Imbroglio par radios interposées. Alors que le président de la Sica affirme avoir reçu 353.70€ d'indemnisation de l'UE pour soutenir les producteurs face à l'embargo russe, Stéphane Le Foll l'accuse de semer le doute dans l'esprit du public sur des aides complexes à comprendre. Décryptage.
Ce week-end, Jean-François Jacob, président de la Sica, affirmait que le groupement de cultivateurs avait reçu la semaine dernière une indemnisation de 353.70€, en compensation des pertes liées à l'embargo russe. "Quand dans la semaine, le groupement que je préside reçoit un chèque de 353.70€ à partager entre 1500 adhérents, on ferait mieux de ne rien nous envoyer", déclarait-il sur France Info suite aux incendies de la Mutualité sociale agricole et du centre des impôts de Morlaix (29). Cette somme correspondrait à l'aide promise par Bruxelles en août dernier, à savoir le déblocage de 125 millions d'euros pour soutenir le secteur maraîcher de l'Union Européenne, touché par les restrictions à l'exportation vers la Russie.
23.58 centimes d'euro par adhérent
Dans un courrier adressé lundi 22 septembre à Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, Jean-François Jacob dénonce l'absurdité du montant de cette "mesure exceptionnelle" : "cette somme de 353.70€, c'est à dire 23.58 centimes par exploitant, nous posait un réel problème de restitution à nos adhérents, le montant du chèque à leur adresser étant très nettement inférieur au prix d'un timbre [66 centimes]", écrit-il avec une pointe d'ironie.Un billet de train pour le ministre
Le conseil d'administration de la Sica, premier groupement français de producteurs de légumes avec 1 100 fermes et 1 500 cultivateurs, a décidé d'utiliser cette enveloppe pour faire venir Emmanuel Macron dans le Finistère : "Nous avons donc décidé de réinvestir cette somme dans un titre de transport à votre convenance (Air France quand ils veulent – SNCF), afin de pouvoir vous rencontrer et échanger avec vous sur nos difficultés économiques." Contacté, le cabinet d'Emmanuel Macron n'est pas encore fixé sur les suites à donner à cette invitation et s'interroge sur la pertinence du destinataire. "C'est peut-être mal aiguillé en termes de ministre. S'il est question d'aides européennes, c'est plutôt Michel Sapin, ministre des Finances et des comptes publics, que cela concerne."Un "coup de com" ?
Interrogé sur l'origine de ce chèque sur France Inter, Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, dément avoir eu connaissance d'une aide de ce montant. "Je ne sais pas de quel chèque il parle. Je n'en ai pas trouvé trace", avant d'ajouter : "on a depuis hier un débat qui consiste à dire "vous vous rendez compte, l'Etat donne 23 centimes aux producteurs", alors que l'Etat donne ce que les professionnels demandent. Qu'il apporte donc son chèque demain, que je vois de quoi on parle !" Selon le ministre, si l'aide est si basse, cela peut venir d'une demande des producteurs "mal formulée" en amont.Un détail qui occulte le fond
De son côté, Jean-François Jacob nous a fait parvenir la preuve de l'attribution d'une aide dérisoire (voir encadré en bas de page), preuve qu'il fournira demain matin au ministre, lors de la réunion organisée avec les représentants des agriculteurs : " Je me suis peut-être mal exprimé en parlant de chèque car nous sommes encore dans les procédures administratives pour récupérer l'argent. Mais j'ai le courrier de l'administration française qui atteste que nous allons recevoir une aide exceptionnelle de l'Union Européenne suite à l'embargo russe. Nous ne sommes pas des menteurs !"Selon lui, cette histoire de subvention dénote surtout l'absurdité de la bureaucratie : "la procédure coûte plus cher que l'argent que cela va débloquer !" Elle occulte surtout le fond du problème, à savoir les solutions à apporter à la crise que vivent les producteurs légumiers. La question de la possibilité d'un allégement et d'un étalement des charges sera notamment discutée demain matin.
A quoi correspondent ces 353.70 € ?
La Commission européenne a annoncé le déblocage de 125 millions d'euros dans le cadre d'un dispositif exceptionnel lié à l'embargo russe. Sur ces 125 millions, 82 concernent les pommes et les poires, 43 sont alloués aux autres fruits et légumes. 262 000 € ont d'ores et déjà été attribués à la France.Cette mesure concerne les frais de transports engendrés par la distribution gratuite de certains fruits et légumes invendus qui ont été offerts à des associations. Cela ne concerne pas tous les légumes non plus : l'artichaut, produit phare breton, n'est par exemple pas inclus. Les 353.70€ sont donc un dédommagement pour le transport des tomates uniquement.
France Agrimer a notifié l'attribution de cette aide exceptionnelle à la Sica en lui indiquant la démarche à suivre pour la toucher. Démarche lourde et plus coûteuse que le montant final de la subvention.