Avant d'élire vos députés, France 3 fait le tour des circonscriptions de Bourgogne. Direction la 1e circonscription de l'Yonne, qui s'étend d'Auxerre-ouest jusqu'à la Puisaye, à la découverte d'un territoire touristique, fort et fragile à la fois. Ses habitants restent soudés dans l'adversité.
Au départ d'Auxerre, il suffit de rouler une petite dizaine de kilomètres vers l'ouest, pour arriver là-haut sur la colline. Bienvenue à Pourrain, aux portes de la Puisaye.
Autrefois réputé pour l'exploitation de l'ocre, le village de 1 400 habitants bénéficie d'un emplacement de choix. "C'est sûr, on est bien placés. On a des gens qui viennent d'Auxerre, de Toucy, ou qui passent juste par là. C'est bien pour le resto", explique Jean-Philippe, co-gérant du restaurant "Le Drive du Pulvérinien", sur la place centrale de Pourrain.
Jean-Philippe et Pourrain ? C'est une longue histoire d'amour. Né dans ce village qu'il "aime tant", ce Bourguignon l'a pourtant quitté à l'âge de 17 ans, pour trouver du travail ailleurs. "Il n'y avait pas grand chose à faire ici. Mais quand j'ai été licencié, on a décidé avec ma femme de revenir ici pour monter notre affaire dans la restauration". A 50 ans aujourd'hui, malgré le Covid, leur affaire est viable depuis maintenant 5 ans. "Mais ça reste plus aléatoire aujourd'hui. Avant, on faisait beaucoup plus de couverts", se désole le chef de cuisine. "Alors on se serre les coudes... Heureusement on a une clientèle fidèle, et le bouche-à-oreille fonctionne bien !"
Cette fois encore, ils n'iront pas voter...
Pour Jean-Philippe et sa femme, "le vote ne changera rien". Comme pour l'élection présidentielle, et toutes les autres élections auparavant, ils n'iront pas voter. "Parce que ça ne nous intéresse pas, enfin plus maintenant". Ce qu'ils regrettent ? "Voir que rien ne bouge vraiment. Ici on a un seul médecin; c'est pas suffisant !".
Comme eux, de nombreux Poyaudins, nous ont confié qu'ils n'iraient pas voter. "Qui se présente déjà ?", lâche Julien, 24 ans, alors qu'il déjeune en terrasse avec une amie, au centre-ville de Toucy.
C'est une année de césure pour ce jeune Toucycois. "J'ai passé quelques mois au Guatemala. Demain je m'envole pour la Thailande. J'ai besoin de voir autre chose, de m'ouvrir au monde. Et puis c'est vrai qu'il n'y a pas grand chose à faire quand on est jeune ici", explique ce globe-trotter.
La politique? C'est des promesses. J'ai l'impression qu'on arrive un peu au bout de ce système. Il faudrait plus de démocratie participative
Julien, 24 ans, habitant de Toucy
Il faut dire que plus de la moitié des habitants de la première circonscription de l'Yonne ont plus de 47 ans, soit 6 ans de plus que la moyenne nationale. Des jeunes qui partent ? Eric en voit régulièrement à Toucy. Sa maison, située juste derrière l'église Saint-Pierre, est de loin la plus fleurie du centre-bourg : "ça permet de s'évader un peu, et puis s'en occuper, ça occupe forcément l'esprit".
Sans emploi depuis 5 ans, cet ex-employé du secteur paramédical, pointe aujourd'hui du doigt deux défis majeurs en Puisaye: "les déserts médicaux, et le manque de transports. Quand je suis arrivé il y a 25 ans, il y avait 4 médecins généralistes à Toucy. Aujourd'hui, il en reste 2. On n'a plus de dentiste. Alors que dans le même temps, on a une population vieillissante... tout est illogique là-dedans !", s'exaspère-t-il.
Maintenant ils nous disent qu'ils veulent reculer l'âge de la retraite... j'ai 59 ans, et je trouve rien depuis 5 ans. Tous les politiques sont hors-sol!
Eric, 59 ans, habitant de Toucy
Pour autant, Eric le clame haut et fort: "J'irai voter les 12 et 19 juin pour les législatives. Il faut y aller quand même pour s'exprimer et dire ce qu'on veut ou ce qu'on ne veut pas pour notre avenir".
Quittons Eric à l'heure du déjeuner et reprenons la départementale 955 en direction de Saint-Sauveur-en-Puisaye. Sur le chemin, les maisons se font de plus en plus rares, laissant place tantôt aux bocages, tantôt aux petites exploitations.
Sur la place du marché, peu de monde en ce début d'après-midi, mais à 200 mètres de là, et juste derrière la maison de Colette, se dévoile un lieu étonnant. Bienvenue chez Christine et Patrick. Nous rentrons.
"Il manque des médecins, mais aussi de l'emploi et un peu d'animation parfois"
Au détour d'une des nombreuses allées, perdu dans ce dédale de milliers de livres parfaitement alignés et empilés, nous tombons sur Patrick, le gardien des lieux : "Ici, j'ai 100 000 ouvrages. Je les récupère un peu partout. Ma femme gère la partie brocante, et moi je m'occupe des bouquins", plaisante le septuagénaire qui continue par passion, loin pour l'heure d'avoir envie de prendre sa retraite.
Depuis plus de 20 ans, Patrick a vu la cité de caractère évoluer. "Quand je suis arrivé, la maison de Colette n'était pas ouverte au public. Depuis, c'est très fréquenté l'été, et quasiment pas l'hiver. On a racheté ces deux maisons (ndlr : la partie brocante, et la partie librairie) pour une bouchée de pain, aujourd'hui, ce serait différent". Et quand on lui demande s'il est attaché à la Puisaye, la réponse ne se fait pas attendre : "j'y suis très attaché. L'avantage ici, c'est que l'environnement n'a pas beaucoup changé. Le désavantage, c'est qu'aujourd'hui, il manque des médecins, mais aussi de l'emploi, et un peu d'animation parfois".
En Puisaye, il y a surtout beaucoup de solidarité entre les habitants. Entre Toucy et ici, il y a beaucoup d'associations, et les bénévoles donnent de leur temps, naturellement
Patrick, 70 ans, bouquiniste à Saint-Sauveur-en-Puisaye
Même bien intégré à la vie locale, et connaissant tous les commerçants et beaucoup d'habitants de Saint-Sauveur-en-Puisaye, Patrick regrette le désintérêt de certains élus pour le territoire : "on les voit peu. Parfois, ils passent mais que voulez-vous qu'ils fassent ? Le député ne peut rien. Aujourd'hui, je ne sais plus pour qui voter, je suis un peu perdu, même si je l'avoue, mon coeur est à gauche". Mais cet amoureux des livres se rendra tout de même aux urnes, pas par conviction mais par devoir.
Juste devant la petite boutique, Patrick salue André, 74 ans. Un ami de longue date. André est originaire de région parisienne. Avec sa femme Martine, ils se sont installés à Saint-Sauveur pour y couler une retraite paisible. "On n'est pas déçus".
Martine nous invite dans son jardin qui donne sur l'arrière de la maison de Colette. "C'est un peu notre paradis ici. On est tranquille. Il y a une atmosphère très détendue dans ce grand village. Très rapidement, on a tissé des liens avec beaucoup de gens". Pour la suite, ils ont pour projet de continuer à rénover leur maison. Ils veulent aussi continuer à s'impliquer dans la vie locale. "On ne fait pas de politique mais c'est très important. On se rend souvent aux réunions publiques. Il faut s'y intéresser !", explique Martine. André acquiesce. Marie et femme iront voter, comme à chaque fois. "On a déjà croisé le député de la circonscription, on n'est pas d'accord sur tout, mais c'est aussi ça la politique. Il faut débattre et confronter nos idées !"
Les Poyaudins de la 1e circonscription de l'Yonne sont attendus, comme ailleurs, dans les bureaux de vote, les 12 et 19 juin.