Zones blanches : ils déploient des solutions alternatives pour fournir un accès à internet aux habitants

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À Joigny, dans l’Yonne, une bande de geeks a créé SCANI, un fournisseur d'accès internet coopératif local, afin de fabriquer et de fournir du réseau aux populations oubliées par les grands opérateurs. ©Real Production

À Joigny, dans l’Yonne, une bande de geeks a créé SCANI, un fournisseur d'accès internet coopératif local, afin de fabriquer et de fournir du réseau aux populations oubliées par les grands opérateurs. Alain Chrétien, le réalisateur du documentaire "Pour une poignée de gigabits" nous entraîne sur la piste de cette tribu engagée, qui lutte contre l’isolement numérique.

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Dans les vastes espaces ruraux, les grands opérateurs ont déroulé leurs autoroutes numériques, tranchant la campagne sans s’y arrêter. Ils ont relié les grandes villes, sans se soucier des contrées traversées.

Particulièrement active au centre de l’Yonne, SCANI (Société Coopérative d’Aménagement Numérique Icaunaise) déploie des solutions alternatives à celles des FAI (Fournisseurs d’Accès Internet) classiques, en particulier dans les zones les plus rurales. Elle a tissé son propre réseau, de villages en hameaux, reliant les fermes isolées des zones blanches ou grises par ondes radio ou fibre optique.

Une vision à taille humaine du web où les coopérateurs remplacent les clients.

Une aventure humaine pour lutter contre l’isolement numérique

Bruno Spiquel, pilier de la tribu Scani, a quitté Paris pour vivre avec sa famille à Joigny. Ce spécialiste des réseaux informatiques et de l’internet s’est vite retrouvé face à une réalité à laquelle il ne s’attendait pas : il s’est installé dans une zone où il n’y a aucun accès au très haut débit.
Il décide alors de l’installer lui-même et d’aider les villageois des environs, situés en zone blanche, à se connecter au reste du monde. "Il n’y avait rien quand je me suis installé, il n’y avait que l’ADSL 11 Méga. Béon, le village juste à côté, n’avait rien. J’ai donc repris la connexion internet de chez moi et avec une petite antenne sur le toit, je l’ai envoyé sur une église un peu plus loin."

Cette antenne, installée sur le clocher de Béon, est dirigée vers la mairie, ce qui a changé totalement le travail pour la secrétaire de ladite mairie.

Ce partage marque le début d’une grande aventure : celle de SCANI, un fournisseur d'accès internet coopératif local. Rejoint par d’autres passionnés, Bruno se lance dans une bataille contre les idées reçues sur Internet, contre l’ignorance des élus des villages, contre l’habitude de n’être que consommateur et pour les libertés numériques.

Ensemble, ils vont conquérir leur indépendance, découvrir les nouveaux horizons de l’Internet libre et expérimenter l’esprit coopératif.

C’est une histoire folle, de gens un peu fous, qui décident de déployer leur propre réseau, c’est le pot de terre contre le pot de fer face aux gros opérateurs.

Nicolas Soret, président de la CCJ et maire de Joigny

Comme le souligne ironiquement Cédric Colson, bénévole de la tribu SCANI, "On n’existe pas pour les grands opérateurs, on est juste quatre gugusses à queue-de-cheval avec un tee-shirt "J’aime Linux" qui viennent faire de l’internet à la campagne !"

Contre toute attente, les grands opérateurs apprécient même la coexistence avec cette petite tribu. Elle remplit la mission de connecter les clients non rentables pour eux, car trop peu nombreux et trop éloignés.
Lutter contre les inégalités d’accès au numérique était le premier objectif du volet numérique du programme du Président Macron. Une promesse faite le 17 juillet 2017 lors de la conférence nationale des territoires au Sénat.
L'ambition était de couvrir en très haut débit l’ensemble du territoire d'ici à la fin du quinquennat et d'éliminer les zones blanches. Or actuellement, les zones blanches, frontière invisible séparant des pans entiers du territoire français du monde des connectés, existent toujours.

Le déploiement de la fibre dépend de groupes industriels aux objectifs commerciaux souvent peu compatibles avec l’intérêt public. Ces sociétés sont peu enclines à dépenser des millions pour juste quelques centaines d’abonnés.
"Un gros opérateur, s’il doit mixer la fibre avec la radio, ses coûts vont exploser. Nous, nous pouvons le faire facilement, car on est basé sur des intervenants locaux, qui se connaissent et qui sont prêts à donner de leur temps pour régler ces petits problèmes d’aménagement du numérique qui pourrissent la vie à ces 3% de personnes et qui n’ont pas de solution actuellement" indique Bruno Spiquel.

Ce réseau d’accès à internet, construit sur mesure, repose sur l’installation d’antennes radio qui orientent les ondes de connexions internet ayant un débit performant vers des zones blanches.

Techniquement, pour simplifier, c’est comme si vous empruntiez le Wi-Fi du voisin.

Bruno Spiquel, pilier de la tribu Scani

Le principe de base de SCANI : le partage

Chez SCANI, les utilisateurs ne sont pas des clients, mais des sociétaires. Chacun paie un abonnement mensuel unique de trente euros, mais il doit aussi prendre une part minimum dans la structure (dix euros) ce qui lui donne voix au chapitre lors des assemblées générales.
Plus de 70% du temps investi dans la coopérative est effectué de façon volontaire et bénévole par les membres.

Des prestations au prix libre, des adhérents qui travaillent bénévolement, ce mode de fonctionnement a de quoi surprendre !

Cette coopérative de passionnés s’est adjoint les services de personnes chevronnées qui sont les seuls salariés de SCANI. Ils accomplissent les missions techniques et sont le soutien professionnel indispensable aux bénévoles.

Loin des considérations marchandes d'autres opérateurs, la garantie apportée par cette coopérative est de pouvoir apprendre, comprendre et aider.

Notre victoire c’est quand on arrive à transmettre notre savoir, que ce soit de savoir utiliser un ordinateur jusqu’à déployer de l’internet.

Alan Taquet, salarié de la tribu SCANI

SCANI n’apporte pas seulement l’accès au réseau, elle cultive également une éducation aux usages du numérique et à tous les aspects liés à la cybersécurité, afin d’éviter que leurs adhérents ne se fassent piéger. "La principale entrée des "gangsters", est ce qu’on appelle l’ICC dans notre jargon, c’est-à-dire l’Interface Chaise Clavier, donc l’utilisateur !" indique Eric Apffel, bénévole de la tribu SCANI.

La coopérative fonde son action sur une charte éthique qui protège l'humain, et notamment sa vie privée.

Il y a un concept central chez nous qui est la neutralité, on ne regarde pas ce qui se passe au niveau du trafic des abonnés. Ce que font d’autres opérateurs, c'est premièrement de ne pas demander l’avis aux gens, puis de collecter de l’information personnelle que l’on peut revendre.

Bruno Spiquel, pilier de la tribu SCANI

Vivre dans une zone blanche, un problème au quotidien

Des territoires sans internet à deux heures de Paris, leurs habitants sont comme les pionniers de la conquête de l’Ouest, contraints de s’engager dans un nouveau monde, avec ses promesses et ses dangers. Un monde qu’il leur faut conquérir, défricher : c’est le World Wild Web, le Far West du numérique !

Être situé en zone blanche est synonyme de désertification. Elle écarte les nouveaux arrivants, fait fuir les jeunes générations, entrave l’activité économique et empêche les nouvelles installations. Le sous-équipement fréquent de ces contrées entraîne des situations dramatiques, le numérique constituant désormais un vecteur important de lien social, mais aussi de travail.

Il exclut les nouvelles modalités du marché de l’emploi comme le recours au télétravail. L’illettrisme numérique (l’illectronisme) est conséquent dans de nombreux villages.

Et pourtant, Internet est devenu incontournable pour nos communications, nos achats, pour la banque et les rendez-vous médicaux. Ce n’est pas seulement une source d’informations, un outil de travail ou de loisirs, c’est devenu une interface obligatoire dans la gestion de notre vie quotidienne.

Tous les élus ruraux de France vous le diront : on était en train de creuser la fracture entre le monde urbain et le monde rural à travers cette fracture numérique qui commençait à s’installer. On voyait qu’au moment des ventes de maisons ou d’entreprises, on nous demandait s’il y avait un accès à internet. Ça reste un enjeu extrêmement fort de développer l’accès numérique.

Nicolas Soret, président de la CCJ et maire de Joigny

Une constatation faite également par Evelyne Moreau, propriétaire de chambres d’hôtes dans la région. "Pour l’accueil en chambre d’hôte, la première chose demandée à l’arrivée, c’est le code Wi-Fi. Les personnes viennent en vacances, mais aussi pour travailler."

La rançon du succès de SCANI est source de fragilité. Le militantisme des pionniers fait place à d’autres préoccupations liées à son développement comme le constate son fondateur Bruno "la limite du modèle ? Elle est humaine, car plus on est nombreux, plus c’est compliqué."

Bruno n’est pas dupe de la nature humaine et de ses travers, mais il sait en retenir le positif. Il sait que le partage de connaissance est LE moyen de faire des miracles, de faire bouger les frontières.

"Pour une poignée de gigabits", un film d'Alain Chétien
Coproduction : Real Production / France Télévisions

Diffusion jeudi 26 septembre à 22h50 et déjà disponible sur la plateforme france.tv

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