La coopérative bretonne regroupait en 1964 25 éleveurs porcins. La Cooperl est devenue une multinationale de la production porcine. Abattoirs, alimentation, salaison, son empire est traversé une zone de turbulences qui l'oblige à des restructurations. Plus de contraintes, de nouvelles exigences tarifaires, pressurisent des éleveurs qui ne se retrouvent plus dans ce modèle de "prison dorée". Et le géant poursuit sa diversification, à l'international ou dans la génétique, au risque de perdre ses valeurs d'origine. Une enquête de Splann !, le média d'investigation indépendant breton.
Créée en 1964 à Lamballe, la Cooperl est aujourd’hui bien loin du petit groupement de 25 éleveurs des origines. Devenue une multinationale du porc, la coopérative possède – partiellement ou intégralement – 83 sociétés, dont une dizaine à l’étranger.
Depuis sa création, le groupe n’a cessé d’étendre son influence dans toutes les branches de la filière porcine, des abattoirs aux bâtiments en passant par la production d’aliments pour les animaux ou la salaison.
Il a même récemment commencé à investir dans des secteurs de plus en plus éloignés de la production porcine, faisant naître de l’incompréhension chez certains éleveurs-adhérents. D’autant plus que le géant du porc traverse une zone de turbulence, avec des déficits importants et une restructuration de son pôle salaison. Et que, pour compenser ces pertes, la coopérative s’appuie sur les éleveurs en baissant le tarif d’achat des porcs sous celui du marché, en augmentant les délais de paiement ou en les obligeant à déposer une partie de leurs ventes sur les comptes de la Cooperl.
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Une enquête de Splann!, le média d'investigation indépendant breton.
En plus de ces exigences tarifaires, s’imposent aussi d’autres contraintes pour les éleveurs de la Cooperl : que ce soit pour le bâtiment, les aliments, les soins vétérinaires ou la gestion des effluents, peu de secteurs échappent à son contrôle. Et à ses profits.
Que ce soit D’un point de vue éthique ou financier, de nombreux éleveurs ne s’y retrouvent plus. Mais quitter sa coopérative n’est jamais simple. Quitter la Cooperl, encore moins.
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Cette logique d’intégration a franchi un nouveau cap : la coopérative est devenue propriétaire de sept exploitations, notamment pour développer la recherche génétique de sa société « Nucleus ».
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La boîte noire de l'enquête
Durant cette enquête, nous avons pu mener une trentaine d’entretiens, dont une quinzaine avec des éleveurs ou d’anciens éleveurs, membres pour certains de la Cooperl.
Les entretiens ont été menés entre avril et novembre 2023, par téléphone ou dans les fermes. Les auteurs de cet article se sont rendus à plusieurs reprises à Lamballe et dans sa région pour réaliser ces entretiens.
Sur 20 éleveurs sollicités, 14 ont accepté de nous répondre, mais toujours sous couvert de l’anonymat, à l’exception d’un éleveur et d’un administrateur de la Cooperl.
Nous avons aussi mené des entretiens avec cinq ouvriers et anciens ouvriers de l’usine de Lamballe et d’autres sites appartenant à la Cooperl. Si certains syndicalistes ont accepté de témoigner, c’est uniquement sous couvert d’anonymat, d’autres ont tout simplement décliné nos demandes d’entretien portant pourtant sur les conditions de travail dans leurs usines. Une opacité qui en dit long sur le dialogue social à l’intérieur de l’entreprise.
Pour apporter des réponses aux éléments découverts lors de notre enquête, nous avons sollicité plusieurs administrateurs de la Cooperl, l’ancien président, ainsi que la direction. Le directeur de la coopérative, Emmanuel Commault, n’a pas souhaité échanger avec nous par téléphone. Sollicitée par email, la direction de la communication nous a renvoyés vers son rapport RSE annuel, sans apporter de réponse à nos questions spécifiques.
Les chiffres concernant les résultats des différentes sociétés sont issus des comptes sociaux et des comptes consolidés de la coopérative, dont nous avons obtenu des versions PDF pour les années 2020 à 2022. La carte des filiales a été établie d’après les éléments dont nous disposions dans ces comptes, certaines acquisitions ou ventes récentes peuvent ne pas figurer. La coopérative annonce officiellement 83 filiales au total.
Les chiffres concernant l’EBE des producteurs porcins ont été établis sur la base des données du Memento publié annuellement par le ministère de l’Agriculture, lui-même issu des comptes de l’agriculture.
Les données concernant l’acquisition d’exploitations sont issues de l’analyse des comptes et des documents administratifs disponibles sur ces exploitations.
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