Les algues vertes, combat d’Inès Léraud, journaliste d’investigation et autrice de la BD '"Algues Vertes l’histoire interdite", est adapté au cinéma. Le tournage commence ce 5 septembre avec un budget serré. La Région Bretagne n'a pas encore accordé d'aide au financement pour le film. D'autres élus freinent le tournage.
Les algues vertes et la Bretagne. Un sujet sensible qui divise défenseurs de l’environnement et intérêt économique de la Bretagne. Ce sujet, Inès Léraud en a fait un livre à succès après des années d'enquête de terrain dans le milieu de l’agroalimentaire breton. La BD Algues Vertes l'histoire interdite a été prisée par plus de 100 000 lecteurs.
Le livre va devenir un film, réalisé par Pierre Jolivet, dont le tournage commence ce lundi 5 septembre 2022 sur la côte du Trégor entre Perros-Guirec et Plestin-Les-Grèves dans les Côtes-d'Armor.
Un film soutenu par la population, moins par les élus
Autant le film suscite l'enthousiasme des Bretons, comme le prouve le très grand nombre de candidats pour participer au tournage. La production du film a été submergée de demandes. Sur le plan de l'aide financière et technique, les refus s'accumulent.
“L’équipe du tournage a été très surprise de redécouvrir ce que je lui avais expliqué, ce que j’avais dit dans la BD, exprime Inès Léraud au micro de France Inter. C'est-à-dire que l’on a un soutien populaire énorme, les gens nous ouvrent grand leurs portes, partout. Mais d’un autre côté, on a les élus et quelques dirigeants économiques qui ferment un peu les portes. Ils ne veulent pas, parfois, que l’on tourne sur certains lieux, sur certaines plages".
Pas un sou de la Région Bretagne
Alors que la Région Bretagne est dotée d'une structure d'accueil des tournages sur le territoire breton et soutient de nombreux longs métrages se tournant en partie en Bretagne, le film du réalisateur Pierre Jolivet sur les algues vertes, dont le tournage se fait en quasi-totalité en Bretagne, n'a reçu aucune aide de l'institution.
Un élu au Conseil régional nous confirme, sous couvert d'anonymat, que le film a essuyé deux refus : d'abord l'aide au financement pour l'écriture du film a été refusée. Puis l'aide pour la production du tournage a également été rejetée par la Région au motif d'un scénario non abouti.
Argument surprenant selon les bruits de couloirs au Conseil régional, le projet ayant obtenu le financement de France 3 et de Canal+, sociétés très rigoureuses sur le financement des films. L'équipe du film tente de faire une nouvelle demande, par une dérogation pour permettre de mieux boucler le financement du long métrage.
Cette dérogation est aujourd'hui en attente. La Région Bretagne communique en affirmant "qu'il n'y a pas de refus de la région ou de ses élus à financer le film". Et précise que le dossier passera en commission devant un comité indépendant fin septembre "comme n'importe quel autre film". Pour les services de la région, il n'est pas inhabituel que des films s'entament sans financement, "les instances de financement et la production ne sont pas sur les mêmes calendrier".
Les élus du Trégor agacés par le tournage
De son côté l'équipe de tournage doit avancer contre des vents contraires. La plage de Plestin-les-Grèves est bien connue dans la région pour être l'un des lieux les plus touchés du Trégor par la pollution aux marées vertes. Sur la plage de Saint-Michel-en-Grève en 2009, un homme, Vincent Petit, s'enlise avec son cheval dans les algues vertes. Son cheval en est mort, asphyxié par l'hydrogène sulfuré qui se dégage des algues vertes en putréfaction.
Le site de Saint-Michel-en-Grève est l'un des points de départ de l'enquête effectuée par Inès Léraud dont le film retrace l'histoire. Depuis 1989, des accidents et décès ont lieu sur cette plage. Un jogger de 27 ans décède sur la plage de Saint-Michel-en-Grève en 1989. Toujours sur ce même site, en 1999 un ramasseur d'algues vertes tombe dans le coma pendant 5 jours, puis l'intoxication du cavalier et de son cheval en 2009.
Le maire de la commune, François Pochon, contacté par téléphone, nous fait part de son agacement sur le sujet. "La société de production a sollicité la mairie pour de l'aide en matériel". L'aide demandée ciblait du matériel de ramassage d'algues vertes. "Je n'ai pas répondu à leurs demandes. De plus certaines demandes ne relevaient pas de ma mairie mais de la préfecture ou de la communauté de communes de Lannion-Trégor" souffle-t-il fatigué de la tension qui entoure ce sujet.
D'autres sources proche du tournage suspectent le maire de Saint-Michel-en-Grève de pratiquer une campagne contre le film : incitant d'autres élus du Trégor à refuser des autorisations de tournage ou poussant des établissements de restauration à refuser l'accueil de l'équipe de tournage.
Sollicité, Trégor Communauté n'a pas souhaité répondre à nos questions sur les motifs de leur refus. Son président s'agaçait en août dernier auprès du Télégramme de voir "systématiquement" la baie de Saint-Michel associée aux algues vertes. Il n'envisageait alors pas de soutenir le film.
Un sujet trop sensible pour des élus de Saint-Brieuc
Selon une source proche de l'équipe du film, malgré les différents freins posés, toutes les solutions ont été trouvées par l'équipe de tournage. Des plans B pour les décors ont été repérés afin que le film puisse se dérouler.
Cependant, Inès Léraud met en valeur le point le plus bloquant lors d'un témoignage pour Radio France : le refus d'autorisation de tournage dans une déchetterie près de Saint-Brieuc.
Cette déchèterie était le lieu de travail de Thierry Morfoisse, chauffeur de camion qui transportait les algues en décomposition. Thierry Morfoisse est mort en 2009 après avoir respiré pendant des heures l’hydrogène sulfuré dégagé par les algues vertes.
Rémy Moulin, président du syndicat Kerval Centre Armor qui gère la déchetterie, a expliqué à nos confrères de Ouest-France, le motif du refus. “Je leur ai fait savoir que nous n’y étions pas favorables. C’est un sujet sensible, poursuit-il, il faut prendre le temps d’échanger entre élus. Ce ne sera pas la décision du président. Je ne souhaite pas être l’unique décideur”.
Les élus du syndicat voteront collectivement le 21 septembre s'ils autorisent ou non le tournage sur ce site, indique le collectif Halte aux Marées Vertes qui s’indigne de tant de blocages.
Des associations se mobilisent pour le film
Autour du collectif Halte aux Marées Vertes, des associations s’unissent pour faire entendre leurs voix et interpellent les préfets des Côtes-d’Armor et du Finistère. Des associations, dont la CGT Lannion, Sauvegarde du Trégor et Halte aux Marées Vertes, demandent aux préfets d’exiger “que les élus mettent à la disposition du réalisateur de ce film tous les éléments qu’ils ont pour une réalisation la plus proche de la réalité, si cruelle soit-elle pour certains, afin de retracer au plus près l’histoire turbulente des marées vertes qui dure depuis plus d’un demi-siècle”.
Le film, Les Algues Vertes l’histoire interdite, réalisé par Pierre Jolivet d'après l'enquête d'Inès Léraud avec Céline Sallette dans le rôle de la journaliste d’investigation est attendu en salle pour l’été 2023.