François Hollande va demander au Parlement de réviser la Constitution pour permettre enfin la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales, un texte mis au point en 1992 et signé par la France en 1999.
Le chef de l'État a annoncé le prochain dépôt d'un projet de loi constitutionnelle en ce sens, dans une lettre à plusieurs députés qu'ils ont rendue publique jeudi. La Charte fait obligation aux Etats signataires de reconnaître les langues régionales et minoritaires en tant qu'expression de la richesse culturelle. En France, les quelque 75 langues régionales (métropole et outremer) sont de moins en moins parlées, même si on estime à 600.000 le nombre de personnes connaissant l'alsacien et qu'une majorité de Réunionnais, selon l'Insee, ne s'expriment qu'en créole dans leur vie quotidienne.
La promesse de campagne doit être validée par la constitution
Sa ratification, promise par François Hollande durant la campagne présidentielle, doit être expressément autorisée par la Constitution. En effet, le Conseil constitutionnel avait jugé en juin 1999 la Charte contraire à l'égalité devant la loi de tous les citoyens et au principe que "la langue de la République est le français". Pour cette révision de la Constitution, "la voie du Congrès me paraît la plus appropriée", écrit le chef de l'Etat dans ce courrier envoyé notamment au président de la commission des Lois de l'Assemblée, Jean-Jacques Urvoas (PS), et révélé par le quotidien Le Télégramme.
Le référendum écarté
Dans cette lettre datée du 1er juin, François Hollande écarte ainsi le recours au référendum, qui aurait été obligatoire pour faire aboutir une proposition de loi constitutionnelle du même Jean-Jacques Urvoas, votée le 28 janvier 2014 par les députés à une large majorité (361 voix pour, 149 contre, 19 abstentions). En effet, si une révision constitutionnelle est proposée par des parlementaires, elle doit obligatoirement être approuvée par référendum après avoir été adoptée par chacune des deux assemblées. Mais si elle est proposée par le gouvernement, le président de la République peut décider que l'adoption finale sera votée, à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, par l'Assemblée et le Sénat réunis en Congrès.
Une majorité sur la question des langues régionales ?
François Hollande souhaite que le texte "soit inscrit à l'ordre du jour du Parlement dans les meilleurs délais". Également destinataires du courrier présidentiel, le socialiste alsacien Armand Jung et l'écologiste Paul Molac, de l'Union démocratique bretonne, se sont félicités de cette annonce. Selon ce dernier, "il y a une majorité des trois cinquièmes" au Parlement pour faire adopter un tel projet de loi. Jusqu'à présent, l'opposition a voté en bloc contre les propositions de François Hollande pour réviser la Constitution, en particulier sur le statut pénal du chef de l'Etat ou la composition du Conseil supérieur de la magistrature, le faisant renoncer à convoquer le Congrès.
Sur les langues régionales, il en a été différemment lors du vote de la proposition Urvoas à l'Assemblée, approuvée par l'UDI et par une quarantaine des 199 députés de ce qui était alors l'UMP. La reconduction de cette alliance de la gauche et d'une partie de la droite pourrait faire passer le projet à l'Assemblée et au Sénat, puis au Congrès.
Proximité des élections régionales
Est-ce possible à quelques mois des élections régionales et alors que le Sénat est passé à droite ? Marc Le Fur, député Les Républicains des Côtes d'Armor et ardent défenseur des langues régionales, le pense à condition "que le gouvernement n'amène pas d'autres sujets de révision constitutionnelle". "Le gouvernement se rend compte qu'il y a des élections régionales et qu'il faut parler aux Alsaciens, aux Bretons ou aux Corses... Mais pourquoi voterais-je contre un projet qui est le mien ?" a-t-il déclaré.
Des opposants et des régionalistes prudents
Plus dubitatif, le chef de file des députés UDI, Philippe Vigier, tout en rappelant être favorable à la Charte, se demande s'"il n'y a pas mieux à faire qu'une réforme constitutionnelle", doutant qu'"on mette un million d'euros pour faire un Congrès". Pour sa part, Jean-Luc Mélenchon, fondateur du parti de gauche, a qualifié le projet de "nouvelle agression contre l'unité et l'indivisibilité de la République", exigeant un référendum.
En Bretagne, la plupart des mouvements ou personnalités régionalistes se montrent prudentes, tant "le serpent de mer" de la Charte ressort régulièrement avant chaque élection.