Il y a presqu'une année, plusieurs femmes avec enfants étaient accueillies par la commune d'Arbois dans le Jura. Nous les avions rencontrées alors qu'elles espéraient encore un retour prochain au pays. Aujourd'hui, alors que le conflit s'enlise, elles livrent leurs sentiments, entre soulagement d'être en sécurité en France, quête des nouvelles du pays et inquiétude pour leurs proches.
Julia Kavitska est arrivée à Arbois au printemps 2022 avec son petit garçon Sacha, alors âgé de deux ans. C'est parce que sa belle-maman Tanya Kavitska avait des connaissances par son mari à Pupillin que la famille est arrivée dans le Jura. Julia et Sacha sont hébergés depuis lors chez un couple de commerçants, Jocelyne et Jean-Luc Aviet, qui ont prêté sans hésiter un appartement au-dessus de leur propre logement, renonçant à le mettre en location pour une durée indéterminée. Ils sont toujours, un an après, bienveillants et aux petits soins pour la mère et le petit garçon qui apprend doucement le français. Sa maman aussi, car elle envisage désormais de travailler sur place, si son fils est scolarisé. Son mari resté au pays, est mobilisé dans les services de reconstruction. Il n'est pas parti sur le front comme elle le craignait fortement.
"Un an s'est écoulé depuis la guerre dans mon pays, raconte Julia Kavitska aujourd'hui. Chagrin d'amour et foi dans les troupes ukrainiennes ! Je veux que cette folie s'arrête ! Pour que toutes les familles soient ensemble ! Je veux que la paix vienne, et nous vivons cette vie insouciante, comme avant, sans savoir ce qu'est la guerre. Je suis reconnaissante à la France pour son aide et à tout le monde pour sa gentillesse !"
► Revoir notre magazine 18h30 consacré à l'accueil des réfugiés ukrainiens par la commune d'Arbois. A la rencontre des familles, des hôtes jurassiens, de la directrice de l'école primaire et des adjointes au maire en charge de ces questions.
Tanya Kavitska, violoniste professionnelle, a repris son instrument et collabore avec l'orchestre de Pontarlier. Elle tremble toujours pour ses deux fils restés au pays. Elle n'arrive pas à chanter l'hymne ukrainien sans pleurer, alors elle le joue au violon, comme dans cette vidéo ci-dessous devant les Jurassiens.
Un travail et un logement pour vivre
Uliya Halmuieva, elle, est hébergée avec sa fille Vasylisa et six autres membres de sa famille dans le foyer des Fougères, appartenant à la ville d'Arbois. Elle travaille toujours dans un restaurant du centre-ville, et son employeur en est content. Mère et fille découvrent la région dès que possible et ne peuvent pas imaginer de retour en Ukraine pour l'instant.
Par message, Uliya nous écrit : " Maintenant je suis calme, la vie est un peu mieux. Ma fille joue au foot et elle aime ça. Je suis contente qu'elle fasse du sport, l'école aussi la rend heureuse."
Un retour au pays pour certaines femmes
Natalia Fedorko, elle, a passé plusieurs mois à Arbois, séparée de son mari, parti au front. Elle était hébergée chez des particuliers. Administratrice au musée des sciences et Technologies de Kiev, elle était menacée de perdre son emploi au bout d'un an d'absence. Elle s'est décidée à rentrer au pays. Elle témoigne de ce retour finalement moins angoissant qu'elle ne l'aurait cru.
"Je m'appelle Natalia, je suis Ukrainienne et je viens de Kiev. Ma vie était divisée en deux moitiés : avant la guerre et après...Après le premier jour de la guerre, c'est devenu très effrayant. J'ai peur pour ma vie, pour la vie de ma fille. Et pour un avenir qui ne sera peut-être pas...Le 24 février [2022], mon mari est parti à la guerre le matin pour nous défendre, nous et sa terre. La prise de conscience que l'ancienne vie était terminée, et comme elle ne le serait jamais auparavant, n'a pas donné de repos à l'âme.
Il a été décidé de partir pour une courte période dans une autre ville, car à Kiev, des roquettes frappaient déjà des immeubles résidentiels, des gens mouraient et des chars ennemis roulaient déjà dans les rues. Ce fut un choc.. Le choc qui a paralysé toute conscience ..Un mois après l'invasion russe à grande échelle, lorsque des roquettes et des bombes ont commencé à atteindre Lvov, j'ai réalisé qu'il n'y avait aucun endroit sûr en Ukraine.
Ce fut un mois psychologiquement difficile, le cerveau refusait de croire qu'une guerre aussi terrible puisse commencer au 21ème siècle.. Qu'ils vont juste tuer des gens, détruire des maisons, piller et violer .. c'est l'horreur.
Je peux dire que je n'ai pas vécu ce mois-ci. C'étaient des sortes de réflexes. J'ai juste attendu, lu les nouvelles pendant des jours. C'était peut-être une sorte de terrible malentendu, et tout serait bientôt fini. Mais les alertes de raid aérien sont devenues de plus en plus fréquentes, et les missiles ont volé plus souvent. Ma conscience se cachait dans le coin le plus éloigné de mon âme, c'était comme un petit animal très effrayé.
Arbois m'a sauvée. Plus précisément, les personnes qui sont venues à mon aide. J'étais entourée d'une telle chaleur, d'une telle attention que j'ai peu à peu repris vie.
Natalia Fedorko, habitante de Kiev
Les personnes qui m'ont ramenée à la vie sont les personnes les plus incroyables et les plus merveilleuses que je connaisse ! Arbois est à jamais dans mon cœur ! Je reviendrai toujours vers ces personnes avec tendresse et gratitude.
Mais ma maison est l'Ukraine ! Maintenant je suis chez moi et je dis que je vis ! Kiev reprend progressivement vie, s'adaptant aux conditions de la guerre. Ma ville a survécu à la période la plus difficile, comme j'ai survécu, grâce à Arbois !
P.S. je suis retournée à mon travail préféré, au musée, mon mari a parfois des vacances, il rentre à la maison, ma fille étudie à distance. Nous attendons notre victoire ! Donc presque tous les jours ! Mais je dirais franchement, quand vous êtes en Ukraine, ce n'est pas aussi effrayant qu'ailleurs, et que vous lisez les informations, nous sommes déjà habitués à ces alarmes aériennes, et nous continuons à vivre !"
"Le retour de Natalia et son message de vie entre deux alertes à la bombe, nous ont un peu déroutés, confie Cathy Bugada, adjointe au maire d'Arbois à la participation, citoyenneté et aux associations, qui suit chacun des réfugiés dans la commune. Mais nous sommes contents d'avoir de ses nouvelles. Globalement l'accueil des familles dans la ville comme des enfants à l'école se poursuit bien. Et nous continuons de leur apporter tout notre soutien possible."
A la demande des familles ukrainiennes, un temps de commémoration de cette première année de guerre sera organisé vendredi 24 février à Arbois, sur la Place de la Liberté à 18h.