Harcèlement scolaire : "On m'a forcée à avaler des cailloux" dans la cour de l'école primaire

Près de 700 000 élèves sont violentés, menacés ou encore manipulés par leurs camarades de classe, chaque année en France. A l'occasion de la journée de la lutte contre le harcèlement scolaire ce jeudi 7 novembre, une mère et une ancienne victime franc-comtoises témoignent.

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"Après plus d'un mois, son comportement avait changé. Elle souriait moins, se montrait plus agressive. Elle a commencé à se faire vomir et à s'arracher les cheveux jusqu'à blanc", se souvient Nathalie*. Sa fille, Marie*, âgée de 9 ans, a perdu plus de trois kilos en quelques semaines après la dernière rentrée scolaire. Quelques jours auront suffi à un de ses camarades de classe pour l'avoir prise en grippe : insultes, coups de pied et menaces... Marie a été harcelée pendant de nombreux mois par le même enfant, en classe de CE1. Sous le regard impuissant de ses parents.

Sa mère a tenté à plusieurs reprises d'alerter le corps enseignant de la petite école de campagne, en périphérie de Lure (Haute-Saône) : "Je suis allée plusieurs fois à la rencontre de son instituteur et de la direction de l'école. Ils m'ont répondu qu'ils n'avaient rien remarqué et que ma fille paraissait toujours aussi souriante." Les semaines ont passé, les violences non. Face à l'inertie de l'établissement, Nathalie a appelé l'académie de Besançon et les a informé que si rien ne changeait, elle porterait plainte en gendarmerie :

Un mois après j'ai appris de ma fille que l'enfant allait changer d'école à la rentrée de Noël. C'était un soulagement même si je regrette de ne pas avoir été prise au sérieux. La sensibilisation est une affaire de tous. Les parents ont un rôle à jouer mais les professeurs également. Il faut que le corps enseignant apprenne à faire davantage la différence entre de 'simples chamailleries' et un harcèlement quotidien.

En France, 700 000 élèves sont victimes de harcèlement scolaire, dont la moitié de manière sévère, soit 5 à 6 % des élèves au total, d'après une étude de l'éducation nationale publiée en 2015. Le phénomène commence au plus jeune âge : "Des jeux d'influence s'installent dès la maternelle", témoigne Karine Laurent, co-secrétaire du syndicat des enseignants du premier degré Snuipp-FSU dans le Doubs. Celle qui est aussi enseignante ne peut que constater le manque de politique à l'égard du harcèlement scolaire dès le plus jeune âge : "Nous n'avons aucune formation à ce sujet : nous ne sommes pas formés pour détecter les cas de harcèlement. Il y en a forcément que l'on ne remarque pas."
 

"Nous ne sommes pas sur un problème identifié qui nécessite une politique commune, on doit gérer au cas par cas. Nous devons identifier les faits de harcèlement à partir de notre expérience", explique Karine Laurent, favorable à la mise en place de sensibilisations pour les enseignants.

"Serrer les dents"


La déléguée syndicale avoue avoir déjà été témoin de harcèlement en école primaire : "Mais nous passons beaucoup de temps avec eux. Plus les enfants sont petits, plus le rôle de l'adulte est important. Dans le secondaire, les jeunes sont moins encadrés et les harcèlements deviennent donc beaucoup plus violents."

Ambre* a connu le harcèlement à ces deux périodes de la scolarité : "Je suis directement arrivée en CE1 avec l'étiquette de 'l'intello' qui a sauté une classe. Je me suis attirée les moqueries des élèves mais aussi de mon enseignante. A cet âge là, on ne réalise pas ce qu'est le harcèlement, on ne se rend pas compte de la gravité du phénomène", explique-t-elle, désormais âgée d'une trentaine d'années.

Ses souvenirs de cette époque resteront à vie : "J'ai encore d'énormes séquelles : timidité, angoisses, paranoïa avec les autres personnes, réclusion dans mon petit monde, image de moi lamentable...". Ambre a été, entre autres, forcée à avaler des cailloux et à gratter des chewing-gums au sol par son propre camarade de classe. Et ce, sous les yeux de la mère du petit garçon, également son enseignante.

Les violences ont continué au collège. Avec à chaque fois, l'inaction des enseignants et de sa famille : "J'étais dans un collège sensible. Les enseignants n'osaient pas prendre ma défense par peur des représailles de certains élèves. Ma famille, elle, était embourbée dans des problèmes personnels. Mes parents étaient au courant mais esquivaient la question. Ils me disaient que cela allait passer et me demandaient de serrer les dents."

Très peu osent s'exprimer


La situation a duré trois ans, soit presque tout son collège, et l'a poussée à une déscolarisation à l'âge de 16 ans. Désormais, Ambre a une situation stable, habite près de Besançon, s'est installée en couple et est devenue mère d'une petite fille de 18 mois : "Je redoublerai de vigilance quant à la santé de ma fille lorsque ce sera son heure de rentrée." Mais, comme Nathalie, elle regrette le manque de dispositif publique et souhaiterait davantage de sensibilisation dans les écoles.

Un numéro vert, le 30 20, met en relation des psychologues et professionnels de l’éducation avec des victimes, des parents ou des témoins. "Quand on est jeune, on n'a pas connaissance de ce genre de dispositif", explique Ambre avant d'aborder un autre problème : "Très peu des personnes harcelées osent s'exprimer par peur des répercussions. Ils n'ont pas envie que cela empire." La plateforme reste un moyen efficace de lutter contre le harcèlement sous toutes ses formes (harcèlement scolaire, cyber-harcèlement...).  En 2017, le numéro vert avait traité plus de 14 000 appels.

En juin 2019, le gouvernement a annoncé une dizaine de mesures "pour lutter de manière transversale contre ce phénomène". Parmi elles, la formation des acteurs et la multiplication de prévention rentrent en compte.
 
*Les prénoms et noms de famille ont été modifiés à la demande des interlocuteurs afin de préserver leur anonymat.
 
Que faire en cas de harcèlement scolaire ?
En plus du numéro vert (le 30 20), le ministère de l'Education nationale a mis en place un site Internet dédié aux différents cas d'harcèlement scolaire. Celui-ci conseille la personne qu'elle soit victime, témoin, parent ou un professionnel.

Nonauharcelement.education.gouv.fr
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