REPORTAGE. Quand un village du Doubs se mobilise pour accueillir de jeunes migrants : "c'est un partage de richesse"

Depuis novembre 2023, la commune de Montfaucon, dans le Doubs près de Besançon, accueille 12 jeunes migrants. Mineurs non reconnus par le département, ils étaient avant à la rue et sont maintenant logés dans une ancienne école où ils bénéficient de l'aide de plusieurs habitants qui, touchés par leur histoire, ont décidé de s'investir.

Ils s'appellent Aboubacar, Seydou, Yacouba, Sam... Venus de Côte d'Ivoire, de Guinée, du Cameroun ou encore de Sierra-Leone, ces douze jeunes hommes ont tous quitté leur pays d'origine il y a quelques mois, voire plusieurs années. Direction la France, avec l'espoir d'une vie meilleure, loin de la souffrance et des difficultés qui les ont obligés à fuir leur terre natale. Après de multiples péripéties, leurs destins se sont croisés dans le Doubs et les ont amenés, pour un temps, sur la commune de Montfaucon, à quelques minutes de Besançon.

"Aboubacar, aide-moi à emmener les légumes s'il te plaît". Il est 17h passé, jeudi 15 février. La nuit commence à tomber sur La Malate, un hameau du village de Montfaucon. C'est là, dans l'ancienne école de la localité, que les douze jeunes migrants sont installés depuis le 13 janvier dernier.

Dans la bien nommée"salle des Lumières", des matelas sont installés au sol, posés sur des palettes en bois. Aux murs, des affiches récapitulent les horaires des collectes alimentaires ou des activités proposées, au côté du planning du ménage ou de la liste de courses.

Au centre, une table en plastique blanche. C'est sur elle qu'Aboubacar, maillot de l'équipe de football de la Côte d'Ivoire sur les épaules, a installé la panière de fruits et légumes. "Ils viennent de la Biocoop, à Besançon, qui nous donne ses aliments gâtés" explique Catherine Pardonnet, conseillère municipale de la commune et bénévole à l'association Solmiré.

Catherine, c'est elle qui est à l'initiative de l'accueil de ses jeunes à Montfaucon. "Ils sont arrivés à Besançon fin 2023" explique-t-elle, en commençant à éplucher quelques poires. "Le département du Doubs les a d'abord logés, avant de leur faire passer un entretien. Ils en ont conclu qu'aucun de ces jeunes n'était mineur. Ils se sont donc retrouvés à la rue".

L'hiver arrivait et ils dormaient dehors. L'idée me révoltait. Fin novembre, on a donc accueilli douze jeunes sous notre toit, avec mon mari.

Catherine Pardonnet,

conseillère municipale à Montfaucon et membre de l'association Solmiré

La municipalité de Montfaucon accepte ensuite de loger ces mineurs non reconnus dans la salle communale, début décembre 2023. Avant le déplacement dans l'ancienne école, un peu plus bas, dans le hameau de La Malate, un mois plus tard. Un changement "qui a déclenché des discussions chez les habitants" avoue Catherine. "Il y a eu des inquiétudes. Voir des appréhensions chez certains. Qui étaient ces jeunes qui arrivaient d'un coup en nombre ? Mais on a aussi vu des personnes qui, tout de suite, ont eu envie d'aider. Et très vite s'est créée une solidarité magnifique".

Plusieurs habitants du village devenus bénévoles

Cette soirée du jeudi 15 février en est la parfaite illustration. Les jeunes, qui passent la journée à Besançon entre cours de français au Secours catholique et suivi de leurs démarches administratives avec l'association de la Cimade, reviennent au compte-goutte sur leur vélo.

Il est environ 18h. Arrivent également, un à un, plusieurs habitants du village. Il y a là Benjamin, Delphine et leur fille Augustine. Dominique Pardonnet et Pierre-Alain, anciens instituteurs. Vic, la coiffeuse de la commune, ou Brigitte Meunier, habitante de La Malate depuis 1996.

Tous ont décidé de s'organiser et d'aider ces migrants. "J'avais des convictions, mais je ne m'étais jamais investi dans une association" explique Benjamin Nedey, qui habite à quelques mètres de l'ancienne école. "Mais quand on a appris que ces jeunes arrivaient, on a été très touchés. Ils sont à deux pas de chez nous et on sait qu'ils ont traversé beaucoup d'épreuves. Sans cette salle, ils seraient à la rue. On se devait de les aider au quotidien, leur apporter un peu de chaleur humaine". Depuis plusieurs semaines, la famille Nedey vient donc ici tous les soirs. Aujourd'hui, ce sont eux qui s'occuperont de cuisiner les légumes pour le dîner. 

Pendant la Coupe d'Afrique des nations, j'ai aménagé un petit chalet au fond de mon jardin pour qu'ils puissent se réunir pour regarder les matchs de foot. Je me suis même mis à regarder avec eux, alors que je n'aime pas ça de base. Ca a été des moments incroyables humainement.

Benjamin Nedey,

habitant de La Malate

Des liens forts se sont alors créés. Faisant s'effondrer les barrières bâties sur les préjugés et la méconnaissance. Vic, la coiffeuse, en est le parfait exemple. "Au départ, c'est vrai que je me posais quelques questions sur leur arrivée" concède-t-elle. "J'ai pris mon courage à deux mains et je suis allé les rencontrer un soir. Dès que j'ai passé la porte, mon avis a changé. J'ai vu tous ces jeunes qui me regardaient. On a tout de suite sympathisé. Ils sont adorables".

"Des vraies relations se sont créées"

Depuis cette rencontre, Vic vient couper les cheveux aux jeunes hommes, aide à la cuisine et écoute leur vécu, leur histoire. "C'est parfois dur à entendre. Ils se confient et ça m'émeut beaucoup" témoigne-t-elle. "Ce sont des gosses, on ne peut pas les laisser comme ça. Malgré ce qu'ils ont vécu, ils essayent de garder le sourire".

"On a créé un groupe Whatsapp, on communique régulièrement. De vraies relations se sont créées" assure Vic. "La semaine dernière, ils m'ont même envoyé des messages quand j'étais un peu malade". Pendant les vacances, elle a promis d'emmener la petite troupe en balade, pour découvrir la région "et éviter qu'ils ne s'ennuient pas trop sans cours scolaires".

18h10. Les jeunes s'empressent de monter les escaliers en béton qui conduisent à une petite salle de classe d'un autre temps. Au mur, des cartes de la France, de ses départements, ses fleuves, ou sa topographie... "Aujourd'hui, nous allons étudier la géographie française" annonce Dominique Pardonnet. Ancien professeur au village, le mari de Catherine est sorti de sa retraite pour donner quelques cours aux jeunes migrants.

Très tôt, on a voulu les nourrir et les héberger. C'était primordial. Mais on a vu que ça ne suffisait pas. Il fallait leur apporter d'autres choses, comme des occupations et des connaissances. C'est eux qui nous demandent souvent des cours de français, ou sur la culture française. Ils sont extrêmement intéressés.

Dominique Pardonnet,

ancien instituteur à Montfaucon

La leçon d'aujourd'hui porte sur la géographie. Les élèves du soir sont invités à pointer sur une carte les pays limitrophes de la France. Reviennent alors en mémoire les parcours qui les ont amenés jusqu'à Montfaucon. Certains se remémorent les passages par la Tunisie, l'Espagne, ou bien l'Italie.

"On découvre leur parcours complexe et difficile" évoque Pierre Alain, habitant de Montfaucon, qui anime lui aussi les cours. "Ils arrivent dans un environnement qu'ils ne connaissent pas. Ils connaissent l'importance de la maîtrise de la langue et de l'écriture pour leur intégration. Ils sont demandeurs, curieux, volontaires, donc il est normal, même humain, de leur donner quelques bases".

Je pense que le contexte est difficile pour eux. Alors qu'on a eu la loi immigration, on s'attache aussi à défendre une certaine idée de la France ici. Une France qui conserve ses valeurs humanistes, une terre d'accueil. C'est assez réconfortant de voir cela.

Pierre Alain,

ancien habitant de Montfaucon

Qu'en pensent les principaux intéressés, ces douze garçons arrivés à Montfaucon il y a quelques mois ? "Personnellement, ça nous fait beaucoup de bien" souligne Yacouba Coulibaly, venu de Côte d'Ivoire. "Passer de la rue à cette école, avec cette gentillesse, c'est quelque chose qu'on ne va pas oublier". Sam Samoura, arrivé de Guinée, confirme. "Avant, on dormait à la gare ou sous le pont Battant, dans le froid" explique-t-il. "Donc c'est important d'être ici".

Des gens s'intéressent à nous, s'occupent de nous, ne nous voit pas comme une menace. Ça nous aide à comprendre que tôt ou tard, par la bienveillance et le contact avec des bonnes personnes, on arrivera à avoir une vie semblable à celle des autres jeunes Français.

Seydou,

jeune migrant logeant à Montfaucon

Pouvoir s'intégrer. Cette volonté revient dans toutes les bouches. Pour cela, il faut déjà être reconnu mineur par les autorités. Les jeunes, non reconnus par une première décision, ne baissent pas les bras et ont choisi de déposer un recours devant le tribunal pour enfants. Un parcours administratif lourd, qui pèse sur les épaules et les têtes.

"Même si être ici est une chance, on ne peut pas oublier les papiers" reprend Sam. "Mes parents sont morts, c'est pour ça que je suis venu en France. Mais je ne connais personne, et on sait que notre situation n'est pas fixe". "Les démarches, on les a toujours dans la tête" ajoute Seydou. "En cours, en mangeant, en dormant. C'est beaucoup de stress au quotidien. Mais l'accueil à Montfaucon nous aide à nous sentir un peu mieux".

Une aide bienvenue dans un quotidien difficile et rempli de doutes. "On a créé quelque chose de beau, qui a créé un partage de richesse pour les jeunes, mais aussi pour nous, les accompagnants" résume Catherine Pardonnet. "Plusieurs personnes me font part de leur fierté d'habiter dans un village qui accueille un groupe dans le besoin. Montfaucon est devenu un village refuge pour eux. Et ça permit à des habitants de réapprendre à se connaître".

Montfaucon a fait le choix de ne pas être dans la répulsion par rapport à la migration, mais d'avoir une attitude constructive. Ce qui serait formidable, c'est que cette mobilisation citoyenne puisse donner envie aux villages environnants et qu'un tissu de "villages refuges" se crée autour de Besançon pour accueillir cette population qu'on ne peut pas ignorer.

Catherine Pardonnet,

élue municipale à Montfaucon

Un vœu resté pieux à l'heure où nous écrivons ces lignes. "Aujourd'hui, on navigue à vue. On aimerait bien qu'un autre village prenne le relais" continue Catherine Pardonnet. "Ici, ce n'est pas la rue, mais c'est quand même exigu, pas d'un grand confort et les sanitaires sont vieillots"  Alors que la mairie de Montfaucon avait décidé d'un accueil sur deux mois, les jeunes migrants en sont maintenant à trois mois de présence au village. Pierre Contoz, maire de la commune, a appelé ses collègues édiles à prendre le relais. Aujourd'hui, il est dans l'attente d'une réponse positive. 

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"Les garçons resteront là jusqu'à la fin de la trêve hivernale. Mais sur le long terme, on fait quoi ?", s'interroge Catherine Pardonnet. "Pour nous, bénévoles, c'est aussi du temps, car on y met tout notre cœur. Et notre budget, construit sur des donations, s'amenuise de plus en plus". Où vivront-ils dans quelques mois ? Ces incertitudes s'ajoutent à l'angoisse et au stress provoqués par leurs dossiers administratifs en suspens. Malgré un mouvement de solidarité exceptionnel, l'avenir des jeunes reste donc très incertain.

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