Face aux difficultés financières des Ehpad, l'État a annoncé débloquer une aide d'urgence de 650 millions d'euros pour les structures publiques et privées. Une aide bienvenue, mais insuffisante pour les acteurs du grand âge en Bourgogne-Franche-Comté.
La ministre déléguée aux Personnes Âgées, Fadila Khattabi, a annoncé, mardi 23 avril, débloquer une aide d'urgence pour les Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) publics, associatifs et privés à but non lucratif. Après une alerte lancée par 13 organisations du secteur du grand âge sur la "gravité de la situation" financière d'une ampleur "inédite", le gouvernement a décidé d'allouer 650 millions d'euros pour les établissements accueillant les personnes âgées dépendantes.
Si la mesure est saluée, en Franche-Comté, elle n'a pas permis aux acteurs du grand âge de retrouver le sommeil. "On est sensible à cette aide, mais c'est encore très inférieur à ce dont nous avons besoin pour survivre", confie Loïc Grall, délégué régional de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires (Fehap) de Bourgogne-Franche-Comté. Dans les Ehpad, le constat est partagé par les directeurs d'établissement. Depuis deux ans, ces acteurs alertent sur la situation de leurs structures en grande difficulté financière.
Plus de dépenses que de recettes
Si les responsables d'Ehpad sont habitués à jongler avec les chiffres pour faire vivre leurs établissements, depuis 2022, ils sont confrontés à un phénomène nouveau : le déficit. Selon une récente enquête de la Fédération hospitalière de France (FHF), 85% des Ehpad publics ont été déficitaires en 2023. "Jusqu'ici on arrivait à tenir la barre. L'année dernière, on a dû puiser dans nos réserves. Si la situation ne change pas cette année, on va tout épuiser et on ne pourra bientôt plus payer, alarme Frédéric Meunier, directeur de l'Ehpad privé à but non lucratif de Gray, en Haute-Saône, la situation est préoccupante, certains de mes collègues sont au bord de la cessation de paiements."
Plusieurs facteurs ont creusé les dépenses des Ehpad. Parmi ceux-ci, l'inflation n'épargne pas ces établissements. "L'énergie, l'alimentation, l'entretien, tous les postes de dépenses ont augmenté. On dépense désormais plus qu'on ne fait de recettes sur ce plan", explique Frédéric Meunier. Ces dépenses, liées à l'hébergement, sont financées par les résidents et leurs familles. "C'est le prix de journée, c'est-à-dire le prix que va payer le résident par jour." Une somme fixée par le département en début de chaque année. À titre d'exemple, pour l'Ehpad de Gray, le prix de journée est de 62 euros. Pour son directeur, ces tarifs ne sont pas fixés sur la base de l'inflation et donc insuffisants pour pallier les coûts des Ehpad. "Il faudrait que ces prix de journée soient revus à la hausse", constate Frédéric Meunier.
Une solution envisagée que ne partage pas Maryline Bovée, directrice de la Résidence du Parc, à Audincourt, établissement public autonome. "Bien sûr que nous sommes en déficit sur l'hébergement mais les résidents payent assez cher. On ne peut pas leur répercuter l'inflation." Car l'augmentation du coût de la vie n'est pas la seule cause de la difficulté financière des Ehpad. "Suite au Ségur de la santé, les salaires ont augmenté, mais ils n'ont pas totalement été financés par l'État", explique Loïc Grall de la Fehap. Résultat : des charges de personnels qui ont explosé depuis. "L'augmentation salariale est une bonne nouvelle, mais nous n'arrivons pas à faire face", déplore Maryline Bovée.
S'ajoute à ces deux facteurs la pénurie de personnels soignants en Ehpad entraînant un turn-over important. "Nous faisons face à des départs, des arrêts maladies longs, nous n'arrivons pas à recruter sur le long terme, donc nous faisons appel à des contrats d'intérim ou des contrats à durée déterminée mais ce sont des salaires plus importants et des charges énormes", observe Frédéric Meunier. Une situation qui provoque une dégradation des conditions de travail dans les Ehpad. Mais aussi une difficulté de prise en charge de qualité pour les personnes âgées résidentes, premières impactées par les difficultés financières des structures.
"Le modèle économique des Ehpad est dépassé"
Après l'annonce de l'aide d'urgence, les acteurs du grand âge se posent des questions. "Dit comme ça, 650 millions, c'est une très grosse somme. Mais, comme annoncé, 190 millions vont être attribués aux établissements publics. Ils sont au nombre de 7 353 en France. En faisant le calcul, cela représente 25 839 euros pour chaque structure. Je fais quoi avec cette somme ?", s'inquiète Maryline Bovée.
Au-delà de cette aide de l'État, c'est tout un modèle économique qui bat de l'aile pour les directeurs d'Ehpad et les organisations du secteur du grand âge. Les Ehpad ont trois sections tarifaires : l'hébergement, au frais des résidents, le soin, pris en charge par la Sécurité sociale et la dépendance, financée par les départements. "Cette tarification ternaire ne fonctionne plus. Nous avons besoin d'une véritable politique nationale. Cela devient une question éthique", constate la directrice de l'Ehpad d'Audincourt. Car c'est principalement la dépendance et son système économique qui entraînent le mauvais fonctionnement des établissements. "La très grande majorité des personnes âgées résidant en Ehpad sont dépendantes, mais il n'y a aucun moyen consacré à la grande dépendance", déplore Loïc Grall.
Dans ce sens, la ministre déléguée aux Personnes Âgées, Fadila Khattabi, a évoqué une réforme structurelle du financement des Ehpad. Ainsi, le gouvernement pourrait reprendre en charge la partie dépendance et la fusionner avec la partie soin. Elles seraient prises en charge par les agences régionales de santé (ARS). L'idée est au stade du projet de loi.
La prise en charge des personnes âgées et dépendantes reste un sujet délicat en France. "On met la main à la poche pour la santé, pour la retraite, pour plein de choses, mais pas pour la dépendance alors que nous allons tous y passer. Je me demande comment vont faire les personnes âgées d'ici à 20 ans si les choses ne changent pas", s'exclame Maryline Bovée. Pour les Ehpad, la sanction est dure : des familles en colère qui n'ont d'autres choix que de remettre la faute sur les établissements et leur personnel, et surtout, des résidents qui pâtissent de la situation économique.