Depuis quelques semaines, tous les jours, les élus reçoivent des mails, deux, trois, quatre, jusqu’à six parfois; des coups de téléphone, du courrier… et même des paquets de chips ! Les équipes des candidats à l’élection présidentielle font tout pour obtenir leur signature. Certains maires s’agacent, d’autres s’interrogent. La règle des parrainages est importante dans notre démocratie, mais pour eux, pas facile à vivre.
"Tout ça dépend beaucoup du culot des interlocuteurs. Certains adoptent les tactiques de bons vieux briscards du commerce, je connais très bien monsieur le maire, est ce que vous pouvez me le passer ?" s’amuse Yves Bleunven, maire de Grand-Champ et président de l’association des maires de France du Morbihan.
Des offres croustillantes
"Je reçois plusieurs mails par jour, des appels. Certains candidats ont de très grosses équipes très organisées, avec des responsables par département, d’autres fonctionnent comme ils peuvent ! Je n’ai pas le souvenir qu’en 2017 c’était à ce point-là !"
Puis l’élu cesse de sourire," ce matin, j’ai reçu un carton, je me suis demandé ce que c’était parce qu’en ce moment, tout est possible ! C’était la candidature de Nicolas Miguet qui défend la ruralité et me demande ma signature avec un paquet de chips ! J'ai cherché le sens à tout ça... C’est très pénible !'
La règle...
Pour limiter le nombre de candidats et éviter des candidatures trop marginales ou fantaisistes, la loi prévoit que pour se présenter à l’élection présidentielle, les candidats doivent recueillir 500 parrainages d’élus (jusqu’en 1974, il n’en fallait que 100).
Ces parrainages doivent provenir d’au moins 30 départements et un département ne peut pas à lui seul représenter plus de 10% des parrainages, donc pas plus de 50 signatures.
Le Conseil constitutionnel précise que chaque élu ne peut parrainer qu’un seul candidat et que son choix est irrévocable, si, par exemple, le candidat parrainé renonce à se présenter, l’élu ne peut pas parrainer un autre candidat.
Et son usage
Les maires, les conseillers départementaux et régionaux, les députés, les députés européens et les sénateurs sont autorisés à parrainer. Cela représentait un peu plus de 42 000 signataires potentiels en 2017 selon le calcul du Conseil constitutionnel.
Alors, en période pré-présidentielle, ils sont très très sollicités !
Philippe Salmon, le maire de Bruz, confirme qu’il reçoit appels, mails, et courriers tous les jours. "Tous mettent en avant l’importance de la République et insistent sur le fait que ce n’est pas parce qu’on donne son parrainage à un candidat que l’on partage ses idées." Le maire de Bruz reste sceptique : "même si on est profondément républicain et que l’on considère important que chaque parti soit représenté, je ne me vois pas accorder ma signature à certains candidats, mes électeurs ne comprendraient pas."
"Cette histoire-là, c’est un peu une hypocrisie. Un de mes prédécesseurs avait donné son parrainage à une personne dont il ne partageait pas les idées, il a été largement critiqué."
Une pression forte
A quelques kilomètres, de l’autre côté de Rennes, le maire de Saint-Grégoire, Pierre Breteau ne se sent pas harcelé. "Nous avons des coups de fil répétés de certaines équipes de campagne, mais la pression, souligne-t-il, elle pèse surtout sur les maires sans étiquette des petites communes."
Un certain nombre de candidats à la présidentielle ne m’ont pas appelé, mes positions sont claires et connues, ils ne vont pas perdre du temps à me téléphoner
Pierre Breteau, maire de Saint-Grégoire
En tant que président de l’association des maires de France d’Ille-et-Vilaine, il sait que la question met les maires en tension. "Souvent, dans les petites villes, ils ont eu du mal à boucler leurs listes et sont allés chercher des gens de divers horizons politiques, c’est ce qui fait la richesse de la vie politique municipale. S'ils donnent leur signature pour tel ou tel, ils courent le risque de diviser leur équipe municipale. Les maires veulent la paix, avec leur conseil municipal et avec leurs électeurs."
L’art de la drague
Les petites communes, Louis Pautrel connait bien. Le maire de Le Ferré est vice-président de l’Association des maires ruraux de France.
"Les parrainages, pour l’instant, on n’en parle pas beaucoup, on est trop accaparés par la crise sanitaire et puis on ne sait même pas encore qui sera candidat !"
Dans sa mairie aussi, les mails et les coups de téléphone pleuvent. "Mais je sais qu’il n’y a aucune raison de se précipiter, souffle-t-il, moi de toutes façons, je n’ai jamais donné ma signature à quiconque."
Et l’élu dénonce cette passion beaucoup trop passagère pour les élus de terrain. "On nous connait quand il y a besoin de nous pour un parrainage et puis après, on passe aux oubliettes" s’agace le maire. "Dans nos communes rurales, on passe beaucoup de temps à faire vivre nos villages, à les défendre et à faire face aux imprévus et quand il y a une réforme, on est les dernières roues du carrosse. On nous lance les dernières cacahuètes !"
Alors quand ils viennent se plaindre pour avoir une signature, je me dis, il fera comme moi, il attendra !
Louis Pautrel, maire de Le Ferré
Paroles, paroles…
Louis Pautrel ne se laisse pas séduire par les belles paroles." On n’a aucune obligation de donner une signature" martèle-t-il.
"Certains de mes collègues le font par solidarité, pour que tel ou tel puisse être candidat. Dans les courriers, ils nous parlent de démocratie… Moi dans les demandes de parrainage que j’ai reçues, personne ne m’a dit que dans 6 mois, on aurait un médecin, qu’il allait baisser le prix de l’essence."
L’élu s’embrase, "J’ai retrouvé par hasard le journal de l’association des maires ruraux de 2003. Il tirait la sonnette d’alarme sur les déserts médicaux ! Personne n’a rien entendu. En 20 ans, on aurait eu le temps de former deux générations de médecins."
Je considère que ma signature elle n’est pas gratuite, elle passe par des engagements en face pour les territoires ruraux.
Louis Pautrel, maire Le Ferré
Le marketing à la sauce politique
Le maire de Grand-Champ partage un peu son agacement. "Tout ça c’est du marketing électoral. Et tout est bon pour faire le buzz ! Cette histoire de chips, par exemple, c’est juste pour faire parler ! Et ça marche !"
"Quand j’entends certains candidats dirent qu’ils n’ont pas leurs signatures, j’ai du mal à y croire ! Ça fait brasser beaucoup d’air pour pas grand-chose."
Yves Bleunven s’interroge sur ces parrainages : " cela n’a l’air de ne satisfaire personne, ni les élus, ni les candidats !"
"Bien sûr qu’il faut un filtrage pour éviter qu’il n’y ait 36 candidats, et puis nous avons un petit examen des candidats à faire. Il y a des frapadingues !" assure-t-il. "L’autre jour, j’ai reçu une dame, elle était plus proche de l’hôpital psychiatrique que de l’Elysée."
Le pouvoir filtrant des maires
Pierre Breteau, le maire de Saint-Grégoire est plus mesuré: "Il est important qu’il y ait un dispositif et le confier aux maires, ce n’est pas absurde. J’ai fait le calcul, 500 signatures sur 42 000 élus c’est 1,2 % des parrains potentiels. Si un candidat à l’élection présidentielle ne réussit pas à rassembler 1,2% c’est qu’il y a un problème de légitimité… mais il y a aussi un problème si un candidat qui est crédité de 10 % d’intentions de vote n’a pas ses signatures ! C’est une question démocratique très complexe !"
Il propose de donner la possibilité de parrainage à tous les conseillers municipaux. La France en compte à peu près un million. "Cela élargirait la base, cela éviterait les conflits dans les mairies et ce serait sans doute aussi plus représentatif. Dans ma commune, par exemple, je pense qu’il y aurait ainsi deux ou trois signatures pour Yannick Jadot, une ou deux pour Anne Hidalgo et pour Christiane Taubira et six ou sept pour Valérie Pécresse. Cela correspondrait aux votes des électeurs de Saint-Grégoire. Cela desserrerait peut être la pression."
La fin du secret
Depuis l'élection présidentielle de 2017, la liste des élus qui ont parrainé un candidat est publiée par le Conseil constitutionnel.
Philippe Salmon, le maire de Bruz se prononce pour le retour au secret des signatures, "cela simplifierait notre tâche" explique-t-il.
Cette année, il a signé le Serment de Romainville, refusant de parrainer un candidat tant que la gauche serait désunie. "Je participe à la primaire citoyenne, je donnerai mon parrainage au candidat qui sera désigné par cette primaire."
Mais cette question de secret divise. Sous couvert d’anonymat, un élu raconte qu’après son parrainage en 2017, il a perdu des amis, des gens qui lui ont expliqué qu’ils ne lui parleraient plus jamais. "Ma femme, confie-t-il, en est malade. Elle m’a demandé si j’allais donner ma signature à quelqu’un."
"Le secret des parrainages qui existait auparavant donnait davantage de liberté aux maires, concède Pierre Breteau, mais il pouvait donner l’image négative d’un dispositif confidentiel, d’un système de l’entre-soi."
L’association des maires de France dont il est membre a proposé d’offrir aux maires un double parrainage, l’un de soutien pour ses idées politiques, un autre dit "républicain " pour laisser une chance à tous les candidats.
Le Conseil constitutionnel indique qu’en 2017, 34% des élus habilités ont effectivement parrainé une candidate ou un candidat.