En avril dernier, Michel Briand a été kidnappé par un gang en Haïti. Ses ravisseurs réclamaient une rançon d'un million de dollars. Il a finalement été libéré. Pour quelques jours en Bretagne, dans sa famille et sa communauté, il a accepté de nous raconter son enlèvement et son amour pour l'île.
Tout s’est passé très vite. Le 11 avril dernier, Michel Briand, missionnaire breton installé en Haïti depuis 36 ans, et ses amis partaient pour l’installation d’un jeune prêtre haïtien quand ils ont été enlevés par un gang. "Dans la voiture, nous étions 10, raconte-t-il, la famille du jeune prêtre et quelques membres de notre communauté, la société des prêtres de Saint-Jacques. Sur la route, on est tombés dans un guet-apens, des bandits arrêtaient toutes les voitures qui arrivaient et les conduisaient dans un petit chemin pour leur dérober tout ce qu’ils possédaient."
"Au début, ils n’avaient pas l’intention de nous kidnapper, c’est après avoir dépouillé les passagers des autres voitures qu’ils se sont intéressés à nous. Ils nous ont laissé dans la voiture, ils ont vu qu’on était un groupe intéressant pour eux avec deux étrangers à bord."
Dieu et la misère pour compagnons
Michel Briand n’a pas eu peur : "c’est une question d’habitude, d’accoutumance, sourit-il doucement, ça m’est déjà arrivé, j’ai été touché par des balles en sortant d’une banque il y a 5 ans. Evidemment, ce n’est pas ce qu’on cherche, mais, compte tenu de la violence qui règne dans le pays, on s’attend à ce que ça nous arrive, on n’est pas surpris."
Pendant quatre jours et quatre nuits, Michel et les autres ont été installés dans une carrière sur des cartons en plein air. Et puis, l’église haïtienne a organisé une journée de mobilisation. Dans toutes les paroisses, des messes ont été célébrées et les cloches ont résonné. "Cela a inquiété nos ravisseurs, ils nous ont emmenés dans une petite maison abandonnée dans laquelle nous sommes restés 12 jours se souvient Michel Briand. On a été bien traités, on avait de l’eau, et quand on en a demandé, on a eu du dentifrice. Et puis, un jour, ils nous ont amenés des bermudas et des maillots de corps. Là, on s’est dit, ils vont nous garder quelque temps. "
Des conditions de détention difficiles
"Ensuite, il a fallu encore déménager. Une dernière fois. Le troisième lieu était plus infâme grimace le prêtre, nous sommes restés 5 nuits dans ce petit lieu très très étroit où on avait du mal à s’allonger tous ensemble. On avait des courbatures, le sol n’était vraiment pas doux."
"Et puis, précise le prêtre, ils nous rationnaient de plus en plus la nourriture. Ils nous avaient prévenus, c’était un moyen de pression, mais avec nous il y avait deux personnes diabétiques. On a dit aux gardiens 'Vous allez nous laisser mourir', ils nous ont amené de la soupe et on a partagé avec eux. Ils étaient logés à la même enseigne que nous. On n’avait rien, mais eux non plus."
La libération au milieu de la nuit
"Enfin, sourit-il largement, une nuit, on a été libérés. Ils sont arrivés vers minuit et demi, on était tout endormi. Ils nous ont réveillés en faisant pression sur nous pour que ça aille vite, nous sommes sortis sous cette pression et un des gardiens m’a glissé dans l’oreille, 'vous êtes libérés !' "
Michel Briand a vécu ensuite un moment étrange : "Au moment de partir, un des chefs est venu nous faire une accolade et nous demander de prier pour eux. J’étais tout étonné, confie Michel Briand, je lui ai répondu qu’on n’allait pas commencer à prier pour eux maintenant, parce qu’on le faisait depuis le début."
Une rançon d’un million de dollars
Les preneurs d’otage avaient réclamé 1 million de dollars pour la libération de Michel Briand et des autres personnes qu’ils détenaient. "Où irions-nous les prendre ?" interroge le prêtre. Il ne sait pas au juste ce qui s’est passé pour que la liberté leur soit rendue. "Au début, un gardien est venu et nous a dit : 'avec ce qu’on a reçu, ça ne vaut même pas la peine d'acheter de l’eau', témoigne Michel Briand, on ne sait pas ce qui s'est passé, nous, nous étions coupés du monde."
"Les ravisseurs voulaient nous garder, nous les deux français", précise-t-il,. "La communauté a été claire : tout ou rien. Tout le monde doit être libéré, ou personne. Ils ont fait preuve d’une certaine intransigeance et ont fait croire qu’il n’y avait rien à espérer. Si ils veulent nous exterminer, qu’ils nous exterminent, si ils veulent nous libérer, qu’ils nous libèrent, par bonheur, ça a été la deuxième solution."
L’amour du missionnaire pour son île
Le Breton est arrivé à Haïti en 1986 juste après la chute de Duvalier fils. "Tout le monde espérait une démocratisation malheureusement au fil des ans. Ça a été le contraire, l’anarchie s’est installée dans le pays, la misère est devenue plus grande et plus visible. Au point que les Haïtiens qui restent encore dans leur pays ne rêvent que d’une chose, en partir !"
Michel Briand a d’abord passé quelques années dans des paroisses sur l’île, puis il œuvré dans un centre de développement, avant d’arriver à Port au Prince pour accompagner les jeunes qui voulaient entrer dans la communauté pour devenir eux aussi missionnaires. Cette année, la communauté a accueilli 11 jeunes qui vont être envoyés au Brésil, au Canada et en France.
Le peuple d’Haïti est la première victime
En 36 ans sur l’île, Michel Briand a vécu le tremblement de terre, les coups d’état. Il connaît parfaitement la situation des Haïtiens. Et accorde son pardon à ceux qui l’ont kidnappé. "Il y a toujours eu des moments durs , analyse-t-il, mais ces moments durs ils sont pour le peuple. Ils subissent les fléaux des gens qui sèment la terreur, ils en sont les premières victimes. Tous ceux qui tombent sous les balles, ce sont des gens qui marchaient dans la rue et qui se retrouvent des cibles." La semaine dernière, 15 passants ont été tués dans une ville.
Depuis plusieurs années, des gangs sévissent en Haïti. Celui qui est soupçonné d’avoir kidnappé le petit groupe de Michel Briand est baptisé, "400 Mawozo". Son chef Joseph Wilson, alias Lanmò San Jou (la mort sans jour, en créole haïtien ) est recherché par la Police. "Le kidnapping est devenu un moyen de survivre pour des gens qui n’ont plus rien. Ils accusent le pouvoir parce que le pouvoir ne leur offre rien. Le peuple ne peut plus supporter. Ils ont la trouille au ventre."
Comme pour lui donner raison, ce 7 juillet, alors que Michel Briand se repose quelques jours en Bretagne, le chef d’état Haïti, Jovenel Moïse a été assassiné dans sa résidence en pleine nuit.
"Plusieurs personnes m’ont demandé pourquoi je ne reste pas en France. J’ai envie de repartir, j’ai encore plein de choses à faire là-bas avec eux et pour eux. Quand on fait un choix, on doit l’assumer. L’amour fait des merveilles dans le cœur des hommes, il nous permet d’aller jusqu’au bout, comme le Christ est allé au bout pour nous sauver. C’est un don total que l’amour nous permet de faire, c’est grand, c’est beau."
Bientôt, le missionnaire regagnera donc "son" île pour continuer à vivre son histoire d'amour avec cette terre et ses habitants.