308 adhérents de la Cooperl (sur les 3.000 que compte aujourd'hui la coopérative porcine) veulent du changement, à la tête du conseil d'administration, mais aussi dans la façon de communiquer et de gouverner le géant breton. Un bras de fer est engagé. Bernard Rouxel, président de la Cooperl depuis juin 2023, se dit serein et défend sa stratégie.
"Il y a une très grande opacité au sein de la Cooperl, une absence complète d'information et de communication, notamment sur les éléments financiers..." Antoine Chatain parle au nom des 308 éleveurs qu'il représente.
Comme d'autres adhérents avant lui, l'avocat a demandé (au nom de ces éleveurs qui l'ont mandaté avec une convention de mission) à consulter un certain nombre d'éléments financiers. C'était il y a plus d'un mois : "C'est un droit dont disposent les adhérents, mais à l'heure qu'il est, je n'ai aucun élément..." regrette-t-il.
Quel "juste" prix ? Une question de stratégie
Si ces éleveurs veulent user de leur droit, c'est qu'ils doutent fortement de la stratégie et des choix adoptés par "leur" coopérative depuis plusieurs années. Le déclencheur ? Le décalage entre les prix payés par la Cooperl et ceux du MPB, le fameux Marché du Porc Breton de Plérin. Depuis 2015, la coopérative a décidé de s'en retirer.
"Jusqu'à l'année dernière, les prix de la Cooperl restaient plus ou moins alignés sur le MPB. Mais en 2023, nous avons eu en moyenne 6,4 centimes d'écart par kilo" a expliqué anonymement un éleveur à nos confrères de Ouest France. Leur avocat de renchérir : "Il y a un marché qui détermine un prix du porc, or la Cooperl achète le porc à ses éleveurs moins cher que le prix du marché. C'est quelques centimes, mais sur chaque porc ça commence à représenter des prix importants..."
Nous avons contacté le président de la Cooperl, Bernard Rouxel. Il défend sa stratégie : "Nous proposons une production de qualité qui a pour effet de dégager de la valeur ajoutée et de créer de la plus-value. Cela correspond à la montée en qualité que le consommateur réclame !" Et d'expliquer que le prix final de la Cooperl s'appuie sur trois socles : le prix de base, la plus-value qualité et la plus-value filière :
Certains éleveurs trouvent aussi qu'en retour, les produits et aliments qu'ils achètent à la Cooperl leur sont facturés plus chers : "Ils achètent la nourriture à la Cooperl, plus cher que le prix du marché, confirme Antoine Chatain. Et comme ils ont une obligation d'exclusivité, les éleveurs ne peuvent pas acheter ailleurs ! Ils ne peuvent pas vendre ailleurs, ils sont bloqués ! Ils sont coincés !"
Réponse du président de la coopérative porcine : "Pour la partie aliments, sur l’année 2023, les chiffres nous montrent que nous sommes 13 euros moins chers que la moyenne pratiquée. Il faut avoir une lisibilité sur le moyen et le long terme" .
"Transparence" sur les marges ?
La situation agace une partie des adhérents, d'autant plus que l'activité d'élevage permettrait à la coopérative de dégager d'importantes marges.
"La Cooperl se fait des marges sur le dos des éleveurs, pour après faire des investissements à l'étranger... C'est là où les éleveurs disent : On a fait cette coopérative pour nous rendre service à nous, ce qui n'est pas ou plus le cas aujourd'hui... On veut que les adhérents reprennent les rênes de leur outil" explique Antoine Chatain.
À ce reproche d'opacité, Bernard Rouxel rétorque : "On ne doit pas interpréter le mot de transparence de la même façon. Au niveau de notre coopérative, on donne des chiffres et beaucoup. On est vraiment toujours très transparents, sur tous les investissements qui ont pu être faits à l’étranger comme sur la fixation de notre prix Cooperl."
"Pour un changement de C.A."
Face à toutes ces questions et frustrations, voilà qu'un groupe d'éleveurs adhérents demande donc à faire entendre sa voix. Ils sont 308, sur un nombre total d'adhérents qui s'élève à 3.000 (et près de 7.700 salariés). "Ils représentent donc 1/10e, 10% des adhérents et peuvent à ce titre demander l'inscription du changement de conseil d'administration à l'ordre du jour de la prochaine assemblée générale qui doit se tenir le 21 juin" explique leur avocat.
Celui-ci assure que la demande a été effectuée dans les délais et espère bien être entendu : "Je suis toujours plein d'espoirs. Quand des personnes posent un certain nombre de questions, je pense qu'une assemblée est là pour que ces questions soient abordées et qu'il y ait un vote démocratique ! Il y a des statuts, il faut les respecter, c'est ce que demandent les adhérents ! Ce ne sont pas aux personnes qui sont à la tête de l'organisme de s'approprier le pouvoir !"
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Une démarche, proche d'une tentative de « putsch » (pour reprendre les termes utilisés par nos confrères du Monde). Tentative qui rappelle, selon le quotidien, celle qui a eu lieu en 2020 dans le groupe sucrier Tereos...
Qu'en pense Bernard Rouxel ? "Je suis confiant et très serein, assure-t-il. J'aborde cette prochaine assemblée générale de façon très sereine parce que j’ai rencontré beaucoup d’éleveurs lors de réunions, et depuis très longtemps. Une bonne masse de nos éleveurs suit notre stratégie."
"Comportement anti-coopératif"
Les 10% des adhérents vont-ils se faire entendre ? En attendant le 21 juin, les frondeurs préfèrent rester discrets. Selon leur avocat "la culture du secret et des menaces régnant au sein de la coopérative", les voix discordantes pourraient payer cher leur arrogance : "Au début, je n'y croyais pas, mais franchement, ça s'est déjà passé : des personnes ont été menacées d'exclusion à cause de leur comportement non-coopératif. C'est toujours très "amical" mais ça reste comme dans les Tontons Flingueurs une "présence apaisante"..."
Une discrétion que déplore évidemment le président de la Cooperl : "Faire une campagne sans se faire connaître, c'est compliqué, c'est difficile d’organiser des rencontres avec des éleveurs qui sont dans ce mouvement. Je ne refuse aucun débat. Si des éleveurs ne comprennent pas la stratégie, qu’ils viennent en discuter !"
Suite du bras de fer le 21 juin. Ou quelques jours avant puisque la Cooperl prévoit d'organiser une conférence de presse, trois jours avant, le 18 juin.
V. Chopin avec A. Guérard