PORTRAIT. Laurence, agricultrice et monitrice de ski, ou la "tornade rouge" du Haut-Jura

Laurence est une personne hors du commun. Elle est agricultrice, mais pas que. Nous l'avons rencontrée dans le Jura, à Lamoura, au cours d'une journée extrêmement chargée, comme elle en connaît de nombreuses. Récit.

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Il est 7h25 quand je gare ma voiture devant une grande ferme aux volets verts, plantée au milieu d'un beau paysage tout blanc. Après une petite demi-heure de route sur 10 cm de fraîche, j'arrive chez Laurence et Pascal Gindre-Moyse. Le couple vit dans le Haut-Jura, tout près du petit village de Lamoura. Ici, il peut neiger dès le mois de novembre et jusqu'à la fin mars. Le temps d'enfiler des chaussures de circonstance, j'entends une petite voix m'interpeller : "C'est par ici !". Je lève la tête et aperçois Laurence, en vêtements de travail, lunettes de protection et botte-cul vissé au derrière. Ce petit bout de femme me fait signe de la suivre, d'un pas rapide. Elle est en plein travail.

Je m'exécute et découvre l'étable entravée dans laquelle elle et son mari s'affairent depuis 5h30. À l'intérieur, 15 vaches laitières, Montbéliardes ou Simmentals, 12 veaux et un nouveau-né, baptisé "Saturne" sont installés. Laurence, 56 ans, est agricultrice et productrice de lait AOC à Comté et Bleu de Gex. Chaque jour, ses protégées produisent 180 litres de lait.

Pascal, son mari, est entrepreneur forestier mais lui donne un coup de main matin et soir. Tout en trayant les vaches, elle m'explique en quoi consiste son métier. Son premier métier. "Nous on utilise une pipeline. Le lait va dans le lactoduc, le tuyau qui permet de transporter le lait. Il est réfrigéré à 12 degrés jusqu'à ce que le camion vienne le chercher, en pleine nuit" détaille l'agricultrice qui n'arrête pas une seule seconde et se faufile entre les vaches avec une aisance déconcertante.

Cette petite ferme ancienne, l'une des dernières véritablement dans son jus, appartenait aux grands-parents puis aux parents de Laurence. Au rythme des cliquetis de la machine à traire, la quinquagénaire aux yeux rieurs poursuit : "Je fais ça depuis 1991. Je n'ai pas fait d'études agricoles, j'ai appris sur le tas. Mon père est mort assez jeune. Ma mère allait être en retraite. Soit on arrêtait tout... Et moi j'ai dit 'Allez, je tente le coup !'" Depuis, Laurence n'arrête pas une minute, sauf peut-être lorsqu'elle dort. Ses journées débutent à 5h30 et se terminent vers 20h30, "si tout va bien".

Le matin, Laurence est agricultrice jusqu'aux environs de 9h. "Il suffit qu'il y ait un problème à la ferme, et toute la journée devient compliquée car le programme est très précis" confirme Pascal, tout en donnant à manger aux veaux. Il appelle sa femme "la tornade rouge". Tornade je vois bien... Mais pourquoi rouge ? Non pas parce que sa cotte, vêtement qu'elle met pour s'occuper des vaches est de cette couleur. Non. C'est à cause de sa deuxième tenue professionnelle : la combinaison de l'École de ski française de Lamoura.

Après avoir fini de traire les vaches, nettoyé la machine à lait et vérifié qu'aucune pensionnaire ne manquait de foin, Laurence pose sa fourche et file en direction de sa voiture. Elle empoigne une raclette et commence à la déneiger, tout en répondant à mes questions incessantes.

Elle m'invite à l'accompagner durant son petit déjeuner. Elle met de l'eau à chauffer et se volatilise. Quelques minutes plus tard, elle réaparait dans la pièce à vivre, véritablement métamorphosée. Laurence l'agricultrice n'est plus. Je fais désormais connaissance avec la monitrice de ski de fond, passionnée de sport et ancienne championne. Le ski et elle, c'est une vieille histoire et son difficile métier d'agricultrice n'y change rien.

"J'allais à l'école à ski quand j'étais petite et comme il n'y avait pas de cantine, alors on revenait le midi. J'ai commencé par le ski alpin et ensuite je suis allée au collège en sport études aux Rousses. Je me suis cassée le bras et le coude, alors je me suis mise au ski de fond. J'ai passé mon diplôme de monitrice de ski de fond et d'accompagnatrice en moyenne montagne" énumère-t-elle, modestement, entre un bol de flocons d'avoine et deux tartines de confiture.

Je ne bois pas de café, parce qu'on est déjà tendus alors... Février, c'est le moment le plus chargé de l'année.

Laurence, agricultrice et monitrice de ski

Le multi-activités, une tradition jurassienne

Son père aussi était pluriactif. Il vendait et réparait des tronçonneuses en plus d'entretenir la petite ferme à côté. Elle m'explique : "À l'origine, dans le Haut-Jura, tous les agriculteurs étaient multi-activités. Au départ, ils faisaient du lapidaire (ndlr, technique qui consiste à façonner et à tailler des pierres précieuses), et vendaient en Suisse par exemple. Après, avec le tourisme, ils sont devenus dameurs, perchmans, ou moniteurs de ski."

Laurence me raconte alors les années 90, à l'époque où elle faisait partie d'une équipe de ski professionnelle, cette même équipe dans laquelle elle a rencontré son mari. "On est allés courir en Australie, on a fait les Etats-Unis, Finlande, Norvège, Italie, Allemagne, Autriche... On prenait un gars qu'on connaissait pour garder la ferme en attendant. On a voyagé pendant qu'on a pu" se remémore la quinquagénaire, mère de deux grands enfants de 21 et 23 ans.

Le sport, c'est depuis toujours un échappatoire pour la Jurassienne. Elle a participé à une vingtaine de Transjurassienne, la célèbre course de ski de fond franc-comtoise. Elle a même terminé à le deuxième place à deux reprises. Une belle prouesse quand on connaît les difficultés que représente cette épreuve, la seule à être inscrite au calendrier de la Worldloppet, circuit mondial des courses de ski de fond de longue distance.

On n'a pas la télé. De toute façon, on n'a pas le temps de la regarder.

Laurence, agricultrice et monitrice de ski

"J'ai arrêté pour mes deux grossesses mais sinon j'ai repris tout de suite après. Je fais aussi de la course à pied, j'essaie de courir une à deux fois par semaine. A chaque fois, 1h à 1h30. Je m'étais fait mal au dos, pendant une semaine, je ne suis pas allée au ski. Non, je sais m'arrêter quand même aussi. J'en vois qui sont blessés qui ne s'arrêtent pas. Moi si je suis blessée, je m'arrête" admet Laurence, sourire en coin.

On bavarde mais l'heure tourne. Il est déjà 9h17 et le cours de ski débute à 9h30. Laurence saute dans sa voiture et prend la route en direction de la Combe du Lac, au Massif de la Serra. Baptiste, Raphaël et Arthur, trois petits skieurs de 5 et 6 ans l'attendent pour une heure et demi de ski de fond.

Laurence est comme un poisson dans l'eau sur des skis, et je constate très vite qu'elle prend un vrai plaisir à transmettre son savoir aux jeunes générations. "Avec les enfants de cet âge là, on fait un peu la maman mais on s'amuse comme des petits fous" s'exclame-t-elle, en dévalant une pente non damée pour apprendre aux petits à garder l'équilibre en descente.

À 11h, la journée de Laurence est loin d'être finie. Elle enchaîne un cours avec un autre groupe et ne laisse apparaître aucun signe de fatigue. L'après-midi pourra peut-être être plus calme, à moins qu'on ne la contacte pour une balade en raquettes, ce qui arrive régulièrement, notamment pendant les vacances de février.

Quoi qu'il en soit, l'agricultrice monitrice de ski n'en a pas terminé. "À 17h, je dois courir aux vaches pour m'en occuper, jusqu'à environ 20h30" détaille-t-elle, me laissant quelque peu pantoise.

Comment fait-elle pour allier deux activités professionnelles aussi physiques au sein d'une même journée ? "Ça permet de ne pas s'ennuyer d'avoir deux métiers. C'est une soupape. Il n'y a pas de monotonie" précise Pascal, son mari, tout en confiant sourire aux lèvres : "Elle y arrive parce qu'elle est solide."

 

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