Le 7 avril 1803, Toussaint Louverture, héros de l'indépendance d'Haïti, ancienne colonie française appelée Saint-Domingue, décédait au château de Joux dans le Haut-Doubs. Mais qui est-il, et pourquoi a-t-il été mis en prison si loin de son île ? On vous explique.
Toussaint Louverture est l'un des personnages emblématiques de l'histoire décoloniale française. Ce vendredi 7 avril 2023 avait lieu une commémoration spéciale pour les 220 ans de l'anniversaire de sa mort. Le chef de file de la révolution anti-esclavagiste de la fin du XVIIIe siècle était gouverneur de Saint-Domingue, à l'époque où elle était encore une colonie française (Antilles). "Il a promulgué un acte autonomiste qui a provoqué la colère du premier consul Bonaparte. C'est pour cela qu'il s'est retrouvé dans cette cellule au château de Joux", nous précise Laurène Mansuy, directrice du château de Joux et spécialiste du personnage.
Pourquoi le château haut perché sur son rocher a-t-il été choisi pour recevoir le prisonnier Louverture ? Parce que c'était la prison d'État française la plus éloignée de la mer, comme nous l'explique la directrice du site. "Il y avait trois lieux, trois prisons d'état identifiées pour les déportés des colonies : l'île d'Oléron, l'île de Ré, et le château de Joux, situé très loin des côtes. Cela permettait d'éviter une évasion puisqu'il aurait fallu traverser toute la France pour venir en aide à Toussaint Louverture".
"Un prisonnier de grande valeur"
Une fois capturé, il est transféré à Brest, en Bretagne. Il traverse ensuite toute la France en fourgon cellulaire, sans bagages, sans pouvoir voir le paysage et surtout sans savoir où les autorités françaises l'emmènent. Il ne bénéficie pas d'un procès. "Il arrive au château, et là, il est enfermé avec interdiction de recevoir de la visite, de communiquer avec ses proches et même de faire une promenade. La fenêtre de sa cellule est pour partie murée. Il n'a aucune vision extérieure", témoigne Laurène Mansuy.
Pour l'homme des Antilles, tout le temps à cheval et très actif, se retrouver à l'autre bout du monde, enfermé dans une cellule humide, est un choc. La présence de son serviteur Mars Plaisir ne parviendra pas à l'apaiser. Le Haut-Doubs et son climat rude n'ont évidemment rien à voir avec sa terre d'origine. Au total, il restera près de huit mois enfermé. "Il avait quand même de quoi se chauffer, à manger. Il était considéré comme un prisonnier de grande valeur, extrêmement dangereux", détaille la directrice du château de Joux. Il décède vers 60 ans, le 7 avril 1803 d'un AVC et d'une maladie respiratoire.
Le 1er janvier 1804, Haïti devient la 1ère République noire au monde. L’esclavage y est définitivement aboli par la France, en 1848.
"C'est notre héros"
Carmel Frohlicher, d'origine haïtienne, était présente au château pour lui rendre hommage ce vendredi 7 avril 2023. "C'est notre héros, et il faut nous en rappeler. S'il n'avait pas été là, peut-être que je serais encore une esclave", explique-t-elle au micro de notre journaliste Marine Candel. Isis Tawanda, journaliste et chercheuse politique sur l'histoire de l'Afrique, d'origine kenyanne a, elle aussi, fait le déplacement : "Je suis là parce que l'esprit de Toussaint Louverture nous inspire."
Ferdy Ajax, également d'origine haïtienne, est écrivaine et artiste peintre. "S'il n'y avait pas eu ce sacrifice, je ne serais peut-être pas là. Il s'est sacrifié pour la liberté. Le but de Toussaint Louverture c'était d'être égalitaire. L'égalité des hommes et des femmes, on y est encore là. C'est un combat perpétuel. Lui a vu ça avant nous", témoigne-t-elle. Et d'ajouter : "C'est émouvant, d'être là, là où il a laissé sa vie."
Toussaint Louverture, héros de son vivant, est devenu un véritable mythe après sa mort.
Site internet du château de Joux
Le saviez-vous ?
Toussaint Louverture, à l'origine Toussaint de Bréda, est parfois la cible de critiques pour des aspects contradictoires de son histoire personnelle. Descendant d'esclaves noirs, lui-même affranchi en 1776, il s'est élevé dans la société et a même possédé des esclaves. Ils étaient au nombre de 18, comme nous l'explique Laurène Mansuy.
"Toussaint Louverture a été affranchi. Il faisait partie des "libres de couleur". C'était une catégorie spécifique. Les "libres de couleur", regroupent des métis, des noirs affranchis ou des noirs libres. Ces personnes voulaient s'inscrire dans le système colonial. Ils voulaient eux-aussi avoir des richesses, faire partie du mouvement économique, et donc elles reproduisaient la manière de vivre des colons blancs. Toussaint Louverture faisait comme tout le monde. Il a loué une plantation de café et a possédé 18 esclaves".