Frappés comme au premier confinement par la fermeture des salles de service à table, les restaurateurs n'ont plus le choix qu'entre la vente à emporter ou la livraison. Mais est-ce encore jouable quand les clients doivent rentrer chez eux au plus tard à 18 heures ?
Les métiers de bouche sont des métiers de passion et les patrons de restaurant s'accrochent de toutes leurs forces pour résister aux difficultés successives de cette crise sanitaire qui semble interminable. Face aux mesures contre l'épidémie, tous ne sont pas logés à la même enseigne selon le profil de l'établissement. Un restaurant gastronomique est obligé de mettre au chômage partiel une grande part de son personnel et de faire face aux frais et charges qui continuent de courir en s'appuyant sur les aides gouvernementales. Une pizzéria peut, plus facilement, se replier sur la vente à emporter à condition d'être située sur un lieu de passage.
Première option : rester fermé
Pierre Clolus est sur la brèche depuis le premier confinement. Il tient le restaurant l'Ambassade à Rennes. Élu à l'Umih 35, il est aussi membre du collectif "on va tous trinquer". Il a jusque-là préféré rester fermé plutôt que de se lancer dans la vente à emporter. Récemment il a pris quelques vacances (à la Réunion où tous les restaurants sont ouverts "et ça se passe très bien" ironise-t-il) mais en voyant la situation évoluer actuellement, il se pose des questions pour le moral de ses brigades:
"Je me demande si je ne vais pas rouvrir bientôt parce que je suis très inquiet pour mes salariés qui ont des grosses baisses de salaire, de l'ordre de 30 à 40% et pour leur moral aussi. Au téléphone je ne les trouve pas très en forme. Deux mois et demi que ça dure. Psychologiquement c'est assez difficile pour eux et je me demande si je ne dois pas ouvrir d'une façon ou d'une autre."
Son restaurant, plutôt de bonne taille, fait habituellement travailler 12 personnes en hiver et 20 en été. Tout s'est arrêté depuis le 2 novembre. Pour le patron "ce serait beaucoup d'énergie de remettre en route une assez lourde machine" et "ça ne rapporterait absolument rien".
Pour la plupart des restaurants de ce type , explique Pierre Clolus, le meilleur choix c'est de rester fermé parce que "les aides sont suffisament conséquentes" mais "il faut avoir un peu de trésorerie d'avance parce que les aides sont en décalé." Il faut selon lui "un banquier un peu sympa" mais il comprend que les gens finissent par se lasser de la situation. Ses collaborateurs aussi, pour la plupart, s'ennuient parce qu'ils sont plutôt jeunes et manquent d'activité.
Comme les étudiants ils sont enfermés chez eux à l'étroit, au lieu de sortir dans Rennes. Même sa mère, qui pensait partir à la retraite, remet tout en cause. Chacun est impacté à sa façon.
Deuxième option faire de la vente le week-end
Comme le bistrot "Chez Paul", le restaurant italien "Vino & Gusto" proposait jusque-là des plats à emporter tous les week-ends, dès le vendredi, de 17h à 19 heures mais il va devoir dorénavant fermer à 18 h.
On est dans le flou le plus complet
Il n'a aucune idée de la façon dont ses clients vont réagir à devoir venir si tôt pour chercher leurs commandes, mais il reconnaît une certaine importance à cette activité minimale:
"Aujourd'hui, les ventes à emporter ça nous permet trois choses: faire 10 à 15% de notre chiffre d'affaires habituel, amortir les pertes de trésorerie et supporter quelques charges comme les loyers et locations de certains matériels et ça permet de rembourser nos prêts.
Ensuite ça maintient un lien avec notre clientèle sinon on disparaitrait complètement des radars.
Enfin ça permet de nous occuper, sinon on n'a rien : ni sport, ni balades, ni aller chercher de nouveaux fournisseurs à 5 ou 600 km ou en Italie par exemple."
Et les temps sont difficiles pour la petite entreprise:
"Habituellement on travaille à 7 mais actuellement on ne travaille plus qu'à 3 associés, parce que c'est une entreprise familiale. Les autres personnels touchent 100% de leurs salaires fixes mais perdent les primes et heures supplémentaires. Ils ont 39 heures au lieu de 42 heures en moyenne.
On a eu de bonnes annonces de Bruno Lemaire sur le "fonds de solidarité" et sur le PGE (Prêt Garanti par l'État) dont les remboursements sont repoussés d'une année. Le seul truc c'est l'incertitude, on tourne tous en rond. Impossible d'aller faire un tour à Saint-Malo: on ne peut même pas y boire un café chaud..."
Troisième option : faire des livraisons
Pour cette dernière option, il faut reconnaitre que c'est plus simple pour la restauration rapide ou les restaurants dont la spécialité est facilement transportable comme les pizzas ou les sushis. Leur clientèle est habituée à ces protocoles de commande/livraison qui passent par des prestataires comme Uber ou Delivroo... C'est le cas de Eat Sushi à Brest, qui n'a rien changé à ses habitudes et qui n'a pas perdu de clientèle.
Mais ce n'est pas du tout la même chose pour les autres restaurateurs :
"Le couvre-feu c'est quand même un handicap de plus, explique Dominique Spenlehauer, chef et gérant du restaurant "Le moulin à fouler", à Guingamp, et président de l’UMIH des Côtes-d’Armor, "pour la plupart des restaurateurs c'est compliqué, ils n'ont jamais eu à faire de livraison donc ne possèdent pas de véhicule adapté ni de matériel de maintien au chaud ou froid comme les traiteurs en ont. Moi je fais de la vente à emporter mais on se débrouille avec des barquettes que les gens viennent chercher. Et je ne fais que le midi, ça va ; mais sinon le soir très peu de gens viendront avant 18 heures."
Aujourd'hui la CCI d'ille-et-Vilaine annonçait dans un communiqué une perte moyenne de 25% pour les restaurateurs.
Elle demande aux préfectures "une dérogation au couvre-feu pour les livraisons, d’une part, et la vente à distance pour les restaurateurs et traiteurs, permettant aux Français d’être livrés ou de venir retirer leurs plats après 18h." Mais la plupart des restaurateurs estiment être déjà en droit de livrer après 18 heures de leur propre chef.
Livrer soit même, c'est justement une aventure dans laquelle Patrice Dumont le patron de "La Closerie des Hortensias" à Bréal sous Montfort c'est lancé depuis le début du couvre-feu, sans se poser ce genre de question:
"On est pas une profession qui aime rester à ne rien faire..." mais "moi c'est pour garder la main et occuper mon chef. Parfois j'ai 4 clients, parfois comme aujourd'hui j'en ai 20 pour une entreprise du bâtiment."
Cet ex responsable de l'Umih ajoute : "Hors la restauration rapide, il y a 15% des restaurants qui font de la vente à emporter et ils ne font que 15 à 20% de leur chiffre d'affaires habituel."
"La bonne nouvelle, fait cependant remarquer Bruno Kerdal, vice-président de l'Umih du Morbihan: c'est que l'argent gagné en vente à emporter ne sera plus décompté de l'aide de l'État (le fonds de solidarité) selon les dernières annonces de Bruno Lemaire. "Mais je préfère attendre la confirmation écrite par décret la semaine prochaine."