Andrée et Gérard collectionnent des pièces artistiques depuis 22 ans. Sans héritier, ils veulent en faire profiter le plus grand nombre. Ils ont fait don de leur collection à la ville d’Audincourt. Amateur d’art, Martial Bourquin, maire de la commune, a décidé de mettre en valeur l’ensemble des œuvres dans l’ancien château Peugeot.
Voici leur histoire, même si vous ne verrez pas leurs visages pour des raisons de sécurité et confidentialité. Le rendez-vous est fixé un matin frais de janvier à leur domicile. Un pavillon dans un village reculé du Territoire de Belfort. Je sais que je rentre dans le lieu de vie de collectionneurs d’art. Une collection importante à priori mais sans le déplacement je n’aurais jamais imaginé une telle profusion. L’art a englouti la maison. Dans chaque recoin, sur chaque mur, de la salle de bain à la cuisine, l’amour de l’art s’est répandu. Les occupants, Andrée et Gérard, un couple de retraité, vivent dans un musée. Un musée habité qui leur procure beaucoup de bonheur. Aucune spéculation dans leurs achats, juste la joie que leur procure chaque œuvre. Mais alors pourquoi veulent-ils s’en séparer ? Pour tenter de le comprendre, il faut revenir au début de l'histoire.
L’art dans la peau
La passion pour l’art a commencé tôt pour Andrée. En maternelle, alors que les bibliothèques ouvraient à Belfort, elle avait surpris la bibliothécaire en lui demandant qui était Odilon Redon, peintre du début du XXe siècle. Elle avait alors cinq ans. Elle est repartie ce jour-là avec son livre sur le peintre sous le coude.
J’ai toujours aimé les musées. Je m’invente mes histoires dans les tableaux. Ils existent.
Andrée, collectionneuse d'oeuvres d'art
124 peintures, 99 sculptures et 23 dessins, gravures ou lithographies
Pour Gérard, c’est venu plus tard. Il ne sait comment à 50 ans, d’un coup, l’art est devenu comme une évidence. Il avait tout de même des prédispositions. Jeune, il a conçu une table avant-gardiste, il a aussi fait les plans de sa maison en 1970 avec de grandes baies vitrées alors que la mode était aux petites fenêtres. Mais à 50 ans tout a basculé. L’art est devenu son dada. C’est en 2000 que commence leur collection. Un jour de promenade entre amis à Megève, Gérard repère un tableau dans une galerie. Deux ans plus tard, le couple retourne dans cette galerie et achète l’œuvre « Cadran scolaire » de Di Concetto. Ils sont prêts. Ce tableau marquera le début de leur collection. Pendant 22 ans, le couple de septuagénaires a acquis 124 peintures, 99 sculptures et 23 dessins, gravures ou lithographies.
Côté artistes, ils sont nombreux et la liste est très hétéroclite. Ils sont régionaux ou internationaux. De tous styles, car le couple fonctionne au coup de cœur. Jean Messagier, Eric Liot, Pasqua, Combas, Fontana, Gobal, Bernard Gantner, Cairo, Mühl, Livia De Poli, Garonnaire, Erro’, Théo Tobiasse, Bessone, Fenx, Di Rosa….
Les œuvres sont répertoriées dans un livre écrit par leur ami Luigi De Poli. Ils se sont connus par l’intermédiaire de Livia De Poli, sa femme, artiste plasticienne et céramiste franc-comtoise. Andrée et Gérard lui ont beaucoup acheté ses créations. Ils sont devenus amis. Luigi De Poli, ancien doyen de la faculté des lettres de Mulhouse, professeur de littérature italienne à la retraite s’est intéressé à eux. Si bien qu’au fil des discussions, il lui a paru évident qu’il fallait consacrer au couple un livre. « Trilogie indivisible » chez Cêtre est parue en 2015.
Deux salaires modestes, mais une passion pour l'art
Depuis de nouvelles œuvres ont pris place dans leur villa. Bien sûr on peut se demander comment avec deux salaires modestes, d’institutrice pour Andrée et d’ouvrier pour Gérard, ils ont pu acquérir toutes ces œuvres. Ils ont d’abord économisé puis une vente d’un appartement dans le Midi et un bon placement en bourse de la somme récupérée les ont bien aidés. Ils ne sont pas dépensiers. Les œuvres ont toujours été achetées en plusieurs fois. Mensuellement. Sans enfant, ils ont pu mettre chaque mois, un salaire sur deux de côté.
Dernièrement, ils ont vendu leur voiture pour une œuvre de Lucio Fontana. Connu pour ses perforations et entailles sur toiles, il a aussi réalisé des sculptures. Andrée et Gérard ont acquis deux boules. Ils se déplacent dorénavant à pied ou à vélo.
Ce sont toujours des coups de cœur.
Andrée
Dans les galeries, à chacun sa méthode. Andrée prend son temps, regarde tout, fait plusieurs fois le tour. Gérard lui observe et sait très vite ce qu’il veut. Ensuite, ils font le point et tombent toujours sur la même œuvre.
Une donation voulue
La maison a été agrandie pour accueillir les grandes toiles et les dernières acquisitions, mais ailleurs les œuvres sont les unes sur les autres.
Ici tout est serré et on peut disparaître d’un coup.
Gérard, collectionneur d'art
Le couple a décidé l’année dernière de ne plus garder cette collection confinée. Et c’est à Luigi De Poli qu’Andrée et Gérard l’ont confié. Il est ami depuis longtemps avec le maire d’Audincourt dans le pays de Montbéliard, Martial Bourquin. Il le sait amateur d’art. Luigi De Poli a été un intermédiaire précieux.
Un courrier plus tard en octobre 2021 envoyé à Martial Bourquin et la proposition est bien accueillie au conseil municipal. L’affaire était conclue. Une fondation portera le nom du couple et le nouvel écrin choisi par la ville d’Audincourt sera l’ancien château Peugeot.
C’est un bel aboutissement pour un collectionneur. C’est bien que ça soit visible par un grand nombre.
Gérard
Et que la collection vive après nous parce qu’on l’aime et que chaque œuvre a son histoire.
Andrée
Une collection qui a pris de la valeur au fil du temps
Le couple possède des œuvres qu’il ne pourrait plus se payer aujourd’hui tant la côte de l’art a grimpé. Un marchand d’art leur a par exemple proposé dix fois leur prix d’achat pour une sculpture de Jean Messagier. Ils ont refusé.
« On ne manque de rien. Nous n’avons pas de gros besoins. Notre plaisir, c’est de découvrir une œuvre et de l’acquérir » disent-ils.
La maison devrait se vider fin 2022, début 2023… quand l’ancien château Peugeot sera entièrement rénové. Une chose est sûre, ils ne s’arrêteront pas de sitôt de s’intéresser à l’art et aux artistes. Ils ont déjà acheté à la galerie d’art Berthéas de Saint-Etienne un tableau de Jean Miotte et un petit Ben dit Gérard. « Ceux-là on les garde. Les oeuvres que j'achète maintenant font partie de mon patrimoine ».
Andrée et Gérard ont une vie tournée vers l’art avec des rencontres inoubliables, des artistes devenus des amis. Ils font désormais partie d’un milieu qui leur était étranger.
"Cette vie-là nous a attendris" confie Andrée en conclusion.