Il fut président du Conseil, député, sénateur, dix fois ministre... Et maire de Port-Lesney. Edgar Faure s'était établi dans cette petite commune du Jura, dans une demeure rachetée il y a cinq ans. Son actuel propriétaire nous ouvre les portes.
Faut-il être un passionné de politique pour vivre ici, dans l'ancienne demeure d'Edgar Faure ? En arrivant à Port-Lesney il y a cinq ans, dans le Jura, le nouveau propriétaire des lieux, Guy Mercier, n'a rien changé ou presque à cette maison de vigneron. Et surtout pas les fauteuils rouges, où plane encore l'ombre de ceux qui les ont occupés : «De nombreux personnages de la Vème République, des auteurs, des artistes, s'y sont assis», glisse-t-il avec malice.
Dans la cave, Guy Mercier donne à voir quelques objets surprenants. Ici, une boîte à pipe ; là, un téléphone. «S'il pouvait restituer sa mémoire, je pense qu'il y aurait des conversations intéressantes !»
Certains diront que Guy Mercier, par un drôle de mimétisme, ressemble un peu à Edgar. Lunettes carrées, pipe ronde ; l'ancienne grande figure de la politique française a toujours son portrait, encadré sur un mur.
Edgar Faure, ce fut dix portefeuilles ministériels : Education, Agriculture, Affaires étrangères, et tant d'autres. Sous de Gaulle, et sous Pompidou. Il fut aussi président de l'Assemblée nationale, égal des plus puissants ; comme ici, aux côtés d'Eisenhower.
A Port-Lesney, au bord de la Loue, il fut maire pendant presque trente ans. C'est là que l'homme d'Etat venait se ressourcer, loin des ors de la République.
L'ancien vice-président du conseil régional Jean Rosselot l'a bien connu : il a travaillé de nombreuses années près de lui, comme assistant parlementaire. Alors jeune universitaire, il devait rédiger les discours, les rapports du chef. Le bouillonnant Edgar Faure dormait peu, ce n'est pas une légende : «Je venais la nuit, je repartais la nuit, premièrement ! Deuxièmement, je venais en stress, et je repartais en stress», s'amuse-t-il aujourd'hui.
Ce n'est pas moi qui change, c'est le vent qui tourne
Sur le toit de la maison, on cherche en vain la girouette qui pour certains caractérisait Edgar Faure. «Ce n'est pas moi qui change, disait-il, c'est le vent qui tourne». Une verve, un sens des mots, enrichis de cette diction si caractéristique. A une question de Jacques Chancel, qui lui demandait de désigner les trois meilleurs orateurs de France, Edgar Faure répondait : «Je cherche les deux autres !»
Mitterand avait sa maison de Latche, dans les Landes ; de Gaulle, la Boisserie. Qu'aurait-on dit de Port-Lesney si Edgar Faure avait été élu Président de la République ? Voilà le seul poste peut-être qui lui ait échappé.