur une personne à mobilité réduite dans la même situation. Le couple dijonnais enregistre alors trop tard ses billets, à 10h52... au lieu de 10h50. 

5 000 euros à débourser pour trouver un autre vol

"On réclame une responsable qui arrive longtemps après. On lui demande ce qu'on peut faire. Elle reste au téléphone devant moi. A un moment, je m'écarte pour récupérer mon enfant. Quand je reviens, la responsable a disparu"

La famille bourguignonne n'embarquera jamais avec Air Caraïbes. Elle doit même débourser 5 000 euros supplémentaires pour obtenir d'autres billets, avec Corsair. "Une compagnie qui ne nous a demandé aucun certificat et nous a mis à côté sans souci", précise Elise. 

Chez Corsair, ils nous ont dit que s’il y avait un accompagnant, ils ne demandaient pas de certificat. Si la personne est seule, ils demandent si elle peut se lever, s’assoir seule.

Elise Loichot, compagne de Thomas

Depuis, le couple essaye de se faire rembourser son voyage aller, sans succès, Air Caraïbes estimant qu'ils sont arrivés en retard pour l'enregistrement de leur billet. Seul leur retour a été rétribué à hauteur de 90 euros. Contactée ce mercredi 22 février, la compagnie aérienne n'a pas répondu à nos sollicitations.

Le couple de son côté se bat pour obtenir réparation, notamment en raison de l'atteinte morale. "On a toujours vécu normalement, pour tout, tous les jours. Pourquoi il n'y a qu'un moment dans sa vie où mon époux ne se sent pas normal, c'est quand il prend l'avion ? Il m'a dit 'je me sens dégradé'. On ne peut pas en rester là".

Une plainte à venir ?

Elise et Thomas ont notamment contacté l'APF France Handicap, une association qui défend les droits des personnes en situation de handicap depuis près de 80 ans. "Il n'y a pas de raison que ce monsieur ait eu autant de problèmes. Rien ne justifie ça. Dans le passé il y a eu des soucis, mais je n'ai pas entendu parler de problèmes particuliers des vols depuis longtemps", nous confie Florence Lecomte, directrice de l'APF en Côte-d'Or et en Saône-et-Loire.

Cette dernière a alors interpellé le service juridique de l'association pour déterminer les démarches à suivre. La structure pourrait alors conseiller au couple bourguignon de porter plainte. "C'est complètement aberrant. C'est une vraie discrimination. C'est trop grave. Ils vont avoir du mal à récupérer leur argent car Air Caraïbes a dit que le dossier été clos. C'est trop facile ! Ce sera incontournable de porter plainte", estime la directrice.

On parle d’une société de plus en plus inclusive mais on trouve avec le recul que c’était plus simple il y a 10 ans…

Elise Loichot, compagne de Thomas Roy

Le Règlement européen du 5 juillet 2006 relatif au transport aérien des personnes handicapées et à mobilité réduite interdit toute forme de discrimination lors des réservations et du transport de ces passagers. 

En décembre 2015, la compagnie Easyjet avait été condamnée par la Cour de cassation à une amende de 70 000 euros et à verser des dommages et intérêts à trois personnes en situation de handicap pour leur avoir refusé l'accès à un avion.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information