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VIDEO. "Pierre Bérégovoy, une tragédie française" : les 30 ans d'une disparition qui a bouleversé la classe politique

Le 1er mai 1993, l’ancien premier ministre socialiste Pierre Bérégovoy se suicide. À l’occasion des commémorations des 30 ans de sa disparition, retour sur ce fait divers devenu fait historique en France.

Quelles que soient les affinités politiques, les Français se trouvent dépourvus face à l’annonce du décès de Pierre Bérégovoy le 1ᵉʳ mai 1993. Celui qui a dirigé le gouvernement jusqu’au 29 mars 1993 se donne la mort à Nevers, la ville dont il est maire depuis 10 ans. À 67 ans, sa vie s’achève, après avoir payé le prix d’une violence politique et d’un lynchage médiatique hors de contrôle. Sa mort est aujourd’hui en partie reléguée à un imaginaire collectif à base de complots, de secrets et de conspiration. Mais ce serait oublier sa personnalité complexe, minée par la dépression : 392 jours après être devenu le pensionnaire de Matignon, il se tirera une balle dans la tête. Le documentaire " Pierre Bérégovoy, une tragédie française" réalisé par Antoine Gaugoy revient sur le parcours de cet homme d’état, de son ascension à sa descente aux enfers.

Parcours d’un ouvrier devenu premier ministre

Pierre Bérégovoy nait d’une mère normande et d’un père d’origine ukrainienne. Une enfance heureuse, mais modeste : " Mon père a été ouvrier, et ensuite il a été petit commerçant avec ma mère dans une banlieue ouvrière. Et là, j'avais pu côtoyer à l’âge de 6, 7 ou 8 ans la misère, l’insécurité du chômeur, l’insécurité des fins de mois, et je me disais qu’il n’était pas juste qu’il y ait dans une société certains qui aient tout, et d’autres qui n’aient rien."

Une vie d’engagement marquée par son entrée dans la résistance comme agent de liaison, mais également par un attachement fort au service public, qui transparait lorsque l’on s’attarde sur son parcours professionnel avant de devenir un élu de la république. François Mitterrand remarque cet homme modeste. Les archives le soulignent, celui que l’on surnommait affectueusement "Béré" ne s’est pas engagé pour faire carrière en politique, mais bien pour faire avancer la justice et améliorer la société. 

Fort d’un ancrage de gauche et socialiste, il devient secrétaire général de l’Élysée en 1981. Contrairement aux autres ministres, il n’a pas fait l’ENA, mais assure son poste à responsabilité avec énormément de bon sens, d'expérience de la vie politique et d'abnégation.

Il est resté le grand ministre de l’Économie et des finances finalement de la période mitterrandienne. Il est devenu véritablement un grand technicien de la chose financière.

Jean Garrigues, historien et spécialiste de la Ve république

Pour ce membre discret du gouvernement, il faut un ancrage local. Ce sera donc Nevers. Il devient un maire réputé sympathique et accessible en 1983, malgré ses obligations à Paris. Il occupe successivement le poste de Ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, ainsi que de l'Économie, des Finances et du Budget à deux reprises. Mais il a les yeux sur Matignon.

Le fidèle lieutenant de François Mitterrand prend son mal en patience, mais Matignon lui échappe à plusieurs reprises. Il succède à Édith Cresson le 2 avril 1992. À 66 ans, il est nommé premier ministre de la France et a 11 mois pour faire baisser le chômage, assainir les dépenses publiques et sauver la gauche d’un désastre électoral annoncé. Il se suicidera 392 jours plus tard.

Onze mois pour redresser le pays

Son discours de politique générale du 8 avril 1992 à l’Assemblée Nationale marque les esprits. Il fait de la corruption son cheval de bataille, avec en ligne de mire les élus de la droite.

J’entends vider l’abcès de la corruption. J’ai demandé au garde des sceaux de pousser les feux de la justice et du châtiment pour les coupables. Je souhaite que cet assainissement soit conduit par la justice avec célérité et sévérité.

Pierre Bérégovoy, premier ministre

Discours de politique générale à l'Assemblée Nationale

L’opposition crie au scandale lorsqu’il indique être en possession d’une liste d’élus corrompus. Le contenu de celle-ci ne sera jamais dévoilé, mais le piège se referme sur lui-même.

Du côté de l’opinion publique, le temps est encore à la lune de miel. Les magazines le présentent comme un patriarche d'une sympathique famille, qui ouvre ses portes pour montrer les moments de lecture au salon avec sa femme, les journées d’été avec les petits enfants, ou pour partager un apéritif dans son salon. Pierre Bérégovoy est un homme simple dans sa manière de se conduire, et obtient l’approbation des Français.

Un homme autant apprécié que décrié par la suite. Le journaliste Christophe Barbier explique : " Il y a un accueil sympathique pour Pierre Bérégovoy, pour la personne de Pierre Bérégovoy, mais le socialisme est à bout de souffle, le mitterrandisme est à son crépuscule, et Bérégovoy ne va pas échapper à l’impopularité. Les gens considèrent qu’il est très sympathique, de bonne volonté, mais qu’il échouera."

Un pays qui s’embrase

Le climat social se gâte. La nouvelle politique agricole commune de l’Union européenne inflige une baisse des prix à neuf millions d’agriculteurs européens. En France, l’annonce fait l’effet d’un séisme, et les manifestations organisées tournent à la démonstration de force. Des cohortes de tracteurs déferlent sur les routes, le gouvernement et les syndicats sont dans une impasse. L’opposition déclenche une motion de censure à l’Assemblée Nationale qui manque de faire tomber le gouvernement à 3 voix. La série noire se poursuit. Les chauffeurs routiers paralysent les routes et les départs en vacances de l’été 92, vents debout contre l’instauration du permis à point. C’est ensuite au tour des dockers furieux de voir leur statut changer de bloquer les ports. Des cortèges aux slogans hostiles défilent et le gouvernement est en chute libre dans les sondages.

Le dénouement d’une tragédie

Le Canard enchaîné révèle en février 1993 le prêt d’un million de francs sans intérêts contracté par Pierre Bérégovoy auprès de Roger-Patrice Pelat en 1986. Le ministère de la Justice se prononce et indique qu'il ne comporte pas de caractère frauduleux, mais dans l’opinion publique le mal est fait. Cette affaire va prendre une résonance folle, alimentée par les justifications incessantes du premier ministre alors figure de l'anticorruption. Il parcourt 22 000 km en plusieurs semaines, répondant aux attaques coup pour coup.

La fatigue aidant, les nerfs lâchent un peu parfois, et face aux caméras. À un manifestant qui l’invective d’un " Y en a marre de vous écouter", il rétorque : " Dans ce cas-là, votez pour la droite." La déroute de Bérégovoy lors de cette campagne pour défendre le parti à la rose qu’on annonce perdue d’avance est flagrante. Les résultats du premier tour sont sans appel : les élections sont déjà perdues.

Pierre Bérégovoy présente sa démission le 29 mars 1993, Edouard Balladur lui succède. La droite a opéré un véritable raz de marée dans les urnes, face à une gauche discréditée par les affaires. Et c’est l’ancien Premier ministre que l’on juge responsable de cet échec. Lors de son discours de politique générale, Edouard Balladur présente ce qui ressemble fortement à un réquisitoire contre le gouvernement sortant.

J’étais à côté de Pierre à l’Assemblée, et il s’est tourné vers moi en disant « A-t-on à ce point échoué ?" Et son visage était un visage de désespoir, de tristesse.

Jack Lang, Ministre d'État, de l'Éducation nationale et de la Culture dans le gouvernement Bérégovoy

Dans les couloirs de l’Assemblée Nationale à laquelle il siège en tant que député élu dans la première circonscription de la Nièvre, ses collègues dépeignent un abattement et une détresse qui l’empoisonnait. Jean Glavany, ancien secrétaire d’état à l’enseignement technique dans le gouvernement Bérégovoy se souvient : " Ceux qui comme moi, ses proches, l’avons accompagné dans ses dernières semaines, je le voyais tous les jours, et on a vu qu’il partait dans un tunnel où personne ne pouvait aller le rechercher." Au-delà d’une défaite politique, il a également vécu l’abandon de ses pairs, " les socialistes n’ont pas été à la hauteur" selon Jack Lang.

Pierre Bérégovoy disparait le 1er mai 1993 à Nevers. Le pays est stupéfait par le suicide d'un homme encore Premier ministre un mois plus tôt. Les hommages pleuvent du côté du monde politique, mais également de la part de la société civile. Ses obsèques sont retransmises en direct à la télévision. À la question " qui a tué Pierre Bérégovoy ?", l’hommage poignant de François Mitterrand semble pointer du doigt les journalistes d'investigation, mais également l'opposition. 

Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d’entre nous.

François Mitterrand, ancien président de la République française

François Mitterand souligne l'injustice et les manières employées pour discréditer Pierre Bérégovoy. Il émet l'espoir de donner un autre sens à la vie politique et de continuer à s'affronter, tout en se respectant. Il y a 30 ans, on aurait pu penser que ce suicide était un avertissement sur les dérives de la classe politique et des médias. En 2023, la violence verbale et gestuelle n'a pas disparu du paysage politique, au contraire. Elle a été décuplée par les réseaux sociaux et est encore bien présente dans l'hémicycle. 

"Pierre Bérégovoy, une tragédie française", un film d'Antoine Gaugoy
Une coproduction France Télévisions / Media TV / Crescendo Media Films

⇒ À voir dès à présent sur la plate-forme france.tv

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