Arrêt de la castration à vif des porcelets: la filière porcine va devoir décider

"Allergiques au changement" ou "gardiens de la qualité" ? Une partie de la filière porcine veut continuer à castrer les porcelets. Routinière en élevage, cette pratique va pourtant devoir évoluer d'ici six mois pour atténuer la douleur des animaux.

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C'est acté depuis un arrêté de février 2020 : la castration à vif (sans anesthésie) des porcelets sera interdite à compter du 1er janvier 2022. Branle-bas de combat dans la filière sommée de revoir une pratique "très ancienne", selon l'Institut de recherche Inrae.

La castration permet d'avoir une viande plus grasse, des animaux moins agressifs et de se prémunir de l'odeur d'urine dégagée à la cuisson par certains mâles "entiers". Elle concerne encore la grande majorité des élevages français et près de 10 millions de porcelets par an.

L'opération, très douloureuse pour le porcelet et déplaisante pour l'exploitant ou son salarié, prend moins de 30 secondes : inciser le scrotum, extraire les testicules, couper le cordon spermatique et désinfecter. Depuis plusieurs années, un anti-inflammatoire est administré pour atténuer les douleurs post-opératoires. A l'avenir, les élevages devront aussi pratiquer une anesthésie pour supprimer la douleur lors de l'intervention.

Le ministère de l'Agriculture a précisé qu'il devait rédiger une instruction technique sur le sujet. "On se dirige vers de l'anesthésie locale par injection intra-testiculaire", indique Valérie Courboulay, ingénieure d'études à l'Ifip, un institut au service de la filière porcine. Il s'agira d'injecter un anesthésiant "dans chaque testicule avant l'opération proprement dite, un geste technique pas très difficile en soi qui permet une amélioration significative de la prise en charge de la douleur".

Un protocole ubuesque, selon Jean-Jacques Riou 

Ce scénario désole les associations de défense des animaux d'élevage et les éleveurs favorables à l'arrêt de la castration. 

Ce sera à la fois "insuffisant pour prendre en charge totalement la douleur" et "très difficilement conciliable avec les cadences des élevages", estime Sandy Bensoussan-Carole de l'ONG Welfarm. Et "qui va aller vérifier que les produits [anesthésiques] sont effectivement achetés et utilisés ?"

Depuis son élevage du Finistère, Jean-Jacques Riou juge "ubuesque" le protocole envisagé. L'ex-président du marché au porc breton est à la tête d'une association d'éleveurs défendant la production de mâles entiers, synonyme de gain de temps et d'argent - notamment car ils consomment moins de nourriture que les porcs castrés. "C'est l'avenir pour le bien-être de tout le monde", fait valoir Jean-Jacques Riou. Lui-même doit toujours castrer les porcelets, son groupement de producteurs n'ayant pas de débouché pour les mâles entiers. Car les industriels de l'abattage, réunis dans l'organisation professionnelle Culture Viande, refusent ces viandes présentant un risque de mauvaise odeur.

100% de porcs castrés chez Bigard 

"Le groupe Bigard maintiendra la castration" pour les porcs qui passeront dans ses abattoirs, a récemment déclaré lors d'une conférence de presse Thierry Meyer, directeur de la filière porc de ce poids lourd du secteur.  "On veut absolument mettre sur le marché de la viande de qualité", a-t-il ajouté, soulignant que le groupe répondait aux attentes de ses clients, en particulier les fabricants de salaisons sèches. Le cahier des charges du jambon de Bayonne, par exemple, exclut les mâles non castrés, dont les gras sont jugés inadaptés pour le séchage.

Les éleveurs plaident pour que la castration soit pratiquée uniquement sur dérogation, pour des marchés spécifiques, et non imposée par défaut à la plupart d'entre eux. Une position partagée par les associations de vétérinaires exerçant en élevage porcin (AVPO et SNGTV), compte tenu de la mise en oeuvre "compliquée" de l'anesthésie par les éleveurs, selon Mélanie Liber, présidente de l'AVPO. "Le ministre doit choisir entre satisfaire des milliers d'éleveurs ou une dizaine d'abatteurs", prévient Jean-Jacques Riou.

Le leader français du porc Cooperl a montré la voie : 85% des 2.700 éleveurs de la coopérative produisent des mâles entiers. Dans ses abattoirs, la Cooperl s'est armée du seul dispositif fiable à ce jour pour détecter les carcasses malodorantes (entre 1% et 2% des mâles, selon la coopérative) : le nez humain. Une vingtaine de salariés redirigent ces carcasses vers des circuits moins sensibles comme les produits transformés ou la nourriture pour animaux.

"Ce sujet de la castration est derrière nous", s'est félicité le président de la Cooperl Patrice Drillet lors d'une conférence de presse. Quant aux concurrents, "il y a des gens allergiques au changement", considère-t-il.

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