Il avait 15 ans lorsqu’il a quitté le Cameroun, avec un rêve, venir en France. Après 9000 km parcourus, bravant les ghettos et les frontières, il débarque en Bretagne. Une épreuve traduite en mots dans un livre choc "Boza" coécrit avec Etienne Longueville, un bénévole qui l'avait recueilli.
C'est lui qui a choisi la plage de Saint-Laurent à Plérin pour y installer notre Cabine, l'une des plages accessibles par le bus depuis le centre de la capitale briochine. Saint-Brieuc et ses alentours n'ont plus beaucoup de secrets pour Ulrich Cabrel. Si depuis son Cameroun natal le nom de cette ville bretonne n'avait jamais résonné dans ses rêves de France, aujourd'hui il est chargé d'émotion.
Saint-Brieuc, un hasard
C'est en effet à la gare de Saint-Brieuc qu'il a débarqué par hasard un jour de septembre 2017, après être monté dans le mauvais train à Montparnasse... Il avait 16 ans à peine et avait prévu de se rendre à Bordeaux... Un mauvais quai de gare en a décidé autrement et manifestement, il n'y a pas de regret. "Saint Brieuc, c'est ma terre d'accueil, c'est la terre promise. C'est une terre qui m'a donné beaucoup et qui a permis que Boza soit édité en poche.C'est une terre qui a permis d'être ce que je suis aujourd'hui. C'est une terre qui m'a donné un coup de pouce pour le bac que j'ai eu cette année. C'est une terre qui m'a accueilli, qui m'a ouvert ses bras."
Une rencontre décisive
Parmi ceux qui ont ouvert leurs bras à ce jeune migrant un peu perdu, il y a Etienne Longueville, bénévole qui le recueille chez lui et avec lequel va se tisser une relation unique et riche qui s'est notamment concrétisée par l'écriture d'un livre Boza édité intialement chez Philippe Rey et aujourd'hui publié en poche (J'ai lu)."Ulrich préparait son bac de français, cela a été l'occasion à entrer dans le texte, de l'amener à éprouver la matière. C'était aussi l'occasion de créer une relation de réciprocité parce qu'on était pas un parrain qui accueille un filleul. Là on est deux co-auteurs. C'est lui qui m'a ouvert la porte de son histoire et donc voilà ça rééquilibre la relation. On a vécu une expérience très riche dans l'éciture de ce livre ensemble. Cela m'a apporté une compréhension au niveau de la langue et le besoin de nommer le réel. En France, on a tendance à adoucir les mots et Ulrich m'a dit plusieurs fois: "Si tu ne nommes pas la violence de mon quartier, les gens ne comprendront pas pourquoi j'ai fui mon bidonville, pourquoi j'ai fui mon ghetto".
C'est ainsi qu'est né Boza, en mémoire de ce mot prononcé, crié lorsque les migrants parviennent à franchir la frontière qui leur permet d'accéder en Europe. Pour Ulrich Cabrel, c'est un mot sacré. "Boza n'a pas de langue officielle. Boza, c'est une libération, un cri de rage, un cri de guerre. Boza, c'est la traversée d'une frontière après plusieurs mois de souffrance et de détermination. Boza c'est un cri de joie qu'on prononce quand on traverse une frontière. C'est un cri du coeur."
Dans ce témoignage fort, romancé uniquement pour protéger quelques parties de l'histoire, Ulrich Cabrel a souhaité transmettre un message. "J'ai voulu mettre en avant tout ce qu'on vit pour que ceux qui veulent tenter la route prennent conscience de la réalité. Pas ce qu'on nous raconte. On sait qu'on peut mourir mais on sait pas vraiment comment on peut mourir. On sait que c'est dur mais on sait pas vraiment comment c'est dur. A travers le livre Boza, j'ai mis en avant beaucoup de places, comme le désert, comme beaucoup de lieux et aussi des conflits intracommunautaires entre nous surtout. On sait pas qui peut nous tuer, on croit que c'est l'étranger mais non. Nous même aussi, on se met en danger avec nous-même."
Après toutes les épreuves traversées pendant ces 15 mois de route, de voyage, l'écriture a finalement joué le rôle d'une thérapie."L'écriture a représenté une vraie libération, un vrai souffle que je reprends. Cela a permis que je redescende parce que j'en avais besoin. Je le disais pas, je ne le ressentais pas. Mais après Boza, j'ai vraiment soufflé. J'ai compris que maintenant j'ai les pieds sur terre et la tête posée."
Ulrich Cabrel vient de décrocher son baccalauréat et fourmille de projets plutôt artistiques: théâtre, castings, musique. A la rentrée prochaine, il sera l'un des étudiants de la Sorbonne... Et derrière lui, pour le soutenir encore et toujours, Etienne Longueville. "Etienne pour moi, c'est aujourd'hui un grand frère, comme un parrain. Il était là et il continue à être là. Il promet toujours qu'il veut m'aider dans mes projets artistiques. On s'appelle constamment et il est toujours là pour me soutenir."
Pour les jeunes lecteurs
Dans la collection Petites et grandes questions de Fleurus, voici Tous différents mais aussi tous égaux , de la rennaise Jessie Magana et Clémence Lallemand. Il est question de toutes les discriminations, c’est illustré avec humour pour aborder des questions essentielles dès 8 ans.
Le Petit monsieur de la costarmoricaine Orianne Lallemand, illustré par Anne-Isabelle Le Touzé, chez Glénat Jeunesse. C’est l’histoire d’un vieux monsieur solitaire dont la vie bien réglée va soudain être bousculée le jour où il accepte, malgré ses peurs, sur un coup de tête, d’accueillir une famille de migrants chez lui.Un magnifique conte moderne plein de sensibilité qui finalement n’est pas si éloigné de la réalité.
Etienne Longueville, le co-auteur de Boza
Etienne Longueville est un des bénévoles qui a accueilli Ulrich Cabrel à son arrivée à Saint-Brieuc à l'automne 2017. C'est lui qui l'a incité et aidé à écrire ce livre pour témoigner de cette expérience de migration. Un échange riche et une relation qui se poursuit.
Etienne Longueville a depuis publié un nouveau roman Le pouvoir des braves (Editions Philippe Rey). Il a été à cette occasion l'invité de la rubrique 4ème de couverture de la Bibliothèque Vagabonde.
La carte postale du libraire
Brice Fontan de la librairie L’Angle Rouge à Douarnenez partage un de ses coups de cœur: Off-shore de Céline Servais-Picord (La nouvelle Attila).
"Lorsque Aude perd son compagnon au large du Nigeria tué par des pirates, elle va partir sur ses traces et essayer de retrouver le fil du souvenir, le fil de la relation et savoir ce qu'il lui est vraiment arrivé. Et pour cela, elle va prendre des chemins de traverse et en l'occurence elle va se plonger dans les sagas islandaises et aussi les rituels initiatiques africains. C'est un roman magnifique sur la question de la reconstruction, de la perte de l'être aimé et aussi de la résilience."
Le rendez-vous de Livre et lecture en Bretagne
A Bécherel en Ille-et-Vilaine, samedi 7 août 2021, 32ème édition de la nuit du livre . L’occasion de flâner en plein air, d’écouter des histoires dans les jardins, de déambuler avec des lanternes…ou de chiner au marché aux livres. Cela commence dans l’après midi et se poursuit jusqu’à la nuit noire dans tout le village !