Le village d’Etobon (Haute-Saône) a subi les foudres de l'armée allemande en déroute comme à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) ou à Tulle (Corrèze) quelques mois auparavant. Un sixième de sa population a été décimé en quelques heures. C’était il y a 77 ans, le 27 septembre 1944.
Chaque année, lorsque le soleil d’automne caresse les champs moissonnés autour du village rural d’Etobon en Haute-Saône, le cœur de Marianne Stewart-Perret se serre : le 27 septembre 1944, la sémillante vieille dame a perdu deux frères, fusillés par les nazis à moins de deux mois de la libération du village.
Au total, 39 hommes, âgés de 17 à 58 ans, ont été fusillés par les soldats de la Wehrmacht, qui entendaient se venger des attaques des Forces françaises de l'intérieur (FFI), dans les maquis alentours. Trois autres ont été exécutés un peu plus tard, et sept hommes sont morts en déportation. "Jusque-là, nous avions des relations assez correctes avec les Allemands", raconte Philippe Perret, 83 ans, qui a perdu son père, Jacques, fusillé à l'âge de 33 ans. Alors, lorsque le matin du 27 septembre 1944, le tambour passe dans les ruelles pour annoncer à tous les hommes valides de 16 à 60 ans qu'ils doivent se rassembler à la mairie, au prétexte de creuser des tranchées, la plupart ne se méfient pas.
Un sixième des habitants d'Etobon décimé
Philippe a 6 ans lorsque son père est fusillé par les Allemands. "Je vois mon papa de dos, il s'est retourné et a dit "Philippe, sois sage". Je ne l'ai jamais revu". "Les Allemands avaient déjà réquisitionné des hommes pour faire des travaux. Ils y sont allés sans se méfier", abonde Marianne Stewart Perret, qui avait 12 ans en 1944.
Ses deux frères aînés, Georges, 17 ans, "le manuel", et Jean, 20 ans, "l'intellectuel", se sont rendus eux aussi à la mairie. Mais pour tous ces hommes, point de travaux de terrassement. Emmenés dans le village de Chenebier à deux kilomètres de là, ils sont interrogés, puis 39 d'entre eux sont exécutés contre le temple protestant. Les derniers se tiennent debout, chantant la Marseillaise face à la mitraillette, rapportent les quelques témoins qui assistent au drame depuis leurs fenêtres.
Les dépouilles sont ensuite déposées dans une fosse commune, dont elles ne seront extraites qu'en décembre 1944. "Une habitante a lavé tous les visages de ces jeunes pour pouvoir les reconnaître", se souvient Marianne Perret.
La mort d’un officier allemand, début de la riposte
Automne 1944, les troupes des libérateurs sont à quelques kilomètres d’Etobon et les combats s'intensifient dans les forêts. Tout le village aide à faire passer en Suisse des soldats du contingent anglais des Indes, qui ont réussi à s'enfuir d'un stalag proche.
Et puis, "il y a eu des erreurs des FFI", soupire Marianne. Avec la mort d'un officier allemand, tué par des maquisards courant septembre, dont le corps doit être caché par Jules Perret, le grand-père de Philippe. "Évidemment, c'est la guerre. Nous chassons ou supprimons nos persécuteurs, mais le risque affreux couru par les villages n'est-il pas à considérer?", s'inquiétait Jules dans son journal, deux semaines avant la tragédie qui lui ôta un fils.
"Il y avait des jeunes qui aimaient bien tirer de la gâchette (...) C'est bête, la guerre", soupire Philippe Perret.
Malgré le massacre de 1944, Etobon tente de se relever
Peu à peu, le village a recommencé à vivre. Mais les jeunes femmes fiancées à des fusillés ne se sont jamais mariées. "Quel gâchis", regrette Marianne. Elle est partie, a eu des enfants puis elle est revenue vivre dans son village natal il y a quelques années seulement avec son mari.
Philippe, à l'inverse, est toujours resté à Etobon et réside toujours dans la maison familiale. Son fils trouve qu'il parle trop de la guerre. "Cela revient, on n'y peut rien, surtout au moment du 27 septembre", dit-il dans sa cuisine où sont affichés un portrait de Simone Veil et une photo de Barack Obama.
Dans ce village protestant, la religion a aidé. "Tous les soirs, mes grands-parents lisaient le psaume 23. C'est la foi qui nous a soutenus". Philippe a retrouvé, un jour, le casque de l'officier allemand dont la dépouille a été envoyée en Allemagne. Le casque est reparti dans la famille de l'officier. En apprenant le sort d'Etobon, celle-ci a envoyé un don au village, pour la réfection du mémorial.