Selon une enquête de la FNADEPA, la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées, 85% des directeurs d’EHPAD prévoient que leurs établissements seront en déficit budgétaire à la fin de l’année 2022. Le département des Côtes d’Armor vient de débloquer 1 million d’euros pour les aider à passer la crise, mais les directeurs restent inquiets.
"Si un Ehpad a des soucis financiers, il ne peut pas fermer ses portes et dire, merci, au revoir aux résidents. Ce n’est pas possible, il faut donc qu’on trouve des solutions", explique Véronique Cadudal, vice-présidente en charge de l’autonomie, des personnes âgées et des personnes handicapées au conseil départemental des Côtes d’Armor. "Il faut renflouer mais on ne pourra pas le faire éternellement, il faut que l’Etat entende. "
Au mois d’octobre, les élus du département ont rencontré les directeurs de la centaine d’établissements des Côtes d’Armor. Le trou dans leurs finances dépasse 5 millions d’euros ! "Et certains, admet l’élue, sont dans des situations financières plus que fragiles, il est important de les soutenir."
La flambée de tout
"Ce n’est pas compliqué, analyse Benoit Lubin, directeur de l’Ehpad de Matignon et président de la FNADEPA 22 (Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées), tous les prix se sont envolés. L’alimentation pour nos résidents (en moyenne 14%), le prix des produits de soins et d’hygiène a flambé et le pire c’est le budget énergie : en moyenne, les contrats de gaz et d'électricité des EHPAD ont subi une hausse respective de 52 % et 54 % en un an. "
"Et évidemment, précise le directeur, il n’est pas question, ni de moins nourrir, ni de moins chauffer nos établissements, nous accueillons des personnes âgées, pour certaines en fin de vie, on ne peut pas baisser la température, ni leur ôter le pain de la bouche ! "
Les directeurs d’Ehpad demandent la création d’un bouclier tarifaire sur les énergies.
Recherche désespérément planche à billets
A toutes ses hausses de prix, s’ajoute les augmentations de salaires du personnel des maisons de retraite. "Et c’est tant mieux, précise d’emblée Benoit Lubin, sauf que l’Etat a imposé ses revalorisations, instauré des primes Ségur, mais il ne les finance pas !"
La Fédération des directeurs a chiffré le poids de ces décisions. Le financement des mesures salariales décidées par l’Etat, représentant en moyenne 112 000 € par Ehpad.
"Mais on n’a pas de planches à billets, s’agace Benoit Lubin. Nous ne pouvons pas augmenter les tarifs de nos résidents, ce n’est pas nous qui fixons les prix mais nous ne savons plus comment faire. On ne va pas les mettre à trois dans un lit ! Toutes les économies possibles, on les a déjà faites. On peut être en déficit, mais ça ne peut pas durer 107 ans."
L’équation impossible
Dans le budget des Ehpad, 70% des dépenses sont consacrées aux salaires. "Donc si on veut faire des économies, il faut qu’on enlève des postes ? ", interroge Benoit Lubin. "Il n’en est pas question, répond-il aussitôt, on sait où ça mène. Les gens n’ont plus le temps de bien s’occuper des résidents, s’épuisent, ne trouvent plus de sens dans leur travail et s’en vont…"
Déjà, une moitié des directeurs des Ehpad des Côtes d’Armor auraient quitté leurs fonctions ces derniers mois. Selon une enquête nationale de la fédération, 43% des directeurs envisagent de quitter leur poste à court ou moyen terme.
Le Papy Boom
Aujourd’hui, 15 millions de personnes ont plus de 60 ans. En 2030, ils seront 20 millions et près de 24 millions en 2060. Le nombre des plus de 85 ans passera lui, de 1,4 million à 5 millions en 2060, a compté la FNADEPA.
"Et tous ces gens-là, prévient Benoit Lubin, ils vont arriver dans nos Ehpad. Nous sommes tous concernés, c’est nos parents, nos grands-parents, demain sans doute ce sera notre tour."
"J’ai 500 dossiers en attente pour une structure de 55 places. Au téléphone, j’ai des familles qui appellent au secours et me disent, "je ne peux plus le garder", mais moi je suis obligé de leur dire, je ne peux pas le prendre, c’est terrible !"
On se dit, les vieux, ils attendront !
Benoit Lubin, président de la FNADEPA 22
"La réforme du grand âge, elle doit être faite depuis 15 ans. Ca fait 15 ans qu’on fait des rapports… l’ordonnance est prescrite, mais le traitement n’est jamais donné. On se dit, les vieux, ils attendront ! "
Un million d’euros
Le département des Côtes d’Armor a décidé de débloquer 1 million d’euros pour venir en aide aux Ehpad. L’enveloppe sera répartie entre les établissements en décembre prochain. "Elle fera des malheureux parce qu’il nous faudra prioriser les maisons de retraite les plus en difficultés, mais nous non plus, nous ne possédons pas de planches à billets " regrette Véronique Cadudal.
L’élue ne cache pas ses inquiétudes, "on ne peut pas continuer à traiter nos aînés de cette façon-là. Le Papy boom on l’a vu venir, ce n’est pas normal ! "