En un an et deux mois, depuis qu’une antenne relais de téléphone a été mise en service près de sa ferme, Frédéric Salgues a vu mourir cinquante de ses vaches. Avec d’autres éleveurs, de Bretagne, de Sarthe ou d’Auvergne, il est venu au SPACE pour interpeller le ministre de l’agriculture sur les ondes électromagnétiques.
"On n’a plus rien à perdre, de toute façon, on a déjà tout perdu ! "Stéphane Le Béchec était éleveur dans les Côtes d’Armor. Aujourd’hui, ses prairies et ses étables sont désespérément silencieuses. En six ans, il a perdu 270 vaches. Elles sont mortes, tombées parfois en quelques jours.
Frédéric Salgues, Patrice Morges, Patrick Pilon et Laurent Mege, eux aussi agriculteurs. Ils ont traversé une partie de la France pour être là. Le SPACE n’a pas encore ouvert ses portes, ils s’impatientent devant la porte. Ils sont venus interpeller le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau.
Des vaches qui tombent comme des mouches
Comme Stéphane Le Béchec, ils voient leurs vaches dépérir, parfois mourir. "On arrive dans la stabulation, on pleure, témoigne Frédéric Salgues. Vous n’allez pas au boulot pour pleurer, c’est incompréhensible. Notre métier, on l’aime, nos vaches, c’est nos enfants !"
Tous se sont d’abord crus responsables. Ils ont changé l’alimentation de leurs vaches, fait venir des vétérinaires, des techniciens agricoles, inspecté les terres, fait analyser l’eau… en vain. Les vaches avortaient, leurs veaux avaient des malformations, les bêtes refusaient d’entrer en salle de traite. Les éleveurs ne reconnaissaient plus leurs animaux.
La faute aux courants électriques ?
Et puis, un jour, chacun dans leur coin, les éleveurs se sont aperçus que le début de leurs ennuis coïncidait avec la mise en route d’éoliennes, de lignes à haute tension ou d’antennes relais de téléphonie.
Des courants électriques s’infiltreraient dans le sol et circuleraient sous leurs terres. Les sabots des vaches seraient conducteurs. Elles s’électrocuteraient à petit feu.
Le ministre de l’agriculture s’avance dans le hall. Stéphane Le Béchec ne perd pas une seconde, "Monsieur le ministre, monsieur le ministre, s’il vous plait, on pourrait vous interroger sur les agriculteurs qui ont des difficultés avec les ondes et les champs magnétiques ? "
Le ministre promet d’accorder une audience, mais les éleveurs sont à cran, les discussions avec les conseillers du ministre sont tendues.
"On nous prend pour des hurluberlus"
En 1999, un Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole a été créé sous l’égide du ministère de l’agriculture. Le GPSE mène des expertises électriques, vétérinaires et zootechniques dans les élevages qui le sollicitent.
"Mais dans le GPSE, il y a RTE, Enedis, les promoteurs d’éoliennes", s’agace Patrick Pilon. Lui, était éleveur de lapins dans la Sarthe. Ses difficultés ont débuté quand une antenne relais téléphonique a été déployée à 200 mètres de ses animaux. Son élevage a fermé définitivement ses portes.
Il demande des études sérieuses et indépendantes. "Il faut qu’on sache. Il n’existe pas de seuils connus de sensibilité et de nocivité des courants électriques sur les animaux d’élevage et puis, ajoute-t-il, je m’inquiète aussi sur la santé humaine, vu le massacre qu’on constate sur nos animaux, il y a forcément des impacts sur nous-mêmes."
Quel impact sur les humains ?
"Aujourd’hui, c’est mes vaches, demain, ce sera peut-être mes enfants, mes voisins, et tout le monde s’en fout", enrage Patrice Morges.
Laurent Mege est venu avec ses analyses de sang dans son sac à dos. "Et il y a des choses bizarres remarque-t-il, j’ai des doses d’arsenic, de plomb, de mercure très au-dessus des chiffres normaux. "
En attendant le rendez-vous avec le ministre, les cinq éleveurs arpentent les allées du SPACE sans jeter un seul regard sur les tracteurs rutilants.
"A quoi bon ? " Stéphane et Patrick n’ont plus d’animaux. Les finances de Frédéric et Patrice sont dans le rouge. "Au lieu de produire 25 à 30 litres de lait, mes vaches n’en donnent plus que 10 ", soupire Frédéric, alors évidemment, côté trésorerie, ce n’est pas facile.
Quant à Laurent Mege, il a décidé de tourner la page. Il a commencé à passer son permis poids lourd. Il va vendre ses dernières vaches avant qu’elles ne périssent. Ses bêtes, c’était toute sa vie. "Je vais prendre la route, dit-il, mais ça fait mal au cœur."
Un jour, les vaches ont mangé !
Parfois, Frédéric s’emporte. "Mais pourquoi on ne couperait pas l’antenne pendant un mois ou deux, on verrait alors ce qui se passe, si mes vaches vont mieux ou pas ?"
"L’autre jour, raconte-t-il, vers 10 heures du matin, on a poussé le foin, on a vu les vaches venir manger. On les a regardées pendant une heure, on ne comprenait plus rien. Et puis, on a été voir l’antenne, des gens travaillaient dessus, ils nous ont dit qu’ils l’avaient débranchée vers 10 heures ! "
Laurent, lui a mené des expériences. Cet hiver, il a déménagé ses vaches pendant cinq mois dans une autre ferme. Les problèmes ont cessé dès qu’il s’est éloigné et sont revenus dès son retour. "J’en ai trop vu, je n’en peux plus ",soupire-t-il.
"Le dernier IPhone, je ne crois pas qu’il va nourrir grand monde, ironise Patrice Morges. La téléphonie c’est bien, mais si les élevages ferment leurs portes parce qu'il y a des antennes et des éoliennes partout, qu’est-ce qu’on va manger ? "
Une reconnaissance
Enfin, les éleveurs sont reçus dans une petite salle. Le ministre promet d’étudier individuellement chacun des dossiers et laisse envisager de possibles indemnisations.
André Sergent, le président de la Chambre d’agriculture de Bretagne représente les Chambres au GPSE. Avec le développement des éoliennes et des antennes, il a vu le nombre de dossiers d’éleveurs en difficultés se multiplier. "Avant tout projet, on voudrait qu’en amont, on puisse faire un point Zéro. Un diagnostic de chaque élevage qui est proche du projet d’éolienne et à partir de là, si le projet voit le jour, on aura des données fiables pour voir si oui, ou non, le fait d’avoir des éoliennes entraine des problèmes sur tel ou tel élevage." Le ministre a annoncé aux éleveurs que la proposition pourrait être prochainement mise en œuvre.
Les agriculteurs attendent maintenant des actes.
"C’est une reconnaissance, se réjouit Stéphane Le Béchec, cela veut dire que je ne raconte pas n’importe quoi depuis des années. C’est une victoire, mais elle est dure à accepter parce qu’il y a eu de la casse " conclut-il en ravalant un sanglot.