C’est un crève-cœur pour les organisateurs de festoù-deiz et de festoù-noz, contraints de s’adapter ou d’annuler ces événements festifs. Le contact physique est indissociable de la pratique des danses traditionnelles bretonnes, conviviales par excellence.
"Le fest-deiz ou fest-noz est une fête solidaire, où la proximité est reine. On y danse bras dessus-dessous, main dans la main, on y change souvent de partenaires. Tout cela est inconcevable avec les mesures de distanciation sociale !", s’exclame Glenn Jegou, directeur de Skeudenn Bro Roazhon, organisateur du festival Yaouank et du fameux fest-noz, en novembre au parc-exposition de Rennes, qui réunit pas moins de 10 000 danseurs.
Une programmation bousculée et un impact social et économique
Les mercredis du Thabor, qui réunissent bagadoù et cercles celtiques à Rennes, en juillet, sont déjà annulés.
Et c’est la grande interrogation pour le festival Yaouank. Une décision sera prise cet été, en lien avec les autorités.
S’il fallait le remplacer, "nous pensons à d’autres formes de spectacle", en prenant en compte les nouveaux critères de jauge autorisés. "Nous y consacrerons le budget prévu à cet effet".
"Une attention particulière sera accordée aux intermittents pour ne pas les pénaliser. Nous proposerons aussi des déambulations avec des artistes bretons, comme Castor & Pollux et La Mafia Rustre, dans le centre-ville et les quartiers prioritaires, cet été. " affirme Glenn Jegou.
Une soirée carte blanche est aussi envisagée fin août.
"La danse et la musique bretonnes repartiront ! C’est un vecteur de l’identité bretonne". Les festoù-noz sont bien inscrits au patrimoine immatériel de l’humanité, rappelle-t-il.
Même constat pour Julien Cornic, le directeur de Ti ar Vro du Trégor-Goëlo et de Dastum du Trégor-Goëlo.
Il doit annuler à contre-cœur régulièrement un fest-noz, chaque mois. Une petite fête, qui draine entre 400 à 500 danseurs.
A cette échelle, il lui est facile de réagir avec souplesse. "Le fest-noz, qu’on organise quelques semaines en amont, on peut l’annuler sans mettre en danger financièrement la structure", reconnaît-il.
Cette maison du pays de la culture bretonne n’a pas de budget de programmation propre.
Sa mission est surtout d’animer les territoires et c’est là où le bât blesse. Le dynamisme culturel s’en ressent. Julien Cornic le déplore : "Tant qu’on mettra des barrières sanitaires à cette envie de communauté, ce sera compliqué de reprendre".
Il pointe du doigt un certain flou artistique en matière de directives gouvernementales, et souhaiterait que "les réponses viennent plus de la base que du haut", en restant confiant sur la responsabilisation de chacun.
Et pourquoi ne pas envisager des alternatives, défend-il, avec des festoù-noz en plein air, sans se sentir obligé d'y danser ? "Les choses peuvent s’organiser plus facilement à l’extérieur !".
Toutefois, il s’interroge déjà sur le devenir, cet hiver, des veillées au coin du feu, avec les anciens, un public de plus de 65 ans.
Des alternatives, plus que jamais
L’association Tamm-Kreiz n’a pas baissé les bras, depuis le début du confinement !
Cette structure s’occupe de l’agenda des festoù-noz sur toute la Bretagne et dans le monde.
Elle concocte chaque samedi soir, depuis la mi-mars, un fest-noz du confinement. Le but étant de proposer aux danseurs, confinés chez eux, un fest-noz virtuel. Les artistes jouent en direct depuis chez eux, devant leur webcaméra et sont relayés sur la page de l'association, qui est aux manettes de la régie.
Un vrai succès ! Entre 1000 et 3000 connexions en live. Et 150 000 vues en replay. "Cela répond à une attente. Il y avait un manque de liens sociaux et de fête !"
©P. Bancourt
Sterenn Briat, une inconditionnelle des festoù-noz, n’a raté aucun de ces rendez-vous : "C’est un vrai partage ! Même s’il n’y a pas la même liesse et l’ambiance magique, on se sent tous reliés, portés par la musique bretonne".
Pour Bertredan, un accordéoniste, qui s’est invité à jouer ainsi dans les salons, à domicile : "Au départ, jouer seul, devant son ordinateur, est assez étrange. Mais, le fait de savoir qu’on fait danser des personnes, partout dans le monde, aux Etats-Unis, en Corse ou à Berlin, ça fait chaud au cœur !"
Samedi prochain, petit changement, un fest-noz du déconfinement, plus proche de la réalité, sera filmé au Mar'mousse Kav & Bar de Plérin : des groupes se produiront sur scène, avec une vraie mise en lumière. Mais toujours sans danseur !
Une façon d’adoucir les frustrations, pour Tamm Kreiz.
"C’est gratifiant, même si rien ne peut remplacer la chaleur du groupe, de toute une communauté."
En tout, 450 festoù-deiz et festoù-noz pourraient être annulés, d’ici le mois d’août. Il faut y rajouter les 740 événements manquants, qui auraient dû être programmés, surtout en été, une saison riche en festivités culturelles.
"C’est toute une économie parallèle qui va en pâtir", s’inquiète Stéphane Julou.
Il fait un appel du coude aux mairies et aux offices de tourisme, qui organisent des festoù-noz gratuits, en période estivale. "Ce serait une alternative intéressante que de les remplacer par des petits concerts payants."
D’autres alternatives fleurissent, comme les danses réalisées avec des foulards ou des cintres, pour espacer les distances entre chaque danseur.
Les passionnés de festoù-noz rivalisent d’imagination et ne lâchent rien !