Explorateur polaire hors normes, voyageur de son siècle. Voilà 20 ans que l'homme aux yeux bleus nous a quitté. Une biographie écrite par sa fille Daphné, et l'écrivain Stéphane Dugast retrace le destin exceptionnel de Paul-Émile Victor, le Jurassien.
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Depuis le décès de son père, Daphné Victor gère le patrimoine littéraire et artistique de l’explorateur. Elle est présidente de l’association du Centre polaire Paul-Émile Victor, à Prémanon (Jura)
Daphné, quelle image gardez-vous de votre père explorateur et fondateur des Expéditions Polaires Françaises ?
Daphné Victor : Lui et ma mère ont divorcé quand j'étais très jeune, les conditions de visite étaient réglées comme du papier à musique, et surtout, mon père était constamment en voyage. Donc, j'en avais l'image d'un père douloureusement absent, mais à la fois d’un homme public au fort capital sympathie, dont tout le monde parlait !
A sa mort, il y a vingt ans, ce qu’on appelle le « devoir de mémoire » m’est littéralement tombé dessus ! Une sorte d'évidence : je devais faire en sorte que Paul-Émile Victor ne tombe pas dans l'oubli.
Et c'est ainsi que j’ai découvert peu à peu l'homme, les coulisses de sa vie et ce qui finalement se cachait derrière sa figure de « héros ». Assez vite, l'écriture de sa biographie s'est imposée. J’ai ainsi contacté tous les grands biographes… en vain. Mais je ne voulais pas l'écrire moi-même, je ne voulais pas tomber dans le côté « mon père, ce héros » ou « mon père, ce salaud »… Je voulais une vraie biographie, ni “autorisée“ ni officielle. D’où ma collaboration avec Stéphane Dugast.
Méthodique comme mon père, je me suis plongée dans les archives, les livres, les articles, les correspondances, pour en extraire la « sève ». Ce fut un travail colossal.
S’agit-il d’une biographie classique ?
Daphné Victor : Nous n'avons voulu ni paraphraser les écrits (parfois enjolivés) de Paul-Émile, ni énumérer chronologiquement tous ses faits et gestes. Nous voulions raconter sa vie, en expliquer les ressorts, et montrer surtout qu'il était un homme comme les autres. Avant tout, nous voulions comprendre comment le fils d’un fabricant de pipes, élevé dans le Jura, en vient à incarner presque à lui tout seul l’aventure polaire française, et à être immergé en haute mer avec les honneurs de la République. Il traverse le 20ème siècle, ses hauts et ses bas. Il a de grandes qualités et de gros défauts. Et c'est un personnage aux mille facettes. Ce n'est pas seulement un explorateur. Il a été, par exemple, un pionnier de l’écologie. Nicolas Hulot en est d’ailleurs l’un des fils spirituels. Notre biographie raconte tout ça. C'est une histoire, un récit, qui s’adresse autant aux spécialistes qu’au grand public. Car sa mémoire s’efface. Demandez aux moins de quarante ans qui est Paul-Émile Victor, vous serez surpris !
La fonte de la calotte glaciaire s’accélère. Est-ce que l’écologie est aujourd’hui une illusion, un mirage politique ?
Daphné Victor : Dès les années 1970, en pleine Trente Glorieuses et époque consumériste, mon père a créé le “Groupe Paul-Émile Victor pour la défense de l'homme et de son environnement“. Avec Jacques-Yves Cousteau, Alain Bombard, Haroun Tazieff et quelques autres, il a tiré la sonnette d’alarme auprès du grand public et des décideurs pendant presque dix ans, mais il a pratiquement prêché dans le désert. C'était trop tôt ! Pourtant il était parmi les premiers à s’intéresser à la défense de l’Homme et de la Nature - j’insiste sur la terminologie : l’Homme et la Nature, non pas contre mais avec. Je pense que l’écologie d’aujourd’hui s'est trop politisée, au point d'en devenir souvent sectaire et bornée. Or, à l’approche de la COP 21, on voit que les questions écologiques doivent transcender les appartenances politiques.
Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants
a écrit un jour Antoine de Saint Exupéry, ami de mon père. J’aime cette maxime. Je suis une citoyenne comme les autres, inquiète, préoccupée par la santé de la planète et celle des hommes, et agacée par mon impuissance. Mais j’œuvre à ma façon, au quotidien, avec des petits gestes. Pour moi l'écologie commence par un changement de mentalité et de comportement de chacun les uns vis-à-vis des autres.
Quels sujets mobiliseraient Paul-Émile Victor selon vous s’il était encore vivant ?
Daphné Victor : Oh ! Il y en aurait sûrement plus d'un ! Son destin, son parcours et les valeurs qu’il incarne sont intemporels. L’esprit d’équipe et d’aventure, le sens du partage, le sens de la responsabilité, personnelle et planétaire, l’intégrité, l’indépendance vis-à-vis des puissants, la curiosité, le sens de la transmission, l’écoute et le soutien aux générations futures, la fidélité… Autant de valeurs qui font écho dans notre société ultra-connectée mais passablement aveugle, sourde et individualiste.
Paul-Émile Victor, c’est un repère. C’est un marqueur de son temps
Paul-Emile Victor nous a quitté il y a vingt ans. Cousteau, Tazieff, Herzog ne sont plus là non plus… Où sont passés les explorateurs aujourd’hui ?
Stéphane Dugast : Il y a Jean-Louis Étienne, le voilier Tara, l’expédition polaire Under The Pole, Nicolas Vanier, Borg Ousland… pour ne citer que les explorateurs polaires. Non le monde de l’exploration est bien vivant ! L’esprit d’aventure perdure. Je suis secrétaire général de la Société des Explorateurs Français, créée en 1937 entre autres par Paul-Émile Victor Je peux vous dire que des aventuriers – hommes ou femmes – de la trempe des Victor, Tazieff ou Cousteau continuent d’œuvrer sur et sous la banquise, dans les airs, dans la jungle ou encore en mer. Le monde de l’aventure a juste changé. Mener des expéditions est même devenu une véritable entreprise nécessitant autant de qualités physiques, morales que des compétences en gestion, management et communication. L’argent est toujours le nerf de la guerre mais le contexte économique peu favorable, et surtout le paysage médiatique plus complexe rend plus compliqué la viabilité des expéditions. S'il n’y a plus sur terre de "terrae incognitae" à proprement parler, il existe dans le monde des Sciences notamment, des champs exploratoires nouveaux et porteurs.
Comment expliquer le côté visionnaire d’un Paul-Emile Victor qui a grandi dans le Haut-Jura ?
Stéphane Dugast : « J’ai toujours vécu demain… et même après demain » a écrit Paul-Émile Victor - pour être exact. Son leitmotiv illustre parfaitement ce qu’il était : un aventurier hors normes, un infatigable voyageur dans l’espace et dans le temps. Dans le livre, nous nous sommes amusés à représenter les voyages de PEV sur une mappemonde. Et bien, c’est digne d’une carte de grande compagnie aérienne !
Ethnographe et explorateur polaire, pionnier de l’écologie et personnalité médiatique, Paul-Émile Victor a incontestablement marqué son époque en ayant toujours un temps d’avance sur les autres. C’est la marque des grands hommes, ou du moins des grands destins.
Son destin à lui est assurément romanesque. Il naît en 1907, grandit dans le Jura, mais délaisse la fabrique familiale de pipes et stylos pour s’embarquer sur le trois-mâts du Commandant Charcot à destination du Groenland.
Il a 27 ans. C’est le début d’une carrière tout entière consacrée aux pôles. De l’Arctique à l’Antarctique, il sillonne le globe, vivant avec les Inuits, découvrant des terres inconnues, organisant des missions scientifiques extrêmes. Et à sa mort en 1995, il est immergé au large de Bora Bora, en Polynésie française, depuis le Dumont d'Urville, avec tous les honneurs de la République.
Vous êtes retourné dans les villages inuits de la côte orientale du Groenland où Victor a effectué deux expéditions majeures entre 1934 et 1937. Se souvient-on de l’homme là-bas ?
Stéphane Dugast : Notre expédition au Groenland a été un vrai voyage initiatique. Imaginez-vous accueillir dans un village jurassien deux étrangers - un reporter et le fils d’un explorateur célèbre dans son pays. Imaginez-vous voir ces étrangers brandir sous votre nez des clichés en noir et blanc et des livres de cet explorateur, dont vous ne soupçonniez même pas l’existence. Imaginez-vous entendre ces deux étrangers vous décrire le quotidien de vos aïeux sept décennies auparavant… L’accueil au Groenland a été - comment dire… d’abord réservé. L'enquête s'avérait corsée. Heureusement, grâce à Max, un marseillais exilé au Groenland, et Tobias, notre guide inuit, ainsi qu’à une préparation importante, nous avons pu mener l’enquête, et ainsi rencontrer Anni, la doyenne du village de Tiniteqiilaq, la seule habitante de cette région à avoir rencontré celui que ses amis inuits appelaient alors « Wittou ». Les traces laissées par PEV sont donc minimes. Il faut dire que les livres de Paul-Émile, ses films et ses travaux ethnologiques n’ont été que rarement montrés aux Groenlandais.
À quoi ressemblent ces villages aujourd’hui ? Souffrent-ils du réchauffement climatique ?
Stéphane Dugast : Les villages se sont bien évidemment modernisés. Le progrès a d’ailleurs fait une brutale irruption dans la société inuit, et ce depuis l’occupation américaine lors de la Seconde guerre mondiale. Peuple semi-nomade de pêcheurs et chasseurs, les Inuits se sont aujourd’hui sédentarisés. Ces progrès ont amené des bienfaits mais bien évidemment des méfaits, comme le chômage ou l’alcoolisme. À l’instar des tribus indiennes nord-américaines, il est facile de filmer ou de photographier ces excès, d’autant plus que les villages sont de taille modeste et que les gens vivent encore beaucoup à l’extérieur, malgré le climat.
Ce qui nous avait déjà frappés durant ce voyage initiatique qui s’est déroulé il y a bientôt dix ans, c’est que les Inuits sont en première ligne de ce qu’on qualifiait alors de « dérèglements climatiques ». La banquise ne se formait plus l’hiver, les Inuits délaissaient donc le traîneau et les chiens pour leurs déplacements. Les glaciers reculaient dans des proportions alarmantes… Nous étions, nous Occidentaux et Français, effarés par ces changements. Pas Tobias, notre guide inuit, ni les habitants.
Pour eux, les conditions climatiques sont devenus moins rudes, et surtout laissent augurer d’une exploitation de leurs ressources fossiles jugées importantes, qui dorment sous les glaces.
« Et pourquoi, nous ne pourrions pas exploiter ces ressources ? Au nom de quoi ? Vous, les occidentaux qui nous avez occupé et même cause la disparition de la banquise ? », s’est même emporté un jour Tobias, noter guide. J’avoue être resté muet. Mais force est de constater que les dérèglements climatiques se sont accentués, et les appétits pour le pétrole ou les minerais se sont aiguisés en Arctique. La région est en surchauffe !
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