Cyberharcèlement : “Mon frère est mort à cause d’eux”, à Vesoul, un escroc brouteur de Côte d’Ivoire jugé par contumace

Un homme de 37 ans était jugé jeudi 1er juillet devant le tribunal correctionnel de Vesoul en Haute-Saône. Anthony Cassi, 18 ans, s’est suicidé en novembre 2015 après avoir été piégé et menacé de chantage par un faux profil Facebook créé en Afrique. Récit.

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C’est un procès rare. Car ils sont peu nombreux à tomber dans les mailles judiciaires. Les “brouteurs” comme on les appelle en Côte d’Ivoire sont des escrocs qui tentent de soutirer de l’argent via les réseaux sociaux. Ils travaillent depuis des cybercafés qui garantissent leur anonymat. Ils multiplient les faux profils pour entrer en contact avec leurs victimes. Et jouent souvent l'arnaque à base de sentiments. On les appelle "brouteurs" comme le mouton qui se nourrit sans trop d'efforts. 

Ophélie Cassi a perdu son frère, elle attend ce procès depuis plus de cinq ans. Dans la nuit du 5 au 6 novembre 2015, Anthony Cassi s’est donné la mort avec une arme à feu au domicile familial sur la commune de Saint-Gand près de Vesoul, où il vivait. Une mort brutale, violente. Très vite, la jeune femme a des soupçons. “Mon frère était un jeune homme équilibré. Il vivait chez mes parents. Il n’avait pas eu son CAP, mais il avait des projets. Il y avait autre chose qui l’a poussé à l’acte”, raconte la jeune femme à la veille du procès.

Il leur écrit qu’ils vont avoir un mort sur la conscience, et qu’il va se mettre une balle dans la tête. C’est ce qu’il a fait.

Ophélie Cassi

Approché par un faux profil Facebook féminin

Après le drame, Ophélie Cassi réussit à rentrer dans le profil Facebook de son frère et découvre des échanges. Le 20 octobre 2015, son frère est contacté par un profil Facebook féminin, une jeune femme qui se présente comme coiffeuse à domicile à Dijon. Durant trois jours, les deux jeunes vont discuter via la messagerie du réseau social, mais également par Skype. “On suppose qu’à un moment, il y a eu des vidéos à caractère sexuel… car au bout du troisième jour de conversation, il y a eu des menaces, des demandes d’argent en échange de ces vidéos, des menaces envers les personnes de l’entourage de mon frère. Au début, on lui demandait 1000-1500 euros, puis c’est descendu à 500. Le profil continuait à le harceler. Mon frère les a suppliés d’arrêter. A la fin de la conversation, il leur écrit qu’ils vont avoir un mort sur la conscience, et qu’il va se mettre une balle dans la tête. C’est ce qu’il a fait”, témoigne Ophélie Cassi, qui a monté une association en mémoire de son frère.

La soeur de la victime va piéger à son tour le "brouteur"

Plusieurs mois après le drame, au printemps 2016, Ophélie veut savoir. Elle dispose d’un profil skype qui a pris contact avec son frère. Elle contacte donc les cyber harceleurs, bien que les gendarmes le lui aient déconseillé. Durant 15 jours, elle va échanger avec eux comme si de rien n’était. Elle devient proie à son tour, et découvre des hommes basés en Côte d’Ivoire. “Il fallait que je leur envoie de l’argent , ce que je n’ai pas fait. Mais cela m’a permis d’avoir des adresses, un numéro de téléphone, des noms pour établir un mandat Western Union”. Un homme de 37 ans est identifié par les enquêteurs, mais n’a jamais été entendu, ni interpellé en Côte d'Ivoire. Il sera jugé en son absence en France. Il devra répondre de tentative de chantage et d’homicide involontaire.

“J’attends que mon frère soit reconnu comme victime, et je veux alerter les personnes qui se font harceler, qu’on peut se défendre et que justice peut être faite” confie Ophélie Cassi qui n’a jamais cessé le combat. La douleur de la famille reste vive, cette dernière sera partie civile au procès. “C’est le combat de ma vie que mon frère soit reconnu victime de ces brouteurs, car il l’est. Ma famille est brisée, mes parents ne seront plus jamais comme avant. Mon frère ne connaîtra jamais mes enfants et ça fait mal” dit-elle toujours très émue. 

La famille d’Anthony Cassi est défendue par le cabinet de Me Delphine Meillet, avocate pénaliste au barreau de Paris, spécialiste du droit numérique et des affaires de cyberharcelement.

En France, l'auteur d'un harcèlement en ligne, s’il est majeur et que sa victime a plus de 15 ans risque deux ans de prison, et 30.000 € d'amende.

Relaxe finalement pour le "brouteur" jugé en son absence à Vesoul

Le tribunal correctionnel de Vesoul a prononcé en fin de matinée, la relaxe du suspect, dont l’identité ne peut être déterminée avec certitude, la justice de Côte d’Ivoire n’ayant pas coopéré sur ce dossier. Le ministère public et la présidente du tribunal ont reconnu néanmoins les qualifications d’homicide involontaire et de tentative de chantage sur Anthony Cassi. Un soulagement malgré tout pour la famille. "La douleur sera toujours la même malgré la décision, je ne voulais qu'une chose, qu'Anthony soit reconnu comme victime" a confié Elodie Cassi, une de des soeurs à l'issue de l'audience. 

La relaxe du supect met en exergue les difficultés de coopérer avec certains pays. "On a eu un début de coopération internationale qui a permis d'identifier une personne dans ce dossier. Néanmoins, on aurait pu entendre la personne, des investigations auraient pu être faites. Malheureusement, il y a a cette difficulté là, à coopérer avec certains pays, et cela pose problème dans ces dossiers là" a précisé Me Norman Delain, avocat de la famille.

Le tribunal ayant reconnu le chantage et l'homocide involontaire, la famille d'Anthony Cassi va faire les démarches pour être indemnisée par la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi). 

Attention aux arnaques à la nigériane ou à l’africaine

A la veille du procès, le procureur de la République de Haute-Saône Emmanuel Dupic a rappellé le danger que constituent ces faits de cyberharcèlement : “les conséquences sont terribles. Ces sont des atteintes à la réputation, qui peuvent conduire à un désarroi menant parfois à la mort, c'est ce qui s’est passé dans ce dossier. Ce jeune homme n’a pas supporté le chantage et a préféré mettre fin à ses jours.” Pour le parquet, cette criminalité est désormais bien présente dans nos vies. “On a devant nous, un nouveau fait de société, les atteintes numériques, les atteintes à la réputation.Il faut que chacun d’entre nous soit très vigilant sur ce que nous faisons sur internet.Il faut refuser systèmatiquement les cookies, prendre des postures pour se protéger avant que votre adresse ne soit piratée. Et puis bien sûr, il y a un message de vigilance. On ne répond pas à quelqu’un qu’on ne connaît pas, pour ne pas rentrer dans un mécanisme qui peut donner lieu à un chantage”a  rappellé le procureur de Haute-Saône.

Que faire si vous êtes victime de cyberharcèlement ? 

Si vous pensez être victime, ou que l’un de vos proches est harcelé via un réseau social, ou par mail, vous pouvez demander le retrait des contenus aux plateformes concernées. S’il y urgence, vous pouvez contacter le 17, le 112 ou 114 par sms.

La plateforme Pharos permet également de donner l’alerte et de signaler des contenus illicites, dont les tentatives d’abus et d’escroqueries. PHAROS est géré par des policiers et gendarmes spécialisés.

Tout ce qu’il faut savoir sur le cyberharcèlement

 

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