L'intersyndicale de l'enseignement professionnel appelait ce mardi 12 décembre à la grève pour demander le retrait de la controversée réforme Grandjean, qui doit totalement entrer en vigueur à la rentrée 2024. Un forum a été organisé à Besançon (Doubs) où syndicalistes et professeurs ont partagé leur crainte d'assister à la "casse de l'ascenseur social".
C'était l'une des promesses de campagne d'Emmanuel Macron pour améliorer l'insertion des jeunes sur le marché de l'emploi. La controversée réforme de l'enseignement professionnel, déjà en partie entrée en vigueur, a réussi l'exploit de crisper la totalité des syndicats enseignants. Réunis en intersyndicale, ils appelaient à la grève ce mardi 12 décembre pour le retrait de cette réforme.
À l'occasion de cette journée de mobilisation nationale, un forum a été organisé dans la matinée par les syndicats franc-comtois de l'enseignement à la Maison du peuple de Besançon afin de discuter de ces "énièmes mesures qui rognent les droits à la formation de nos élèves". Y étaient invités d'autres acteurs de la formation professionnelle, comme Pôle emploi, le centre de formation d'apprentis (CFA) ou encore des lycées agricoles. "Qui veut la peau de la voie pro ?", se sont-ils interrogés.
Un choix faussé
Pour le ministère de l'Éducation nationale, la réforme possède trois vocations : réduire le décrochage, améliorer l'insertion professionnelle et faciliter les poursuites d'études. Dans une interview accordée au journal Le Monde, la ministre déléguée à l'Enseignement et la Formation professionnels, Carole Grandjean, expliquait vouloir rendre l'année de terminale pro "plus modulaire pour les lycéens selon qu'ils veulent s'insérer dans l'emploi ou poursuivre leurs études".
#Rentrée2024 | @CGrandjean_ vient d’annoncer une réorganisation de l’année de terminale dans la voie professionnelle.
— Ministère Éducation nationale et Jeunesse (@education_gouv) November 22, 2023
→ Plus de savoirs fondamentaux pour tous
→ Un parcours personnalisé en fin d'année selon le projet de l’élève (insertion ou poursuite d’études)… https://t.co/qG29BJSwU3 pic.twitter.com/HrhuWrXcPA
Si la réforme est mise en place, les élèves devront, à la fin de leur année de terminale, choisir entre deux options : six semaines de stage en entreprise, qui se rajoutent à six semaines supplémentaires pour tous ; ou six semaines de "cours intensifs" afin de préparer les jeunes aux études supérieures, dans l'optique de réduire le taux d'échec. Les examens, eux, sont avancés fin mai. Et ce, dès la rentrée 2024.
À noter que la grande nouveauté de la réforme est la rémunération des périodes de stage jusqu'à 100 euros la semaine. Une fausse bonne idée, estiment les syndicats. Les élèves de lycées professionnels sont pour la plupart issus de milieux défavorisés. Selon les chiffres du ministère de l'Éducation sur les origines sociales des élèves du second degré datant de 2021, la voie professionnelle accueille principalement des enfants d'ouvriers, d'employés et d'inactifs. La rémunération de six semaines de stage supplémentaires peut représenter une somme importante pour eux et peut fausser leur choix.
Des heures de cours supprimées pour des jeunes déjà en difficulté
"J'en ai discuté avec mes élèves en BTS qui ont fait un bac pro", explique Nicolas Suzchendler, professeur de mathématiques au lycée privé Saint-Paul de Besançon, présent lors du forum à Besançon. Ses élèves étaient plutôt enthousiastes à l'idée de ces stages supplémentaires, mais, celui qui est aussi secrétaire général du syndicat de l'enseignement privé CFD, s'inquiète-t-il au micro d'Aline Bilinski de France 3 Franche-Comté. "Ils ont déjà énormément de mal dans cette voie".
Avec cette réforme, les jeunes qui souhaitent poursuivre leurs études peuvent tout à fait choisir, eux aussi, les stages rémunérés au détriment des cours préparatoires, et arriver dans l'enseignement supérieur beaucoup moins armés qu'aujourd'hui. "Les jeunes vont perdre des heures d'enseignement général, de Français, de maths, et leur niveau va baisser", craint Nicolas Suzchendler.
D'autant que, depuis 2018 et la réforme Blanquer, les heures de cours en seconde et en première ont reculé respectivement d'une heure et d'une heure et demie hebdomadaire. La réforme Grandjean prévoit de supprimer en terminale 71 heures d'enseignements professionnels pour les remplacer par 31 heures d'enseignements généraux. Selon les calculs des syndicats, sur les trois années du bac pro, les élèves perdraient au total sept semaines de cours.
Le lycée pro, "succursale de l'entreprise"
"La réforme nous demande de proposer chaque année de nouvelles formations, avec insertion professionnelle immédiate. On s'adapte à l'offre et à la demande afin que les jeunes ne finissent pas au chômage. Sinon, ça n'a aucun intérêt", tempère Virginie Gruss, proviseure du lycée Condé de Besançon, qui voit plutôt la réforme d'un bon œil.
Certains, comme Nicolas Suzchendler, s'inquiètent néanmoins de voir l'enseignement professionnel se transformer en "succursale de l'entreprise". Alors que la réforme renforce les périodes de stage, encourage très fortement l'apprentissage et installe de bureaux des entreprises dans les établissements pour renforcer leur lien, le lycée pro ne serait plus qu'un pourvoyeur de main d'œuvre.
"On assiste à la casse de l'ascenseur social", abonde Emmanuel Propper, conseiller Pôle emploi à Besançon et élu au syndicat SNU-FSU Pôle emploi. Déjà, dans le cadre de l'expérimentation Avenir Pro', l'agence publique offre des prestations à certains établissements d'enseignement professionnel "comme on peut en dispenser aux demandeurs d'emploi", explique-t-il. "Si les jeunes n'ont pas de choix défini, on va les orienter vers des métiers en tension, mal payés, avec des conditions de travail difficiles. C'est une gestion à court-terme seulement pour atteindre l'objectif gouvernemental du plein-emploi."
"On a l’impression qu’on sacrifie les plus jeunes des familles les plus pauvres pour les mettre directement dans le monde du travail, et c’est inacceptable", déplore Annabelle Libin, professeure d'économie et gestion au lycée professionnel Raoul Follereau de Belfort. "Nous ne formons pas que des professionnels, mais aussi des citoyens."