Victimes d'essais nucléaires : le tribunal administratif requiert le rejet de la demande des veuves de militaires

Les veuves de militaires victimes d'essais nucléaires ont vu leur requête requise en rejet ce mardi 5 décembre au Tribunal Administratif de Dijon. Les veuves se disent victimes "par ricochet" des essais nucléaires français. Le lien avec leur préjudice serait jugé comme "non établi" selon le rapporteur public.

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Le rapporteur public du tribunal estimerait comme "non-établi" le lien avec le préjudice des veuves, pourtant déjà reconnu dans la mort de leurs époux.

"C'est une carence du droit à la réparation"

"On revient des années en arrière. On nous demande à nouveau de démontrer l'impact", a réagi Maître Cécile Labrunie, avocate de l'Association vétérans essais nucléaires (Aven), après l'audience au tribunal administratif de Dijon. 
Me Labrunie a rappelé avoir déjà tenté, lors de nombreuses procédures devant la justice au début des années 2000, de faire reconnaître le lien entre les essais et le décès de militaires, souvent de cancers. 
"Or on ne peut jamais, d'un point de vue médical, établir une causalité certaine d'un cancer", a-t-elle expliqué.
De ce fait, une loi du 5 janvier 2010 (la loi  Morin ndlr) a préféré se fonder sur "la présomption de causalité" et a permis l'indemnisation des victimes des 210 essais nucléaires menés entre 1960 et 1996 au Sahara algérien, ancienne colonie française, et en Polynésie.
La seule condition était non pas de prouver un lien "certain" mais simplement d'avoir été présent à l'endroit et au moment des essais et que les maladies figurent parmi une liste définie (de nombreux cancers).
Durant les décennies d'essais nucléaires français, quelque 150.000 civils et militaires ont été touchés, selon l'Aven.
La loi de 2010 n'indemnise cependant que les victimes directes et pas le préjudice, dit "par ricochet", subi par les proches, "contrairement aux autres systèmes fondés dans le cadre de la réparation nationale", comme les victimes d'amiante, d'attentats ou d'accidents de la route, a précisé Me Labrunie. 
    "C'est une carence du droit à réparation", a estimé l'avocate, car les veuves, enfants ou petits-enfants ont subi "un préjudice moral et une incidence matérielle" de la mort du militaire due aux essais.

L'association Aven "déçue" par les propos du rapporteur public

Pour Jean-Louis Camuzat, membre du Conseil d'Administration de l'association "Aven", sa réaction est la même qu'aux décisions du tribunal administratif de Strasbourg où des dossiers similaires ont été déposés : "nous sommes déçus, ce sont les mêmes conclusions que nous faisons, à savoir l'étendue des difficultés à faire reconnaître les victimes "par ricochet" a-t-il déclaré à France 3 Bourgogne.

J.L. Camuzat est responsable des relations avec les élus, parlementaires et ministères. Il souhaite que les choses évoluent : "il faut que le législateur inclut dans la loi Morin un paragraphe pour les victimes par ricochet"

D'ailleurs, il est prévu le 20 décembre prochain "une rencontre avec les députés pour déposer un projet de loi." Mais le vice-président anticipe déjà les difficultés, aussi il a quelques suggestions : si l'État accepte les indemnisations par ricochet, il faut le budgétiser. On pourrait prendre sur l'enveloppe des indemnités des vétérans le reliquat qui n'a pas été utilisé, par exemple. Il faut chiffrer tout cela bien entendu."

D'autres indemnisations sont également à anticiper, une grande enquête parmi les membres de l'association a permis d'identifier des victimes "par descendance, dans une étude transgénérationnelle."

"Là aussi, il faudra indemniser ces victimes" soulève Jean-Louis Camuzat.

C'est une situation ubuesque !

Me Cécile Labrunie

AFP


La loi stipule néanmoins que les veuves et descendants peuvent intenter une action "de droit commun", en ne se prévalant pas de la loi mais en allant devant le tribunal administratif. En revanche dans ce cas, il faut prouver "un lien direct et certain" entre les essais et le décès de l'époux ou du père, a souligné le rapporteur public.
"C'est une situation ubuesque", s'est désolée Me Labrunie, soulignant en particulier que la lutte pour cette reconnaissance dure déjà "depuis trente ans" pour les veuves demanderesses.
"On ne prend pas en compte nos vies complètement chamboulées", a estimé auprès de l'AFP l'une d'entre elles, Michèle Larmier, 80 ans.
En tant que veuve, elle a touché une partie de l'indemnisation de la mort de son mari, le capitaine de frégate Claude Larmier, décédé en 1995 d'un cancer du colon après avoir assisté à cinq essais nucléaires en 1968, depuis le porte-avions Clémenceau mouillé à Tahiti.
Mais son préjudice propre, lui, n'a reçu aucune réparation. "C'est une injustice", dit-elle. "Quand Claude est mort, sa retraite de 15.000 francs qu'on touchait, est tombée à 3.500 francs", soit l'équivalent de 794 euros, raconte la veuve, dont les traitements pour une leucémie grèvent encore le budget.
"On paie les charges et on mange avec ce qu'il reste", a-t-elle expliqué avant l'audience où elle n'a pu se déplacer.
Également absente, en raison d'une santé fragile, une autre femme attaquait le ministère des Armées : Monique Goret, veuve de Gérard, mort en 1999 d'un lymphome. Ce militaire a été chef de chantier à In Ekker, dans le Sahara algérien, lors de l'accident du 1er mai 1962 où l'essai nucléaire 'Béryl' a fait exploser la montagne où il était censé être confiné, contaminant des centaines de personnes.


Depuis deux ans environ, "une centaine" de procédures de "victimes par ricochet" ont été lancées devant les tribunaux administratifs. Un seul jugement, concernant trois cas, a pour l'instant eu lieu, à Strasbourg, estimant qu'il y avait prescription.  L'Aven a fait appel. 

Un autre tribunal administratif, à Bordeaux, doit se prononcer le 21 décembre. L'affaire entendue à Dijon n'était donc que la troisième du genre. Le tribunal rendra sa décision d'ici à un mois.

► avec AFP

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